Elles ont grandi sous le même toit, se connaissent à la perfection et sont de redoutables businesswomans. Chez les Anglo-Saxons, on ne parle plus que de ces sisters entrepreneuses. Le lien est-il la nouvelle clé du succès ?

« Ensemble, ils forment une généra- tion nouvelle, fraîche, ouverte d’esprit. Les voir travailler m’a fait comprendre à quel point les membres d’une même famille peuvent avoir ce degré de force, de soutien et d’amour « , déclarait il y a quelques mois Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain, à propos de ses égéries, les tops Gigi et Bella Hadid, Erika et Joan Smalls, le duo Fernando et Armando Cabral pour la mode masculine, et les cadettes du clan Kardashian, Kendall et Kylie Jenner – qui regroupent, à elles deux, plus de… 90 millions de followers sur Instagram ! Pour ses campagnes 2015, réalisées par le photographe Mario Sorrenti, la marque avait en effet misé sur la fratrie. Le but ?  » Mon équipe et moi-même sommes vite arrivés à la conclusion qu’il fallait célébrer cet amour inconditionnel « , expliquait Olivier Rousteing.

In, les frangines ? A mi-chemin du féminisme pop et de la BFF (Best Friend Forever) attitude, les power sisters – comme les surnomment les Anglo-Saxons – mènent la danse, jusqu’à Hollywood. Car l’union fait la force, c’est bien connu… Souvenez-vous des soeurs Olsen, actrices reconverties en créatrices, cofondatrices des labels The Row et Elizabeth and James. Mais aussi du duo ibérique Penélope et Monica Cruz, dont les collections pour Mango, Agent Provocateur et Loewe ont été remarquées. Plus récemment, la maison Burberry a fait la part belle aux jumelles britanniques May et Ruth Bell. Les Jagger ont tenu le haut de l’affiche chez Sonia Rykiel et les Hemingway (Dree et Langley Fox) chez Tiffany. Sans oublier Agyness Deyn, l’ex-star des podiums britanniques – remarquée notamment dans les campagnes de Giorgio Armani, Cacharel, Paul Smith et Vivienne Westwood – devenue designer et actrice. Début 2014, elle a lancé sa propre marque de prêt-à-porter féminin avec sa soeur Emily.

Dans le monde de la mode, de la beauté et de la joaillerie, la fratrie n’a, semble-t-il, jamais été si rentable. Comment l’expliquer ?  » A l’évidence, il y a un retour à l’idée de grande famille, de dynastie, qui est fortement prisée aux Etats-Unis, décrypte Jean-Philippe Danglade, auteur de l’essai Marketing et célébrités (Dunod). Dans une période aussi anxiogène que la nôtre, où l’on est en pleine crise économique, écologique et sécuritaire, le retour à la famille est rassurant et joue un rôle plutôt fédérateur et consensuel.  »

UNE FORCE BICÉPHALE

Au-delà des tapis rouges américains, la loyauté sororale a aussi la cote de ce côté de l’Atlantique. Prenons l’exemple des Françaises Domitille et Angélique Brion, âgées de 50 et de 48 ans, cofondatrices de Soeur – l’une des égéries de leur marque de prêt-à-porter est la fille d’Inès de la Fressange, Violette d’Urso, dont l’aînée, Nine, a elle-même été le visage de la maison Bottega Veneta. La première a travaillé en tant que styliste chez Bonpoint pendant plus de dix ans. La seconde a apporté sa formation en psychologie de l’enfant et de l’adolescent, et une expérience professionnelle dans le marketing de la famille. L’élément déclencheur ? Une envie de créer et d’entreprendre en toute liberté… mais pas seule.  » J’ai toujours été la créative de la famille, et elle, a le business dans le sang, confie Domitille Brion. Il me fallait trouver mon alter ego pour me lancer. Aujourd’hui, on marche à deux têtes, on se complète. On est comme les hémisphères droit et gauche d’un seul cerveau.  » Même leur clientèle le ressent. En choisissant de mettre en avant la fratrie, les filles Brion disent avoir fait du storytelling malgré elles.  » L’image des soeurs plaît, car elle a un côté humain et rassurant. Elle renvoie à l’idée du cocon douillet et chaleureux.  » Que ce soit en famille ou en affaires, entre les frangines, la confiance est totale.  » C’est la seule personne au monde à qui je peux confier les cordons de ma bourse tout en dormant sur mes deux oreilles, poursuit Domitille Brion. Nous sommes en symbiose : c’est une chance inouïe de se lancer avec quelqu’un que l’on connaît parfaitement. On sait quand il faut prendre des pincettes ou se parler franchement. On se rebooste mutuellement, on se redonne le moral. C’est un ping-pong constant.  » Complémentaires, donc, mais loin d’être similaires… Comme le rappelle le mannequin Bella Hadid, dans une interview accordée au magazine américain Teen Vogue :  » J’ai toujours été le mouton noir de la famille… Nous avons beaucoup de points communs – nous avons la même voix – mais c’est elle qui a eu de bonnes notes à l’école. Elle est belle, intelligente et drôle. Moi, j’étais plutôt du genre à me rebeller. Je voulais montrer aux gens que nous sommes différentes. J’ai même teint mes cheveux.  »

