Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

A l’heure du nomadisme triomphant et de l’outdoor attitude, le désert est une destination tendance. Rendez-vous dans le Sahara mauritanien, pour une expérience hors du temps.

Carnet de voyage en page 88.

 » Là-bas, l’espace et le temps se dilatent. On pénètre dans une autre dimension. Après un jour de marche, vous verrez, le stress s’écoule à la façon du sable dans la main « , nous promet un féru d’horizons désertiques. Autour de lui, une nuée de voyageurs, des étoiles dans les yeux, l’écoutent religieusement. Le ton est donné dès l’aéroport. Il n’est que 4 heures du matin mais ils sont déjà nombreux, dans leurs chaussures de trek, à attendre le vol pour Atar qui les plongera, en quelques heures, au c£ur de la Mauritanie. Un décollage à 180° de la réalité quotidienne relevant presque de la magie.

Pour tromper leur attente, les voyageurs pour Atar se plongent dans la lecture. Et il suffit de jeter un coup d’£il aux ouvrages qu’ils tiennent en main pour comprendre que le fil rouge du voyage est la quête spirituelle du bien-être : ils sont Paulo Coelho, Sri Prajnanpad, André Comte-Sponville, David Servan-Schreiber…

Parmi la foule : Céline, Caroline et Séraphine, toutes trois sorties d’un cursus d’études commerciales de haut niveau. Actives et indépendantes, elles sont employées par des entreprises qui comptent parmi les plus importantes de la planète. Rompues au marketing et aux voyages d’affaires, on les imaginerait plutôt embarquer pour l’une de ces destinations cinq étoiles dorées sur tranche. Il n’en est rien. Céline se marie et a décidé, pour enterrer sa vie de jeune fille, d’emmener ses deux amies en plein désert pour une pause très symbolique.

Pour faire l’expérience du désert, les trois complices n’ont pas élu une version édulcorée. Elles ont voulu le vrai désert, celui de la Mauritanie,  » diocèse  » du naturaliste et spécialiste français du Sahara Théodore Monod et pays que l’on surnomme la  » République des Sables « . Ce choix effectué, elles auraient pu arrondir les angles du voyage en préférant une découverte policée, comme celle de la ville de Chinguetti, par exemple. Pas question ! Elles ont désiré goûter au désert dans sa vérité la plus nue. Elles ont donc opté pour une odyssée d’une semaine dans le massif de l’Adrar à raison de 6 heures de marche par jour. Ce tassili – un plateau de grès – enchâssé dans l’erg mauritanien les a séduites par son oscétisme correspondant à leur envie de ne croiser aucun autre groupe de voyageurs.  » L’idée est d’oublier nos repères habituels et de nous frotter un maximum à la vie locale « , explique Céline. Une vie locale à laquelle nos trois aventuriers entendent bien payer un tribut : elles voyagent  » éthique  » en ayant choisi un voyagiste qui finance des micro-projets locaux.

On a marché sur les dunes

Sur place, la réalité dépasse les attentes. Il est difficile d’imaginer une rupture plus complète avec le rythme de vie tel qu’il a cours sous nos latitudes. Après avoir fait connaissance avec le reste du groupe et jeté un dernier coup d’£il à la piste d’atterrissage – la dernière trace de bitume offerte aux voyageurs pour huit jours – il est temps de filer vers le sud, à Ten Tacha, le point de départ de l’expédition. On aura à peine eu le temps de jeter un £il sur Atar, une ancienne ville de garnison française.

Deux heures et demie de pistes cabossées plus tard, le groupe de randonneurs découvre les douze dromadaires qui composent la caravane. Moemi, le vieux chamelier, invite à l’humilité face à ces  » vaisseaux du désert  » qui peuvent s’abstenir de boire pendant deux mois. De son côté, Djibril, le guide maure, donne le ton du voyage :  » Mettez vos montres dans votre sac à dos, vous n’en aurez plus besoin. Ici, c’est le soleil qui commande et il n’y a pas d’autre alternative que d’obtempérer « . Son £il est malicieux, il connaît les questions et les angoisses qui rongent les esprits septentrionaux. Il sait également que ces tracasseries ne résisteront pas longtemps au grand vide. Dans la foulée, apparaît Ramata, l’indispensable cuisinière qui distillera ses délices tout au long du parcours. La présence d’une femme au sein de la caravane est un cas unique sur l’ensemble des destinations sahariennes. Il témoigne de l’esprit d’ouverture de la Mauritanie qui considère la religion comme une affaire personnelle. Cela, même si l’islam est ici religion d’Etat.

