Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Finie l’ère des pêches au thon et du céleri rémoulade ! Les traiteurs d’aujourd’hui cuisinent en phase avec l’air du temps. Au menu de leurs prestations, ils programment les dernières tendances du moment façon fusion, finger ou fresh food. Sans oublier d’enrober le tout d’une mise en scène contemporaine.

Carnet d’adresses en page 114.

De l’avis de plusieurs observateurs avertis, le 6 octobre dernier restera longtemps gravé dans les tablettes du milieu de la mode. Ce jour-là, le créateur anversois Dries Van Noten organise son 50e défilé en grande pompe. L’occasion pour lui de mettre les petits plats dans les grands. L’ensemble de la presse internationale a répercuté cette soirée hors du commun. Partout, ce n’étaient que superlatifs à l’égard du styliste belge.

Pour fêter le lancement de sa collection printemps-été 2005 ainsi qu’un peu plus de dix ans de présence sur les podiums, Van Noten a donné la pleine mesure de son originalité, histoire de prouver qu’il ne fait rien comme les autres. L’endroit, d’abord : loin du Triangle d’Or du VIIIe arrondissement, épicentre du chic parisien, le créateur a opté pour une ancienne usine û une câblerie désaffectée û située à La Courneuve, au nord de Paris. Les proportions ensuite : une table nappée de blanc de 150 mètres de longueur, 120 lustres de cristal, 500 invités et pas moins de 250 serveurs. Le concept, enfin : un dîner-défilé durant lequel la table s’est transformée en catwalk. A la fin du repas, la lumière s’est intensifiée et les 120 lustres se sont élevés de concert pour faire place aux allers et venues des mannequins.  » Pure magie « , se souvient encore une journaliste d’un quotidien belge francophone ravie d’avoir fait partie des  » happy few « .

Outre le gigantisme de l’événement, c’est la scénographie qui a marqué les privilégiés qui ont pu assister au spectacle.  » Vers 20 h 30, pendant plusieurs longues minutes, une véritable armée de serveurs s’est installée derrière nous, tous alignés au cordeau. Chacun d’entre eux avait deux plats en main. Au même moment, ils se sont avancés pour déposer les assiettes devant nous. Le tout avec un synchronisme parfait. Ensuite, ils ont répété l’opération deux fois, pour le plat principal û du cabillaud aux petits légumes en papillote û et pour le dessert. Chaque fois avec la même perfection dans le timing. Impressionnant. A la fin, les convives ont applaudi les serveurs tellement leur prestation avait été à couper le souffle « , témoigne Alexandre, un jeune journaliste de mode parisien.

Une couronne à Loriers

Le secret de Dries Van Noten ? Il a fait appel à Loriers, le must made in Belgium. C’est cette maison qui a, à elle seule, pris en charge le repas et le service. Un défi de taille vu les dimensions de l’usine à l’abandon. Il a fallu préparer tous les plats le matin même et acheminer le tout de Bruxelles à Paris. Au total, cette folie de 3 heures a nécessité 72 heures de préparation.

Cela fait quelques années maintenant que Loriers s’impose comme une griffe d’excellence en Belgique. Fournisseur de la cour, ce service traiteur est né de l’initiative de Jean-Michel Loriers, un Bruxellois diplômé en sciences commerciales. Après un début dans son garage, transformé en atelier pour préparer des repas pour ses amis et leurs connaissances, le jeune homme a gravi quatre à quatre les marches du succès. Aujourd’hui, avec son équipe, il est sur tous les événements majeurs : des cocktails de la banque Degroof au récent lancement de be. TV, en passant par les mariages princiers. Le tout sans se départir de la touche artisanale qui a fait sa réputation et qu’il veut maintenir quelle que soit la taille du dîner à organiser. Loin de se reposer sur ses lauriers, il continue à progresser et à peaufiner les dîners qui portent sa signature jusque dans les moindres détails.  » Ma force, c’est d’être des deux côtés des événements. Sur les miens en tant que traiteur, sur ceux des autres en tant qu’invité « , commente-t-il.

Grâce à Loriers, la profession de traiteur a gagné ses lettres de noblesse.  » Pendant longtemps, le traiteur était mal considéré, on le considérait comme un fournisseur, pas un créateur, martèle Jean-Michel. Aujourd’hui, nous avons gagné une crédibilité à la force des poignets. Même des grands chefs comme Wynants ou Bruneau nous reconnaissent un savoir-faire et n’hésitent pas à travailler avec nous. » Le terme de  » traiteur  » étant tellement galvaudé, certains n’hésitent pas à qualifier Jean-Michel Loriers de  » food designer  » pour mieux souligner sa créativité et sa force d’innovation. D’autres n’hésitent pas à affirmer qu’un tel niveau de qualité se devrait d’être étoilé au Michelin.

