Des côtes sublimes, des jardins emplis de roses et la maison de Victor Hugo tout juste restaurée. l’île anglo-normande de Guernesey est un parfait prétexte à un long week-end de printemps.

Un rocher sauvage et désert, battu par vents et marées, bref une vraie terre d’exil : depuis le séjour forcé qu’y fit Victor Hugo (1802-1885), Guernesey cultive une réputation d’île à la fois revêche et romantique. Tout cela à cause d’un jour gris et houleux d’octobre 1855 où l’auteur des Contemplations accosta avec famille et valises dans le minuscule port de Saint-Pierre. Ici, point de rocher sauvage et désert.  » Ce fragment de France tombé dans la mer et ramassé par l’Angleterre « , comme l’écrivait joliment Hugo, est un caillou long de 14 kilomètres, plutôt plat, genre gros galet à ricochets, parsemé de cottages coquets.  » On n’est pas en Grande-Bretagne, prévient d’emblée le chauffeur de taxi. Nous ne sommes pas anglais ni français, of course, mais normands. C’est ainsi depuis le Moyen Âge. Par exemple, Guernesey a sa propre monnaie, son propre Parlement et un gouverneur, nommé par la reine.  » Au moment où vous réglerez la course, vous aurez acquis le bagage historique indispensable à tout séjour, à savoir que Guernesey n’est ni plus ni moins que l’épicentre du duché de Normandie, d’où Guillaume le Conquérant prit d’assaut l’Angleterre en 1066 (ce que revendique aussi l’île voisine, Jersey). L’excentrique fierté des îliens découle de là.

À quelques kilomètres de l’aérodrome vit un authentique seigneur dont l’arbre généalogique s’enracine jusqu’à Richard C£ur de Lion. Il ne prélève plus la dîme (depuis 1945) mais verse toujours à Sa Majesté un cens symbolique. Peter de Sausmarez a la soixantaine aussi fantaisiste que ses camélias, dont 500 variétés s’enchevêtrent entre bambous et sculptures dans un jardin qui se visite avec bonheur. S’il est d’humeur badine, Peter vous guidera sur les traces du fantôme qui hante son manoir. Tous les samedis matin, les portes de son domaine s’ouvrent pour accueillir le marché des producteurs locaux, où des gentlemans-farmers en tweed échangent boutures de dahlia et tartes maison contre des livres guernesiaises. Dans un coin, Olive tricote. Olive est un musée vivant, qui porte la coiffe, parle l’ancien patois normand et fabrique de fameux pulls marins qui restent secs sous la pluie. Amoureux de destinations restées hors du temps, Guernesey est pour vous.

Même charme intact et cosy sur les sentiers qui courent le long des côtes. Le granit rose des rochers paillette une mosaïque de buissons, de bruyères odorantes. Une crique puis une autre, enrubannées de rosiers sauvages, mènent à Fermain Bay, sa plage et son idyllique coffee shop. En face, dans les brumes, surgit Sercq, autre Anglo-Normande excentrique où l’automobile n’a encore jamais roulé. Plus à gauche, l’île de Herm toute proche allonge ses kilomètres de sable fin et de dunes sauvages. Au bout du sentier, le port de Saint-Pierre berce ses petits chalutiers. Sous le soleil de midi, des bataillons d’hommes en costume et cravate blanche se pressent vers les pubs – difficile d’ignorer que Guernesey est aussi un paradis fiscal.

Le meilleur est à venir, en haut de la colline qu’il faut gravir pour rejoindre Hauteville House. Sur l’incroyable maison de Victor Hugo, tout a été dit. Rappelons les mots de Charles Baudelaire, écrits en 1859, qui en épousent le mieux la magie :  » On me dit que vous habitez une demeure haute, poétique et qui ressemble à votre esprit, et que vous vous sentez heureux dans le fracas du vent et de l’eau.  » Hugo y invente un métier : décorateur métaphysique. Du vestibule sombre, jalonné de profondes pensées ( » Exilium vita est  » – la vie est un exil – ou cet extrait des Contemplations :  »  » Immensité !  » dit l’être.  » Eternité !  » dit l’âme « ), on grimpe vers la lumière. Les marches craquent sous le velours rouge des tapis, les mêmes qu’à l’époque. Car rien n’a bougé depuis cent cinquante ans : ni les murs tapissés d’étranges boiseries qu’Hugo chinait et assemblait lui-même, ni les tapisseries baroques et la bibliothèque, ni, tout en haut, le célèbre bureau vitré ouvert sur la mer où le maître écrivait debout. Pareilles aussi, la forêt de roses, de glaïeuls et de fuchsias du jardin, et, en contrebas, la mer qui roule à l’infini vers la baie de Saint-Malo.

Par Nathalie Chahine

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