La fin d’après-midi dorée par un soleil pâle est un moment parfait pour faire connaissance avec les paysages de ce pays dont les terres sont recouvertes aux deux tiers de dunes. L’horizon s’offre à 360 degrés. Il n’y a rien pour arrêter le regard. Une paix irréelle tombe progressivement sur le campement. Pour la première nuit, les participants hésitent entre la kaima, la tente nomade, et la belle étoile. Cette timidité ne durera pas : les nuits suivantes, au moment d’échapper à la fraîcheur de la nuit dans leur sac de couchage, ils seront une majorité à regarder la voûte céleste dans les yeux.

Le lendemain matin, c’est le grand départ. On apprend les gestes qui constitueront le nouveau quotidien : la crème solaire appliquée généreusement, les lunettes solaires qui apaisent la brûlure de la lumière et, finalement, le chèche qui s’enroule du crâne au cou. Puis, on marche. Droit devant. Jusqu’à vider le stress jusqu’ici accumulé. On ne se concentre plus que sur le sable et ses textures. Ce sont elles qui déterminent le rythme des pas. Tout change à tout moment, on prend appui et 50 cm plus loin on s’enfonce. Pendant sept jours, on va enfiler les bivouacs comme des perles sur un collier. Les noms se succèdent- Malichigdane, Fecht, Amatlich, Al Meddah, Azouega, Oua N’nas – comme une progression au plus profond de soi. On retient un tissu d’impressions et surtout la sensation de devenir plus léger au fil de la randonnée.

L’itinéraire qui mène de l’Erg Malichigdane à Oua N’nas ressemble à une boucle effectuée en plein c£ur du massif de l’Adrar, cette terre aride aux sables rouges située au milieu du pays. La frontière avec le Sahara occidental n’est pas loin et le voyageur ne peut s’empêcher de songer aux ruines du Fort Saganne qui hantent la région. En six jours de marche, le paysage prend toutes les formes. Ce sont d’abord des dunes à traverser avant d’approcher les crêtes rocheuses d’Ibi El Akhdar. Ensuite, à Fecht, on chemine sur la pierre sombre à travers l’immensité.

A la rudesse de ces paysages succède à nouveau le sable : l’Erg Amatlich vient étendre ses dunes gigantesques sur les parois du massif de grès. La traversée sud-est nord-ouest de l’Amatlich est une épreuve pendant laquelle on a tout le temps de songer au fantastique pouvoir d’érosion à l’£uvre dans cette contrée. Le vent ? Si l’on en croit Théodore Monod, le travail serait celui de l’érosion fluviale avant toute chose.  » Le vent n’aurait fait que construire et modeler les masses de sable qu’offraient à ces talents d’architecte les alluvions quaternaires une fois desséchées « , a-t-il écrit. Après les dunes éprouvantes se profile au loin la palmeraie d’Azouega, un lieu de rencontre où chameaux, chèvres et moutons font des réserves pour les jours à venir. Les nomades, eux, attendent leur tour pour remplir leurs guerbas, des outres en peau de chèvre. Le dernier tronçon du voyage qui mène à Oua N’as, lui, débouche sur une débauche étonnante de couleurs et de formes sur fond de cordon de dunes.

Tout au long du chemin, la marche est rythmée par les différentes cérémonies du thé, un rituel nomade qui a lieu au moins cinq fois par jour. La séance se compose de trois tournées : la première est une infusion, les deux autres des décoctions, la théière étant alors placée sur des braises. La première eau bouillante passée sur le thé est jetée, ce qui élimine les principes âcres du thé vert. Le sucre est placé dans la théière ; pour assurer sa répartition homogène, on doit remplir puis reverser plusieurs fois un verre dans la théière.  » Le premier verre de thé est amer comme la vie, le second doux comme l’amour et le troisième suave comme la mort « , commente Djibril. Pour déguster cette boisson bienfaisante comme il se doit, il faut la laper à petites gorgées en faisant le plus de bruit possible.

Les moments clés du séjour, ceux qu’on ne raterait pour rien au monde, se déroulent au lever et au coucher du soleil. Le matin, au moment où les alizés font battre la tente comme une voile, les hommes de la caravane s’agenouillent pour prier. Leurs visages caressent le sable.  » Allahou Agbar  » – Allah est grand – résonne dans une atmosphère de premier matin du monde. L’autre cérémonie, plus profane celle-là, se déroule au moment où, au milieu de beaux reflets roses, le soleil plonge derrière l’horizon. C’est à cette heure de la journée que l’on confectionne le pain : la pâte est enfouie dans du sable chaud recouvert de braises. Après avoir retourné la galette plusieurs fois, on ne la retire que lorsque la nuit est définitivement tombée. Tout le monde assiste à ce rituel dans le plus grand des silences. On est juste là, ensemble, submergé par un sentiment d’absolu.

Michel Verlinden

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