Belge de Paris, Hans De Foer aime, comme le chanteur Arno, les filles du bord de mer. Mais pour ce divin raconteur d’histoires, la mode n’est pas un bobard.

Longiligne, à l’instar des silhouettes qu’il crée pour la gent féminine, Hans De Foer (35 ans) est prolixe sur ses passions: l’allure au féminin, la poésie du vêtement et les réflexions, profondes, qu’un processus créatif suscite. Une vraie Shéhérazade au masculin ce Hans, dont la pointe d’accent parigot voile les racines flamandes plantées du côté de Lokeren. Le créateur-conteur tient en effet sur la mode un discours simultanément énergique et énergétique.  » Plancher sur une collection est un acte cérébral – il faut trouver un concept qui tienne la route -, et pragmatique puisqu’il s’agit d’un art appliqué, voire compliqué. J’estime que si l’on élabore des vêtements, c’est pour qu’ils soient vendus et portés, déclare Hans De Foer. La folie créatrice, d’accord, du moment qu’elle débouche sur une réalité commerciale. « 

N’allez pas croire, cependant, que le styliste belge assimile ses vêtements à des savonnettes ou des barils de lessive. Poète de l’étoffe, il réfère, dans chaque collection, à Anvers et à l’eau. Un véritable fil d’Ariane  » aquatique  » qu’il déroule autour de ses oeuvres parce que, rappelle-t-il,  » l’eau est omniprésente en Belgique. J’ai toujours vécu dans des villes tournées vers une rivière ou un fleuve: Gand, Anvers, New York, Florence, Paris… A la piscine ou au hammam, je me sens dans mon élément « . Et cette eau n’est pas seule à alimenter le moulin de l’inspiration du sieur De Foer qui s’avoue boulimique de cinéma et de bouquins.

 » Debout à la fenêtre, je l’attends « , sa collection printemps-été 2002 a pris corps grâce à un encadrement de fenêtre déniché dans la cave! C’est ce qu’on appelle faire flèche de tout bois…  » Je songe souvent à des courts-métrages quand je bâtis l’histoire d’une nouvelle collection. J’imagine une femme qui varie de saison en saison. Cette fois, il s’agit d’une jeune personne issue d’une famille assez rigide d’industriels du textile, une famille où l’émotion n’a pas droit de cité. Cependant, la belle tombe amoureuse d’un marin au long cours et elle éprouve des doutes, partagée qu’elle est entre son éducation stricte et cette aventure palpitante. Elle hésite car elle sait que cet homme risque de la laisser sur le carreau. Ses tracas la rendent insomniaque et elle passe ses nuits à se balader sur les quais du port d’Anvers en rêvant à son marin. A force de la voir déambuler ainsi, des hommes la prennent pour une prostituée et lui font des avances, poussant la jeune femme à se réfugier dans l’un des hangars de son père. Là, c’est la révélation: elle découvre que cet endroit abritait autrefois la maison de ses ancêtres ( NDLR: il était d’usage, jadis, dans les milieux textiles flamands, de loger au-dessus de ses entrepôts). Dans cet univers constitué de meubles et d’objets houssés de draps, elle va connaître les destinées hors du commun de deux de ses aïeules: la première, une veuve déchue, fut modèle de peintre puis courtisane à l’époque napoléonienne vers 1810. La deuxième, sa grand-mère en fait, perdit son mari pendant la Seconde Guerre mondiale puis devint une danseuse émérite de tango. Notre héroïne réalise enfin que ses propres sentiments contradictoires et son désir secret de changer d’existence lui viennent de ces aïeules épatantes. Maintenant, elle est rassérénée car elle sait pourquoi elle attend, debout, à la fenêtre…  » Dont acte vestimentaire.