Fusionnelle ou conflictuelle, faite de complicité ou de rivalité, la relation dans la fratrie n’est jamais un long fleuve tranquille. Elle ne ressemble d’ailleurs à aucune autre.  » Nos frères et soeurs incarnent les figures contradictoires de notre monde interne, auxquelles nous nous confrontons en grandissant, insiste la psychologue et psychanalyste Lisbeth von Benedek, auteure du livre Frères et soeurs pour la vie. L’empreinte de la fratrie sur nos relations adultes (Eyrolles). Ils seront nos complices et nos doubles obscurs, soit une sorte d’ombre, opposée à l’image offerte au regard des autres, soit une figure d’ami intérieur.  »

BUSINESS IS BUSINESS

Mais qu’arrive-t-il en cas de désaccord ? Est-il bon de mélanger famille et business ? Au début de leur collaboration, Domitille et Angélique Brion ont été mises en garde par leur entourage à plusieurs reprises.  » On est toutes les deux conscientes des risques que cela implique, mais, par pudeur, nous n’en parlons pas, explique la première. Nous avons l’intelligence de préserver notre relation et de nous dire que nous avons des intérêts communs. La raison prend le dessus lorsque l’on a des désaccords, car c’est avant tout une entreprise, pas un projet affectif. On ne l’a pas monté ensemble pour « être ensemble ». On l’a fait parce que l’on y croyait.  »

Un argument repris par Frédérique Clavel, présidente de Fédération Pionnières, un réseau français d’incubateurs et de pépinières de sociétés au féminin. Peu importe que l’on soit en couple, entre amis ou en famille. Selon elle, le challenge est le même : il faut d’abord partager une vision globale du projet et avoir des compétences complémentaires.  » Il n’y a pas de règles, assène-t-elle. La sororité n’est pas la garantie du succès, mais elle apporte un avantage conséquent sur les autres formes d’entrepreneuriat : les soeurs débattent en toute honnêteté, sans la crainte de heurter les ego des unes et des autres. S’exprimer librement, sans se censurer, telle est la clé de la pérennité d’une entreprise.  »

Le vrai danger serait donc non pas de mélanger famille et business… mais de ne pas assez cloisonner carrière et vie privée.  » L’entrepreneuriat nous prend aux tripes et exige que l’on s’y consacre corps et âme. Résultat : les frontières entre vie professionnelle et personnelle sont très poreuses « , prévient-elle. Pour Nathalie Wu et Ninny Heide, cofondatrices de la marque de maroquinerie Nat & Nin, cette porosité n’est pas un obstacle, mais plutôt un mode de vie. La première a 35 ans et se dit plus posée et flegmatique. La seconde, âgée de 29 ans, est plus fougueuse et baroudeuse. En 2015, elles ont soufflé la dixième bougie de leur label.  » Nos parents sont façonniers et travaillent ensemble dans la maroquinerie, précisent-elles. On a toujours baigné dans le monde du cuir. Rien de plus normal et naturel pour nous que de parler business. Tout est imbriqué : famille, travail, création, finance… Ce n’est pas un mal, c’est juste une autre façon de voir les choses ! » Selon ces deux acolytes, la difficulté est ailleurs.  » Pour tout entrepreneur qui se respecte, le lâcher-prise est le plus gros challenge, et les vacances finissent par devenir une fausse bonne idée, disent-elles, souriantes. Notre plus grande satisfaction est de durer, mais cela a un prix. On a démarré à deux avec de grands rêves et de petits moyens. Aujourd’hui, on a une dizaine de salariés. C’est la plus belle des victoires… « 

PAR REBECCA BENHAMOU ET CASSANDRE MONTORIOL

 » ON MARCHE À DEUX TÊTES, ON SE COMPLÈTE. ON EST COMME LES HÉMISPHÈRES DROIT ET GAUCHE D’UN SEUL CERVEAU.  »

 » DANS UNE PÉRIODE AUSSI ANXIOGÈNE QUE LA NÔTRE, LE RETOUR À LA FAMILLE JOUE UN RÔLE PLUTÔT FÉDÉRATEUR ET CONSENSUEL.  »

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