Pour Loriers, la clé de la réussite consiste à explorer tous les possibles et toutes les tendances en matière de restauration.  » Il suffit de voir la différence entre un supermarché aujourd’hui et un supermarché d’il y a dix ans, commente-t-il. Aujourd’hui, le consommateur a tout à sa disposition. Dans ce contexte-là, c’est à nous à mettre les bouchées doubles pour l’épater.  » Pour viser le haut de gamme, Jean-Michel s’est entouré de fidèles lieutenants performants, dont Stéphane Rutté (directeur financier) et Vincent Godard (diplômé de l’école hôtelière de Namur). Il a également conclu des accords de collaboration avec les frères Van Hamme, entre autres à la tête du restaurant Le Mess, à Bruxelles. Une  » joint-venture  » des plus bénéfiques pour les deux partenaires qui  » trustent  » ainsi réceptions et dîners haut de gamme du pays. Dans le même temps, Loriers s’est implanté dans plusieurs endroits tels que le Château de la Solitude, à Auderghem, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles ou le château de Cocriamont dans lesquels il officie en exclusivité.

Une tendance de fond

D’autres traiteurs se surpassent, eux aussi, pour proposer une approche différente de la restauration en mouvement. Tel B.L.T. û un nom en forme de jeu de mots sur l’anglais  » be healthy « , littéralement  » sois sain  » û orchestré par Pascale Leybaert et Virginie Capiaux. La démarche peut surprendre : ici, aucun menu type sur lequel on peut se baser, aucune liste de prix.  » Quand les gens viennent me trouver, je demande trois choses : le thème du dîner, le budget et le type de public, explique Pascale. Je fais ma proposition sur cette base. Je refuse de m’installer dans une routine. Ce procédé est pour moi le seul qui puisse me faire éprouver du plaisir.  » Un plaisir que les deux complices avouent trouver dans la recherche et la créativité. Elles lisent toutes les revues, achètent des livres et goûtent à tout.  » Pouvoir épater des gens avec un légume oublié ou une sauce inédite, s’amuse Pascale. Notre truc pour le moment, c’est d’utiliser la vitelotte, une pomme de terre délicieusement mauve. Surprendre est notre vrai challenge.  »

Installée rue Fourmois à Ixelles, l’atelier de Pascale et Virginie est modeste mais imprégné d’une vraie atmosphère, celle d’un commerce d’autrefois. Au rayon des influences, le duo de passionnées fait valoir la cuisine énergétique, la raw food û cuisine basée sur le cru û, la cuisine japonaise et la slow food pour son respect des produits saisonniers. L’esprit B.L.T., c’est aussi multiplier les saveurs.  » Je suis quelqu’un qui adore grignoter, concède Pascale. Mon bonheur est donc de préparer des repas lors desquels le public peut picorer parmi un ensemble de tapas.  » Les deux chefs avouent également privilégier un travail aux dimensions artisanales.  » Il faut aussi que nous puissions nous nourrir, au sens figuré. Si nous nous noyons en travaillant à la chaîne, notre passion deviendra rapidement une routine « , affirme Pascale Leybaert.

Il y a un an, pendant deux mois, les deux associées ont, à la demande de la Fondation Roi Baudouin, animé gastronomiquement le fameux Pavillon des Passions humaines, le magnifique bâtiment dessiné par Victor Horta et niché dans le parc du Cinquantenaire, à Bruxelles. De l’avis de tous ceux qui se sont rendus dans cet endroit habituellement fermé au public, les mets servis lors de cette ouverture éphémère étaient totalement en phase avec l’esprit des lieux. Le public avide de communier avec le goût du jour s’est, quant à lui, régalé.

