Moins connue que sa grande sour Nosy Be, l’île de Nosy Komba, au nord de Madagascar, pourrait figurer le paradis des origines : plages de rêve, flore inviolée et faune… envahissante !

« Vasaha, attention à ta banane !  » Chaque fois, le spectacle fait hurler de rire les gamins installés sous le cocotier. Le vasaha, le Blanc, vient à peine de débarquer sur l’île et déjà un spécimen particulièrement téméraire de lémurien vient de lui chiper une bonne partie de sa banane. En dix secondes, le vasaha est entouré d’une dizaine de petits poilus sautillants, à peine plus gros que des chats : des makis macacos. Inutile de s’armer de jumelles et de patience, d’attendre des heures caché dans la forêt, un simple fruit suffit à les attirer. Ils montent sans se faire prier sur votre épaule et posent pour la photo. Chouchoutés par les habitants, qui les tiennent pour sacrés, ces makis ne sont plus sauvages, mais ils ne sont pas totalement domestiqués pour autant : il suffit de les voir sauter d’une case à l’autre, abîmant au passage des toits en feuille de bananier qui ont nécessité des heures de tressage, pour constater qu’il leur manque encore quelques bonnes manières…

Nosy Komba, l’île aux Lémuriens, n’a donc pas usurpé son nom. De cette terre idyllique la plupart des visiteurs n’auront l’occasion d’apprécier que cette colonie de makis peu farouches. Le temps d’un cliché et de quelques emplettes au marché artisanal – l’île n’est souvent qu’une étape dans les circuits calibrés-minutés des voyagistes. Pourtant, Nosy Komba vaut davantage qu’un bref passage. Pour s’y rendre, il faut laisser derrière soi la grande île de Nosy Be – sa capitale, Hell-Ville, ses demeures coloniales, ses magasins de souvenirs en enfilade et ses bars interlopes. La traversée entre les deux îles ne dure pas vingt minutes, mais elle suffit à s’éloigner des autoroutes touristiques. Vu de loin, Nosy Komba semble imprenable. C’est une montagne qui sort de l’eau, un ancien volcan intégralement recouvert de forêts. A peine distingue-t-on quelques toits à travers l’épaisse couche de végétation.  » Pas de voiture, pas de moto, pas de bruit ! Là-bas, c’est tranquille !  » prévient Jo, le piroguier. Son bateau contourne un petit cap. Jo pointe le doigt :  » Les drapeaux de Nosy Komba !  » Sur la plage d’Ampagourina, tendues sur un long fil, des nappes blanches volent au vent. Ici, les femmes excellent dans la broderie Richelieu.

Ampagourina est le village le plus important de l’île. Pour rejoindre les autres, il faut reprendre une pirogue ou… escalader la montagne. Car aucune route, aucune piste ne longe la côte. Dans tout le village, c’est le même conseil :  » Pars avec madame Yvonne. Il y a beaucoup de chemins, là-haut. Il est facile de se perdre. » Yvonne Jacqueline Abdallah a 66 ans. Chaque arbre, chaque plante constitue une halte, une nouvelle histoire. Ici, un arbre à pain ; là, un jaquier, dont les énormes fruits sont très appréciés à Madagascar. En faisant infuser ses feuilles, on vient à bout d’une mauvaise fièvre. Celles-ci guériront la rougeole. Les habitants de Nosy Komba ont une véritable pharmacie à portée de main, mais aussi une salle de bains : avec cette feuille, on se lime les ongles ; une fois coupée, cette petite branche fera une brosse à dents très efficace ! Et cet énorme tronc d’arbre, abattu il y a quelques jours ? Creusé par les mains expertes des artisans du village d’Antamotamo,  » ce sera bientôt une pirogue « . Palissandre, feuilles de bananier, il y a aussi tout pour la maison, du sol au plafond.

A l’arrivée au sommet, à 600 mètres d’altitude, la vue est imprenable. A droite, des îles à perte de vue : Vorona, Ambariotelo, et à l’horizon, l’archipel des Mitsio. A gauche, Madagascar, la Grande Terre. Le sentier redescend, traverse une vieille plantation d’ilang-ilang, vestige de l’ancienne mission catholique, et s’enfonce à nouveau dans la forêt. A l’ombre des grands arbres, le poivre, le café, le thé poussent sans effort. En certains endroits, des lianes parsemées d’orchidées s’entortillent autour des jeunes troncs. De ses fleurs blanches on tirera l’or noir de Madagascar, la vanille.

Il est déjà midi quand le chemin dévoile le petit village d’Anjiabe et sa plage, l’une des plus belles de l’île. C’est l’heure de la récréation, des enfants jouent sur le sable blanc. Une pirogue à balancier revient de la pêche, avec dans ses filets des raies, des calmars, des mérous… C’est comme si la nature nous rejouait le mythe de la corne d’abondance, comme si les hommes n’avaient jamais eu qu’à se baisser un peu, à se hisser sur la pointe des pieds pour cueillir un fruit, une épice ; remonter le filet pour récolter une moisson de poissons ! Du coup, l’oisiveté à Nosy Komba ne réveille aucun scrupule. Et l’on ne consent à quitter le hamac que pour un plongeon dans les eaux turquoise du canal de Mozambique, voire une petite excursion à Nosy Tanikely, un sanctuaire corallien adoré des plongeurs. Inutile d’aller en eau profonde : un masque et un tuba suffisent pour plonger dans l’univers des poissons-clowns, des perroquets et des tortues géantes. Le monde du silence à 5 mètres du bord !

Certains soirs, quand le soleil va se cacher derrière Nosy Be, les enfants d’Ampagourina se réunissent sur la plage pour assister à un concert improvisé. Sous une paillote, les Dauphins, de jeunes musiciens locaux, profitent des dernières réserves du groupe électrogène pour brancher micros et guitares. Appuyés contre une pirogue, quelques vasaha se décident à prendre un dernier bain de mer avant d’aller au lit. A Nosy Komba, l’électricité est une denrée rare, et la nuit fait office de couvre-feu. Bercé par le bruit des vagues, le vasaha prévoyant fait comme les villageois : il s’endort tôt. Car demain matin, dès les premières lueurs, les pas sur le toit de quelque maki mal élevé pourraient bien le tirer de son profond sommeil.

Guillaume Villadier

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