Nourrie à la diaspora et emmenée par quelques chefs israéliens emblématiques, la cuisine juive sort du placard. Exit le folklore, cette gastronomie a désormais tout d’une grande.

Elvira n’est pas  » une fille du peuple d’Israël « , comme elle le fait savoir d’emblée. Elle ne suit pas non plus la cacherout – les lois qui règlent les prescriptions alimentaires du judaïsme. Pourtant, cette foodie de 28 ans en connaît en rayon en matière de gastronomie juive. Croisée chez Shoresh, une épicerie bruxelloise spécialisée dans les produits casher, cette avocate explique comment elle est devenue incollable sur le sujet.  » J’ai eu un petit ami ashkénaze dont la famille suivait cette tradition. Très branchée nourriture, j’ai vite compris le véritable génie qui était à l’£uvre dans les cuisines juives d’Europe centrale. Les Juifs de ces latitudes ont été complètement coupés de leurs racines. Ces hommes et ces femmes se sont débrouillés avec les moyens du bord. Ils ont fait preuve d’une capacité d’adaptation étonnante entre les prescriptions religieuses et les ressources locales. « 

Intarissable sur le sujet, Elvira maîtrise toutes les recettes de cette gastronomie dont elle loue  » l’incroyable vitalité « . Elle confectionne elle-même son pastrami et prépare aussi chaque semaine la halla, le pain tressé traditionnel du sabbat, sans pour autant respecter les impératifs de cette journée de repos incompatible avec le rythme effréné de sa vie professionnelle.

Pour elle, il ne fait pas de doute que la cuisine juive mérite sa place à côté des world food qui occupent le devant de la scène gastronomique :  » Son heure est venue. Je pense que cette pertinence est due à la prodigieuse économie de moyens qui la caractérise. Au moment où l’on redécouvre les légumes prolétaires et où un souffle décroissant rafraîchit la gastronomie, la cuisine issue de la diaspora ashkénaze fait merveille avec des ingrédients hypersimples : oignons, pommes de terre, choux, betteraves, viandes bouillies, poissons modestes… La leçon est plus que jamais d’actualité à l’heure où il convient de se porter responsables des ressources de la planète. « 

MONTÉE EN PUISSANCE

Si Elvira plaide avec conviction la cause de l’art culinaire juif, d’autres marqueurs sont là pour en pointer la montée en puissance. De la même façon que les pizzas ont préparé l’avènement de la gastronomie italienne et les sushis celui de la nippone, certaines préparations issues de la tradition juive invitent les palais européens à la découverte. C’est d’ailleurs une constante des différentes world food qui émergent : elles sont toujours précédées par un mets emblématique – en général à l’esprit très street food – livrant une version  » digest  » de la cuisine en question. Ce sont d’abord les falafels qui ont joué les ambassadeurs. Il est piquant de savoir que si le mets est représentatif de la table israélienne, ses origines sont libanaises. Ces boulettes à base de pois chiches, d’oignons et d’ail, se sont répandues dans le monde entier, notamment sous la pression d’un temps de repas sans cesse plus court et d’une demande végétarienne croissante. Idem pour l’houmous, condiment particulièrement à l’aise avec une nourriture savourée en petites portions. Mais le poids lourd du genre est sans aucun doute le bagel, petit pain juif d’Europe centrale. Dégusté avec un mélange de fromage frais, de saumon fumé, d’oignons rouges, de tomates et de câpres, on le trouve aujourd’hui dans toutes les néo-cantines dignes de ce nom, de Paris à Londres, en passant par Bruxelles.

Deux facteurs ont encore accéléré le mouvement. Il y a d’abord l’essor du vin israélien dont la reconnaissance tient à la prolifération en Israël des  » boutique wineries « , soit une constellation de petits producteurs signant des flacons de qualité. Ce renouveau viticole a entraîné dans son sillage une autre dynamique positive : les chefs ont eu envie de faire vibrer ce patrimoine gustatif à l’unisson d’un répertoire réinventé. Du coup, une série de toques se sont mises à repenser la cuisine juive à l’aune des gastronomies espagnoles et scandinaves en plein buzz. À Tel-Aviv, c’est Aviv Moshe, un chef passé par feu El Bulli, le mythique restaurant de la Côte catalane, qui fait office de pionnier. Son Messa est la coqueluche design de la jeunesse dorée de la ville. Le succès est au rendez-vous, Wallpaper* a hissé l’adresse parmi les 80 meilleurs restaurants de la planète. Son style ? Audacieux, façon poitrine d’oie fumée chou-fleur ou joue de b£uf accompagnée d’une crème de patates douces au gingembre. Meir Adoni, chef du Catit, fait lui aussi la Une. À près de 40 ans, ce talent a voyagé à travers le monde pour signer une cuisine israélienne nourrie d’influences étrangères tout en restant farouchement méditerranéenne. Quant à Rafi Cohen du Rafael, il se profile comme le grand alchimiste d’un métissage néo-oriental. À Jérusalem, Michael Katz, à la tête de plusieurs adresses – Adom, Colony et Lavan -, propose, lui, une table très personnelle qui colle aux produits locaux à coups d’aubergines grillées, de fromages de chèvre revisités avec des herbes ou de risotto de petits pois et pistaches.

PLUS PROCHE

Difficile pour le moment de goûter à cette effervescence en Belgique même si l’on compte quelques traiteurs et restaurants réputés : Food Art Europe et Serfati à Bruxelles, Hoffy’s et Lamalo à Anvers. À suivre : Loulou, à Bruxelles, une petite adresse urbaine à la fois restaurant et traiteur. Pastrami fait maison et bagels savoureux sont au programme mais également des préparations plus exclusives – et directement inspirées de la tradition ashkénaze -comme l’assiette Klezmer qui fait la part belle aux foies de volailles hachés accompagnés d’£ufs, d’oignons et de pommes de terre.

PAR MICHEL VERLINDEN

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