Le nouvel aventurier

Chez Prada, les trekkeurs virent au psychédélique pour cette belle saison. © DI G I T A L C ATWALK/PHOTOSHOT / NURPHOTO

Des shorts multipoches de scouts, des polaires colorés, des couches de coupe-vent et des mousquetons. Plus chic que Saint-Barth, le bon air de la montagne fait vibrer les créateurs. Guide de survie de l’outdoor 2017.

La gourde accrochée au sac à dos, porté en bandoulière, se balance au rythme du pas de son propriétaire. Sous une légère parka argent se sont glissées deux autres couches de tissus techniques aux teintes pop, quand des chaussettes à empiècements multicolores paradent dans des sandales sportives. Contrairement aux apparences, cette silhouette n’est pas celle d’un randonneur croisé à la fraîche, un dimanche, en montagne, mais sort tout droit du défilé Prada printemps-été 17. Inspirée par le thème du voyage,  » cette manière de partager, de faire se rencontrer différentes cultures « , Miuccia Prada taille une place de choix aux vêtements d’extérieur dont elle habille ses trekkeurs psychédéliques. La créatrice milanaise est loin d’être un cas isolé cette saison. S’il peut être surprenant sur des collections estivales, ce clin d’oeil l’est moins quand on sait que les pièces outdoor fleurissent dans la rue depuis quelque temps. Mais comment les polaires, longtemps considérés comme le comble de l’anti-mode, et les mousquetons d’alpinistes se sont-ils frayé un chemin jusque sur les podiums ?

Parkas The North Face ou Stone Island, sandales Teva et chaussures de course en montagne Salomon… Dans les grandes capitales, les marques spécialisées dans les vêtements d’extérieur font aujourd’hui l’objet d’un fétichisme – Internet aidant – qui n’a rien à envier à celui consacré aux griffes de mode. A l’été 2015, un modèle de baskets de la marque savoyarde Salomon intégrait déjà la sélection très pointue de la boutique multimarques parisienne The Broken Arm. En fins observateurs de leur époque, les géants du sport se sont aussi positionnés sur ce créneau prometteur. La même année, Nike relançait sa mythique ligne ACG ( » All Condition Gear  » : en français,  » équipement pour toutes conditions « ), alors qu’Adidas a présenté, l’été dernier, la deuxième collection de sa ligne Originals en collaboration avec les Japonais de White Mountaineering, leader nippon du secteur. Quant aux spécialistes des vêtements de plein air, ils déclinent aujourd’hui leur expertise sur toutes les saisons, comme Canada Goose avec ses parkas ultralégères ou ses sweats matelassés.

Plonger dans la nature

 » Le phénomène est arrivé du Japon il y a trois ou quatre ans « , explique Mordechai Rubinstein, photographe de streetstyle new-yorkais plus connu sous le pseudonyme de Mister Mort. Contrairement à ses collègues, ce dernier préfère immortaliser les élégances du quotidien plutôt que les poses des créatures de mode :  » L’homme normal, qui porte les mêmes vêtements depuis vingt ans, pour une raison bien précise : la pluie, son boulot, ou juste le confort.  » Mordu absolu de pièces outdoor, Mordechai Rubinstein poursuit son explication en racontant sa  » conversion « .  » Il y a sept ans, j’ai acheté mon premier polaire Patagonia à San Francisco, un sweat dont les manches se portaient remontées ou baissées, selon le temps. C’est particulièrement pratique dans cette ville où le temps change en un claquement de doigts. Ça a été un déclic. Nous étions en plein boom de la mode masculine, avec tous ces garçons en blazer et chapeau. Je me suis dit que c’était à l’opposé de mes envies, du coup, j’ai laissé pousser mes cheveux, je me suis mis à porter du tie and dye, à ressembler à un hippie et à mettre du Patagonia presque tous les jours.  »

