Si ce n’est toi…

© KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

« Wham! Bam! Mon chat, Splash, gît sur mon lit, a bouffé sa langue en buvant dans mon … » Dans mon quoi? Les téléspectateurs de cette publicité pour une célèbre marque de céréales ne le sauront pas, et pour cause: le mot a été censuré. Sans autre forme de procès, et sans doute parce que les concepteurs du spot ont parié sur le fait que personne ne remarquerait l’absence de deux misérables syllabes dans le charabia nasillard de Plastic Bertrand – d’accord, ce n’était pas lui, alors rendons à Lou ce qui appartient à Deprijck. Quant aux raisons de cette censure, on imagine que c’était pour préserver nos chères têtes blondes d’un terme aussi pernicieux que « whisky », puisque c’est l’objet du délit. On vous voit, ceux qui en profitent pour pester sur l’hypocrisie de ces puritains d’Américains, alors qu’il n’en est rien: la chanson a servi à vendre des tas de choses, des couches pour bébés aux assurances, or il semblerait que c’est la première fois qu’elle subit un tel traitement. Même les très frileux Coca et Pepsi avaient laissé prononcer le nom du spiritueux, peut-être parce qu’il se marie mieux avec leur soda que des flocons de maïs – enfin ça reste à prouver, si ça tombe on tient là le nouveau petit déj’ des champions ; vivement le prochain brunch chez les Johnson. Quoi qu’il en soit, il fut donc décidé d’estropier le texte original, qui contient d’ailleurs d’autres références éthyliques, comme la bière dans un grand verre (en caoutchouc, ouhouhouhou) ou l’alcool qui ne risque pas de manquer. Sauf que, contrairement à une croyance populaire, il n’est pas question de « l’alcool » mais de « la colle », celle que sniffaient les pas sages cloutés. Ce qui n’est guère un progrès, du moins dans la colonne bien-être/santé, mais c’est ce qui arrive quand on choisit comme bande-son l’histoire d’un type qui hallucine dans la gouttière, parce que son lit est squatté par son vieux chat crevé.

‘Si u0026#xE7;a tombe on tient lu0026#xE0; le nouveau petit du0026#xE9;j’ des champions ; vivement le prochain brunch chez les Johnson.’

Quant à savoir pourquoi une marque s’empare d’un tube punk sans en assumer la subversion gentiment formatée, les raisons remontent peut-être aux origines mêmes du produit. Car s’il est de notoriété publique que l’inventeur accidentel des corn flakes n’est autre que le docteur Kellogg, on sait moins qu’ils faisaient partie d’un régime anti-aphrodisiaque volontairement insipide, excluant alcool, tabac et café. L’objectif poursuivi par ce cuisant ascétisme était de prévenir toute tentation masturbatoire, et 127 ans plus tard, on ne voit toujours pas bien le rapport ou la base scientifique, en tous cas tout ça ne fait effectivement pas très King of the divan, ou alors psychiatrique. Il est permis de se dire qu’on filait un drôle de coton chez Kellogg’s à l’époque, et que sous l’effet de lointains héritages, les actuelles démonstrations de puritanisme un peu absurde relèvent d’une certaine logique. A un détail près: pas plus que Plastic Bertrand ne chanta Ça plane pour moi, et malgré une tenace postérité, ce n’est pas le docteur Kellogg qui transforma un hasard en success-story: c’était son frère. Décidément.

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