Surgi des méninges d’Hans De Foer, ce scénario digne d’un film devient en effet une (belle) histoire de mode: côtés silhouettes, on effleure les années 1940 (la grand-mère), l’Empire (la trisaïeule), les accessoires masculins à l’ancienne (le père, les aïeux), l’architecture belgo-belge (les motifs patchwork imitent les briques), le patrimoine familial qui s’effrite (les franges, les ourlets effilochés).  » Dans cette collection estivale, j’ai privilégié le tulle, la mousseline, les voiles (coton, soie), le taffetas, la broderie anglaise et le denim ultra-light que j’ai travaillés en vrille, en plissé, en biais et en asymétrie « , précise Hans De Foer. Résultat, des modèles romantiques sans mièvrerie, compagnons idéaux d’un corps féminin qui bouge, vibre et vit intensément.  » C’est également une collection-doudou qui protège de la dureté de notre temps. Voilà pourquoi j’ai choisi des tissus qui caressent l’épiderme.  » Quant aux couleurs, tendres, grisées et brillantes à la fois, elles incarnent à merveille l’éclat de la peau, le reflet du ciel dans l’eau, l’irisé du sable, la dernière lumière avant le crépuscule ou la fine pointe de l’aube.

L’homme aux femmes

 » Je suis un designer très tactile: les matières occupent un rôle de premier plan dans mon processus créatif et j' » écoute  » le tissu avant de le mettre en forme, confie Hans De Foer. Ensuite, je projette mes émotions dans mes vêtements. Bien sûr, elles vont différer de celles d’une femme mais qu’importe… Ce que je trouve fantastique, c’est que les femmes puissent, à leur tour, projeter leurs sensibilités sur mes créations. Je ne m’adresse pas à une poupée virtuelle et si l’on me demande quel est mon type de nana, j’ai un peu de mal à répondre.  » Le styliste affirme toutefois s’inspirer d’une femme assez langoureuse, consciente de sa valeur et sûre d’elle-même, de sa séduction comme de ses défauts.  » Elle a du caractère, elle a vécu, elle a eu des expériences marquantes dont elle est sortie non pas indemne, mais grandie. S’il me faut définir le glamour, je songe immédiatement à ces femmes pleines de grandeur, qui ont traversé les épreuves la tête haute. Qu’elles portent une robe de soie ou un sac poubelle, elles restent toujours glamour. D’ailleurs, je ne fabrique pas des tenues d’apparat. Je tiens à placer le confort au même niveau que le chic et je veux que ce soit la femme qui choisisse librement, loin de toute dictature de style(s), de porter ces vêtements. Ce sont eux qui se plient à son désir, pas le contraire. « 

Formé à l’école du prêt-à-porter et à celle de la haute couture, le talentueux Hans De Foer n’est pas né de la dernière pluie.  » Quand j’étais gamin, le job de créateur n’existait pas aux yeux des miens. Je précise que dans ma famille, on est médecin de père en fils. Au début, mes parents étaient assez peu emballés par mes aspirations tandis que moi, j’adorais tricoter, chipoter avec des jets de tissu et éplucher les magazines de mode.  » Sympas tout de même, les parents de Hans lui laissent le choix de ses études: après des humanités littéraires et une année de dessin artistique à Gand, il rejoint donc le département mode de l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers.  » Quand ils ont compris qu’il y avait une vraie formation en stylisme-modélisme, mes parents ont considéré la chose d’un autre oeil. Et moi aussi, figurez-vous, car j’ai pu disposer d’un éclairage neuf sur ce milieu. Avant, je ne savais pas qui étaient Cardin ou Courrèges, même si ma mère arborait leurs créations! Je pensais que les habits surgissaient de nulle part et se retrouvaient tout de go dans les boutiques. Heureusement, l’Aca d’Anvers m’a mis du plomb dans la tête et affiné ma vision de la mode. « 

Cette vision s’aiguisera encore lorsque Hans débarque tout seul à Paris ( NDLR: ses parents, très francophiles, l’y emmenaient souvent) en 1989.  » Au registre  » jeunes créateurs « , on était déjà 200, rien que dans la Ville lumière. Et croyez-moi, ce n’était pas chose aisée que de tracer son propre sillon dans un terrain aussi fourni! D’autant qu’à cette époque-là, les Belges commençaient seulement à se tailler une réputation dans la mode.  » Qu’à cela ne tienne, Hans De Foer, ses dossiers sous le bras, frappe à la porte des maisons de mode. Chez Jean-Charles de Castelbajac, où deux de ses camarades de promotion oeuvrent déjà, on est littéralement  » bluffé  » par ses capacités. Hormis Castelbajac, notre créateur en herbe travaillera chez Courrèges, Gaultier et Alaïa.  » J’ai énormément appris, des subtilités qu’offre le graphisme à la puissance magistrale des lignes et de la coupe, en passant par la mise en scène d’un vêtement. La période chez Jean Paul Gaultier représente l’une de mes expériences les plus fabuleuses: Jean Paul est vraiment un grand maître, une  » usine  » à idées et un boulimique du boulot. Faut pouvoir suivre, évidemment. J’étais à ses côté quand il a commencé la haute couture en janvier 1997 et j’ai vécu des instants extraordinaires…  »

