Mise en abyme

© Photos: Ola Rindal. Courtesy of the artist and Serpentine Galleries

Alors qu’il fait accourir le tout-Londres avec son exposition UUmwelt à la Serpentine Gallery, Pierre Huyghe se profile toujours davantage comme l’artiste le plus pertinent du moment. Ce qu’il faut savoir de ce talent français.

Il fait entrer de nouvelles formes dans les musées

Des abeilles, des fourmis, des araignées, des bernard-l’hermite, des lévriers à patte rose… Pierre Huyghe (Paris, 1962) convie dans les institutions culturelles des formes d’existence qui n’y ont pas habituellement droit de cité. C’est le cas à la Serpentine Gallery, où le visiteur attentif remarquera la présence troublante de mouches bleues communes. Ces insectes, dont le cycle de vie est de quinze jours, sont le signe d’une mise en abyme : leur existence éphémère se déroule au sein d’un événement temporaire. Chez cet artiste pluriel – vidéo, design, installations, performances… -, il y a une volonté de mélanger les règnes, qu’ils soient humains, animaux ou technologiques, et d’en perturber les hiérarchies.

Le temps est son champ d’action

Très significatif également est Cambrian explosion 14, une oeuvre qui a été exposée en 2016 à la Villa Empain, à Bruxelles. Faisant référence à l’aquarium, poncif de la décoration d’intérieur, il s’agit d’un parallélépipède rempli d’eau dans lequel flotte une pierre volcanique massive. Sous celle-ci, des animaux aquatiques vivants, aux contours extravagants, presque humains pour certains. La rencontre entre le monde minéral et ces formes de vie dessine une nature à la fois morte et en mouvement qui raconte un épisode du vivant : l’explosion cambrienne lors de laquelle se sont développés les organismes pluricellulaires. Un décor, certes, mais de ceux qui plongent l’esprit dans des abysses de réflexion.

Mise en abyme
© Photos: Ola Rindal. Courtesy of the artist and Serpentine Galleries

L’image et ses doubles

A Londres, Pierre Huyghe a installé cinq murs de LED projetant des milliers d’images qui se succèdent à une vitesse vertigineuse. Face à ce qui s’apparente à une vidéo, mais qui ne l’est pas, l’oeil est au bord du vertige. Cette installation résulte d’une démarche complexe. Le plasticien a réalisé une imagerie par résonance magnétique d’un individu en train de penser à une image. L’onde cérébrale qui en résulte est transformée en un motif… lui-même envoyé à travers des réseaux de banques de données opérant des correspondances formelles. Le tout pour une odyssée qui va de l’homme à la machine et finit par retourner à l’humain. Ce mouvement signe la volonté de l’artiste de faire coexister les registres que l’esprit tend à séparer.

La résistance à l’oeuvre

Le travail de Pierre Huyghe a ceci de particulier qu’il résiste à l’époque. Il est tout sauf taillé pour les réseaux sociaux, se refuse aux explications faciles et aux messages frontaux. On est loin de l’art spectacle destiné aux masses, ici  » l’émotion se mérite « , comme le notait la journaliste Emmanuelle Lequeux au moment de l’exposition de 2013, au Centre Pompidou. Dans le catalogue de l’événement, l’écrivain Tristan Garcia notait ceci avec la justesse qu’on lui connaît :  » L’oeuvre de Pierre Huyghe est l’hôte de cet esprit contemporain nébuleux, par les images, par les dispositifs d’exposition, par les célébrations, par la sexualité, par les corps animaux et humains, qui demande :  » Qui suis-je vraiment ?  » Et auquel l’écho de sa propre voix répond :  » Neutralisé tu n’es rien ; tu n’es qu’intensité.  »  »

Mise en abyme
© Photos: Ola Rindal. Courtesy of the artist and Serpentine Galleries

Il génère des écosystèmes

Les propositions de Pierre Huyghe vont bien au-delà du simple impact visuel. Son ambition est de créer des environnements qui induisent une certaine tonalité dans l’esprit du visiteur. Pour ce faire, il n’hésite pas à recourir à l’inframince, à ce qui est à peine perceptible. Ainsi de subtiles variations de lumière ou des atmosphères olfactives précises. Autant d’éléments qui se répercutent sur les affects du quidam découvrant son travail. Il faut également mentionner l’aspect sonore de ses oeuvres. A la Serpentine Gallery, par exemple, l’intéressé s’est amusé à traduire l’activité cérébrale en une séquence acoustique. Le tout pour de véritables paysages multisensoriels déroutant tout qui les arpente.

UUmwelt, Serpentine Gallery, Kensington Gardens, à Londres. www.serpentinegalleries.org Jusqu’au 10 février prochain.

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