Renouant avec les grands principes de l’élégance, la couture fait de l’été 2001 une autre  » Belle Epoque « . Du côté de chez Dior, Saint Laurent, Gaultier, Lacroix, Chanel, Versace… on se sent l’âme proustienne.

L’an 2001 sera-t-il synonyme de grandes mutations du côté de la haute couture? Affirmatif, si l’on respecte la locution du  » changement dans la continuité « . Car cette époque de chic extrême, voire délirant, ce temps du geste artisanal mêlé au défi technologique ne suspend pas son vol lorsqu’il se conjugue, au présent, sur le mode des plus grands artistes du vêtement ou des jeunes espoirs d’aujourd’hui. Mélange de savoir-faire confirmé et de premiers jets pleins de panache, la saison de haute couture du printemps-été 2001 révèle ses plus belles surprises grâce à ce que l’on savait déjà: rien ne vaut la véritable élégance qui, définition du dictionnaire à l’appui,  » célèbre la qualité esthétique que l’on reconnaît à certaines formes naturelles ou créées par l’homme, et dont la perfection est faite de grâce et de simplicité « .

Témoin la magie d’un Jean Paul Gaultier, créateur venu sur le tard à la haute couture (1997) et qui, à presque 50 ans, conserve un esprit très Titi de Paris. En pur Parigot, Gaultier imagine en effet des silhouettes effilées comme la tour Eiffel, mi-corsetées mi-dévêtues telle la Nana de Zola et toujours altières, à l’image de ces fières filles de la Ville lumière qui possèdent un don inné de l’audace et de l’allure. Du créateur-couturier au couturier-créateur, le fil s’annonce mince et, pourtant, si solide. Pour preuve, la collection de Christian Lacroix ( NDLR: notre styliste Bertrand Sottiaux a carrément craqué) qui affiche, depuis le début du millénaire, une pêche créative d’enfer. Saluant une créature à la taille bien prise et au buste vainqueur, Lacroix s’est attaché à y réinterpréter les vestes et le tailleur tout en se gaussant joliment des carrures, du cuir agressif et des couleurs flashy typiques des eighties.

La même pétulance anime les créations signées Donatella Versace dont l’approche de l’été à venir, tant en prêt-à-porter qu’en haute couture, se définit par un seul terme: sublime. Revisitant avec (im)pertinence l’op art et le pop art, la blonde use et abuse des jeux d’optiques et des caprices graphiques, se mettant ainsi au service d’un chic qui n’a rien d’une illusion. Dans cet aréopage des maestros du style, l’on réservera également une mention spéciale à Karl Lagerfeld de Chanel où les silhouettes, classiques sans être  » neu-neu « , adressent un vibrant hommage à la Grande Mademoiselle des années 1920 et 1930. Hyper-féminines, un brin féministes et ne refusant pas un soupçon d’androgynie, les héritières de Coco Chanel se dirigent d’un pas léger vers la belle saison en tailleurs pseudo-stricts, blouses légères, lavallières rieuses et talons plats. Tandis qu’Yves Saint Laurent, sorte de Roi-Soleil d’un empire de l’allure qui s’éteindra sans doute avec lui, nous livre, comme d’hab’, une interprétation magistrale de ses classiques (tailleur, chemisier  » andalou « , robe drapée et fleurie…) avec un clin d’oeil appuyé aux années 1950, tendance-ténor cet été et période emblématique pour le très jeune Yves qui aiguisa ses premiers ciseaux chez Monsieur Dior.

Doté de moyens  » mammouth  » puisqu’il appartient à la galaxie LVMH, John Galliano chez Dior, justement, semble passer en revue tous ses fantasmes couturiers des décennies précédentes alors qu’Alexander McQueen, débauché et racheté par le groupe PPR-Gucci, a manifestement bâclé son dernier défilé pour Givenchy, présentant à la va-vite une collection d’à peine 20 pièces, au lieu de la petite cinquantaine exigée par les codes de la haute couture. Normalement, le contrat du créateur anglais courait jusqu’à l’automne mais les choses semblent s’être précipitées, renforcées par les désaccords entre la maison de mode et son créateur vedette. En outre, on murmure que c’est peut-être le Belge Olivier Theyskens qui remplacerait McQueen à la direction artistique de Givenchy.

Beaucoup moins d’argent, de modestes structures, voire leurs seules mains et tout autant (plus?) de talent caractérisent, par exemple, Pascal Humbert et ses remarquables interprétations vestimentaires du mouvement, Franck Sorbier ( NDLR: pour son troisième défilé, cet ancien fleuriste rend hommage, via un délire virgilien bien contrôlé, à la nature et aux matières organiques) ou encore l’iranien Morteza Pashaï ( NDLR: cet apôtre du flou habille tout de même la très fashion reine Rania de Jordanie et la toujours belle Farah Diba) dont on parle de plus en plus.

Absents des podiums pour cause de prêt-à-porter et de contraintes financières, le duo hollandais Viktor & Rolf songerait à reprendre du galon couturier. A l’instar de Thierry Mugler – il ne défile plus depuis le début 2000 -, dont l’expérience en haute couture démarra en même temps que Gaultier, pourrait bientôt opérer un retour que l’on souhaite rapide car le pro de la ligne effilée possède un répertoire d’élégance particulièrement riche.

Lors des deux précédentes éditions de la haute couture, Jean-Charles de Castelbajac, président de la Chambre syndicale du prêt-à-porter, des couturiers et des créateurs de mode, se réjouissait de voir éclore, à côté des présentations classiques, une kyrielle de défilés  » off  » ( NDLR: hors du calendrier officiel de la Chambre syndicale) qui traduisent la volonté des jeunes pousses du cru de prendre racine dans la cour des grands. Ce  » sang neuf  » venant principalement de Russie et d’Asie, on a presque envie de dire que pour la haute couture en devenir, le soleil se lève à l’Est. Ji Haye – la milliardaire Mouna Ayoub  » sponsorise  » cette jeune Coréenne férue de volumes et de vêtements-sculptures -, le Macédonien Goran y Pejkoskiy et les Russes Seredin & Vasiliev ( NDLR: ont-ils confondu haute couture et haute luxure à travers leurs modèles fort déshabillés?), Katya Leonovich, etc. montrent qu’ils en veulent. Mais si la volonté de bien faire n’attend pas le nombre des années, la maîtrise du sujet couturier se mesure, elle, à l’aune de la maturité. Gageons que ce qui ressemble encore, pour pas mal de ces couturiers en herbe, à du boulot d’élève d’école de mode, débouchera un jour sur une autre  » Belle Epoque  » de l’élégance.

Marianne Hublet

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