A quelques encablures du IIIe millénaire, Hans décide cependant de voler de ses propres ailes.  » C’est venu de fil en aiguille. Passé le cap de la trentaine, j’ai eu une sorte de crise existentielle au niveau créatif. En outre, la mode est un monde où l’égo prédomine et je me voyais mal assister ma vie durant quelqu’un qui possède un « moi » surdimensionné. Enfin, j’estimais qu’après avoir travaillé dix ans avec les autres, j’avais besoin de trouver ma propre niche, de forger mon identité de styliste. J’ai donc monté mon business en m’autofinançant. Mes collaborations avec toutes ces pointures de mode m’avaient permis de me constituer un joli bas de laine. Je me suis alors installé au Faubourg Saint-Antoine (XIe arrondissement) « . Belge de Paris, notre compatriote conserve apparemment un bon sens très  » plat pays « .  » En Belgique, en Italie, aux Etats-Unis, on n’a pas honte de parler d’argent. En France, si.  » Hans De Foer sait de quoi il en retourne: l’automne dernier, il a dû cesser les activités de sa structure d’exploitation.  » En aval, six de mes acheteurs ( NDLR: des Japonais et des Américains entre autres) n’ont pas confirmé leurs commandes et/ou acquitté leurs paiements, suite aux événements du 11 septembre 2001. Le manque à gagner? Près de 130 000 euros. Du coup, en amont, je ne pouvais plus faire face aux factures de mes fournisseurs.  »

Afin d’éviter de se retrouver dans le pétrin, Hans De Foer choisit de repartir sur d’autres bases, un brin plus modestes.  » J’ai été un peu raplapla mais cela s’améliore doucement. Je n’ai pas raccroché la veste, vous savez! Actuellement, les gens se montrent très frileux au niveau des investissements et je ne suis pas encore susceptible de mettre en appétit des caciques du luxe tel que LVMH. La croissance d’une maison de mode indépendante s’effectue en trois étapes. Primo, la création. Dans mon cas, il a fallu trois années. Secundo, la consolidation, lorsque l’on a besoin de soutiens financiers en béton pour développer sa structure. C’est là que je me situe maintenant. Tertio, la consécration, quand on a bien évolué avec, à la clé, un chiffre d’affaires d’un demi-million d’euros minimum, un petit réseau de boutiques intégrées, etc. A ce moment-là, un LVMH ou un Gucci Group vont s’intéresser à vous. Moi, j’ai intérêt à trouver des appuis ailleurs. Entre nous, l’exemple, belge, de Dries Van Noten qui a épaulé le duo A. F. Vandevorst est remarquable mais, hélas, pas vraiment suivis. « 

Hans De Foer est un homme tenace doublé d’un  » rêveur réaliste « : il a vite réalisé que, dans la mode, personne ne l’attendait ni ne l’appuierait. Il a donc choisi d’évoluer à son rythme:  » Pour chaque étape de mon travail, j’ai besoin de réfléchir, longuement et intensément. Un comportement que je dois principalement à mon passage à l’Académie d’Anvers où l’on demande aux étudiants d’être très introspectifs et de creuser en eux.  » Ainsi, sous la  » patte  » d’Hans De Foer naissent des collections absolument pas  » marketées  » ou soumises fil-à-fil aux tendances de la saison.  » Je ne voulais pas rejoindre l’immense pool de créateurs qui raisonnent comme cela. Moi, je livre des sortes de récits vestimentaires qui ont, je crois, de la logique et du piment. D’ailleurs, l’on me dit souvent, à propos de ma démarche, que l’on sent l’homme, l’être humain derrière le vêtement. C’est vrai: j’essaie de réaliser des choses qui ne sont ni aseptisées ni le produit d’un pur fantasme. Je ne plais pas à tout le monde? Eh bien, c’est tout bénéfice pour mon identité, pour la petite niche dont j’ai parlé. « 

Carnet d’adresses en page 162.

Marianne Hublet

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