Ingrédient majeur de la parfumerie masculine, la note boisée offre plus d’une facette : sèche, tendre ou chaude, elle raconte chaque fois une histoire différente…

PAR GUILLAUME CROUZET / PHOTOS : PATRICK PARCHET

Il y aura bientôt vingt ans, Serge Lutens frappait un grand coup dans le monde de la parfumerie en lançant un jus doublement provocateur. Surdosé en cèdre, mais infiniment sensuel avec sa note de prune confite, il avait osé baptiser ce futur classique du nom de Féminité du bois. Antinomique ? Pas tout à fait, mais si les notes boisées font aussi partie du registre des parfums féminins, avouons qu’elles sont le plus souvent bien moins présentes dans ces formulations que dans celles des opus masculins. D’ailleurs, interrogé aujourd’hui sur cette création, Lutens reconnaît avoir voulu  » retrouver le bois de façon douce, confortable et non machiste « . Bref, presque une reconnaissance du mâle caractère, quasi intrinsèque, que l’esprit accorde généralement aux fragrances boisées.

 » Un, deux trois, nous irons aux bois  » : il n’y a pourtant pas si longtemps que, délaissant la lavande et les notes citronnées des Cologne, les jeunes gens ont pu fredonner cette comptine et s’offrir un parfum qui mettait ces notes en avant.  » À vrai dire, les premiers boisés de la parfumerie moderne, pointe Jean Guichard, directeur de l’école de parfumerie Givaudan, sont sans aucun doute les vétivers. Celui de Carven en 1957, puis ceux de Guerlain et de Givenchy dans les années qui suivirent.  » Chose amusante d’ailleurs, si le vétiver, tout comme le patchouli, sent le bois, ni l’un ni l’autre n’en sont, pourtant. Le premier est une plante d’Haïti ou de Java (aux senteurs plus fumées dans ce cas) dont on distille les racines. Le second provient des feuilles séchées d’une plante tropicale. Ce sont elles qui servaient de base, au XIXe siècle, aux sachets de pot-pourri en vogue dans l’Angleterre victorienne.

Alors ? En dehors de ces végétaux aux notes boisées, quels sont les véritables arbres dont on distille copeaux, écorce ou racines ? Ils sont deux, principalement. Le cèdre et le santal.  » Chaque variété et la provenance géographique de ces bois ont leur importance dans le caractère que l’on veut donner à la fragrance « , explique le parfumeur Olivier Pécheux, qui vient de composer Legend pour Montblanc et 34 pour Diptyque, deux parfums où les notes boisées jouent une partition essentielle.  » Le cèdre du Texas, poursuit-il, est à la fois sec et fin. Celui de Virginie possède une odeur caractéristique de crayon à papier. Quant à celui de l’Atlas, c’est le plus virulent. L’emploi de l’un ou de l’autre est donc une question de dosage afin d’obtenir l’effet souhaité. « 

L’essence de santal, elle, vaut presque 40 fois plus cher que celle du cèdre. L’arbre, victime de la déforestation en Inde, est de plus en plus exploité en Australie. Il donne des notes aux nuances poudrées, voire lactées, et très enveloppantes. Quand le prix des matières premières devient une folie, comme c’est le cas avec l’oud – ce rare champignon, qui pousse à l’état sauvage sur certaines écorces, donne des effluves boisés chauds, sensuels, au caractère presque animal, et vaut au minimum 10 000 euros le kilo d’essence -, les parfumeurs le réinventent ou utilisent des ersatz de synthèse. Leather Oud chez Dior, Oud Royal chez Armani, Oud & Bergamot chez Jo Malone, Incense Oud chez Kilian : depuis quelques mois, c’est une véritable déferlante. Ce printemps, on sait donc de quel bois les hommes se chauffent…

Carnet d’adresses en page 76.

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