A l’exact opposé d’une mode dont l’esthétique serait la valeur cardinale, l’essor de l’outdoor à la ville, à des kilomètres de son habitat naturel, s’appuie plutôt sur une volonté très actuelle de reconnexion avec l’idée d’utilité.  » Comme les vêtements militaires, ce vestiaire possède une dimension fonctionnelle qui le rend intemporel. Aujourd’hui, les gens cherchent à mettre du sens dans leur vie, et cet engouement correspond à un moment où les citadins veulent se rapprocher de la nature « , analyse Sébastien Kopp, cofondateur de Veja. Taillé pour vivre à la montagne, faire du camping ou escalader une falaise, ce vestiaire éprouvé depuis des décennies sait désormais conjuguer le beau et l’utile… et parfois même l’écologie. Ainsi la protection de l’environnement est-elle au coeur de la politique de la marque Patagonia, qui utilise des matériaux durables et recyclés à 60 %.

En matière de mode, il faut replacer cette inspiration dans la continuité d’un élan de technicité qui irrigue les podiums depuis plusieurs saisons avec, notamment, l’influence de la course à pied. Or, pour réaliser un raid de 80 kilomètres en montagne, une chaussure se doit d’abord d’être résistante à l’hostilité des éléments et confortable. Cette radicalité dans la fonctionnalité intéresse les créateurs.  » Avec Moncler, je veux m’assurer que les gens perçoivent l’utilité dans les vêtements, quitte à emmener cette notion vers un extrême exagéré « , expliquait Thom Browne, à l’issue de son défilé Moncler Gamme Bleu. Un retour aux sources de la marque qui, à ses débuts, en 1952, fabriquait des sacs de couchage et des tentes. Revu avec le sens de l’outrance du créateur américain, cela donne des gabardines et des Nylon techniques et, surtout, des poches à gogo, des chaussettes hautes et des shorts, dans une joyeuse ambiance de camp scout. Une atmosphère très Baden Powell repérée également chez Undercover ou Craig Green.

En remettre une couche

Longtemps honni, le polaire revient aussi, brut et immaculé chez Joseph ou, à l’opposé, technique et sportif avec des empiècements en Nylon fluo chez Sacai, sans parler des parkas en Nylon ultralégères qui jouent les effets de cape. A l’outdoor, la mode emprunte également l’art des superpositions – la meilleure façon de maintenir le corps au chaud -, comme chez Versace, où les leggings tiennent lieu de pantalon, ou chez MSGM. Côté accessoires, on ne pourra échapper aux sandales de randonnée à scratchs, portées bien sûr avec des chaussettes, ni aux effets de cordes, clin d’oeil à ce sport extrême qu’est l’escalade. Cette saison, on les a repérées en ceinture sur de grands manteaux ou bien agrippées par un mousqueton à un pantalon chez Lanvin, qui revisite également les chaussons en gomme des grimpeurs.

Evidemment, ces accessoires sont destinés à arpenter les trottoirs et non les voies rocheuses. Pour beaucoup, c’est davantage l’esthétique de l’outdoor et le message qu’il véhicule – la performance, la liberté, la vérité de la fonction… – que la pratique réelle d’un sport qui compte. Ce vestiaire s’inspire aussi de la science en matière de protection contre un environnement hostile, comme d’un certain nomadisme, une problématique omniprésente à l’heure des conflits mondiaux et des flux migratoires. Pour autant, déconnecter les deux peut vite friser le ridicule.  » C’est comme mettre une grosse doudoune à la mode pour aller à un défilé, alors qu’il fait 30 °C ! « , lance Mordechai Rubinstein.

La tendance, elle, n’a pas l’air de vouloir s’essouffler : les collections de l’automne-hiver 17 s’annoncent sous le signe du grand air. De toute façon, l’outdoor peut passer de mode, mais ces  » vêtements d’une vie  » resteront fidèles au poste, attendant patiemment la prochaine virée en montagne ou en forêt.

PAR GINO DELMAS

 » Les gens cherchent à mettre du sens dans leur vie, et cet engouement pour l’outdoor correspond à un moment où les citadins veulent se rapprocher de la nature.  »

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