Autre traiteur à s’illustrer en Belgique, Fresh Company de Mary Fehily. Venue tard dans le métier, Mary est une vraie autodidacte qui a su trouver un style qui fait mouche. Irlandaise installée en Belgique, elle a su jouer de cette double appartenance pour louvoyer entre les cultures culinaires française et anglo-saxonne. Perpétuellement en formation et sur le qui-vive, elle puise son inspiration partout. Elle suit les cours de formation d’Alain Ducasse ou ceux du Ritz, mais ne se départit d’une séduisante simplicité. Pointue sur les produits, elle ne travaille que les légumes de saison. Elle ne transige jamais sur ce dogme de son orthodoxie diététique. Sa cuisine est régulièrement traversée par les grands mouvements culinaires qui déterminent l’air du temps. Son actualité ? Vulgariser les trois étoiles Michelin. Elle puise dans le répertoire des plus grands, de Michel Bras à Charlie Trotter en passant par Nobu, pour réinterpréter leur recettes dans le sens d’une séduction plus immédiate. En ce moment, par exemple, elle revisite un sushi de Nobu en le coiffant avec de l’avocat et un peu de crabe. Mary aime un certain minimalisme, les plateaux qu’elle crée en témoignent. On est du côté du jardin zen, de la composition inspirée où se mêlent herbes et condiments subtils.

Le Paris des  » foodmarketeurs  »

En matière d’innovation conceptuelle, Paris n’est pas en reste. C’est même la face la plus prospective de la profession qui s’y élabore. Là-bas, certains acteurs de la scène food voient dans le métier de traiteur rien moins que l’avenir de la restauration.  » On parle de plus en plus de restaurants éphémères, de concepts nomades et de happenings alimentaires, analyse Sébastien, gourou marketing pour une marque d’eau gazeuse. Dans ce contexte, auquel il faut ajouter le nombre croissant de consommateurs zappeurs et avides de nouveauté, je n’ai pas de mal à imaginer qu’un jour le resto soit totalement dépassé au profit d’un atelier culinaire qui, en fonction des moments et des saisons, s’incarnerait dans des lieux pour des durées déterminées.  »

La société Nomad, au nom évocateur, se présente, elle, comme  » développeur de déclinaisons alimentaires autour de l’univers de certaines marques « . D’emblée Martin, le fondateur, tient à mettre les choses au point :  » Je ne me reconnais absolument pas dans le terme de traiteur. C’est un bien vilain mot pour un très beau métier. Nous nous voyons plutôt comme des  » foodmarketeurs « , très attentifs aux dernières tendances, capables d’évoquer des univers ou de raconter des histoires au moyen de la nourriture.  »

Nomad possède déjà ses addicts et ses clients prestigieux. Le palmarès est impressionnant : L’Oréal, Lacoste, Cartier, Kenzo, Mont-Blanc, Guerlain, Absolut Vodka, Jean Paul Gaultier, Louis Vuitton, Chantal Thomass, Cappellini, Tag Heuer, Air France… Nombreuses sont les griffes qui font appel à cette structure. Autres faits d’armes, ce  » traiteur  » du nouveau millénaire a également conçu le repas pour les adieux d’Yves Saint Laurent et, plus récemment, pour le lancement de la mini-collection dessinée par Karl Lagerfeld pour les Suédois d’H&M.

Nomad signe un vrai travail de conceptualisation pour élaborer des mets dont les formes, les saveurs, les couleurs vont évoquer les valeurs de la marque en question.  » Ce sont les marques qui nous fournissent la majeure partie de notre travail car elles nous apportent de la matière pour faire quelque chose de différent, embraye Martin. Nous entrons en action lorsque ce que l’on nous demande de faire est neuf ou décalé. Pour cette raison, il ne nous arrive pas souvent de travailler avec des particuliers. Sauf si ceux-ci nous demandent de raconter une histoire. Pour un client qui a vécu en Afrique, nous avons organisé un mariage autour du thème de la girafe. Ce genre de requête est idéale pour nous faire déployer des trésors d’imagination.  »

Avec Nomad, la nourriture et les  » buffets  » flirtent avec d’autres disciplines telles que le design ou la mode. A certains moments, c’est même l’art contemporain qui est évoqué grâce à des installations réunissant inventivité, technique et style. Cette interaction entre nourriture et gastronomie se fait dans le sens d’un minimalisme des formes. Le tout de façon déconcertante : les couleurs et les textures sont sorties de leurs contextes habituels pour permettre au public d’intégrer la perception gustative de façon différente.  » Notre but est de faire varier les textures, de manière à ce que l’on découvre le sec, le lisse, le croquant, le moelleux et le liquide tout en jouant des couleurs, conclut Martin. Pour Nomad, les couleurs se regardent, se mangent, se boivent… pour une expérience totale, polysensorielle.  » Pas de doute, le champ des possibles est ouvert.

Michel Verlinden

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