Le grand architecte portugais Alvaro Siza a reconverti une ferme traditionnelle de la Côte belge en une résidence ultramoderne doublée d’un espace d’art contemporain. Le superbe paysage des Polders sert d’écrin à cet ensemble tout en harmonie qui abrite toujours une activité agricole. Visite guidée.

Il est l’un des plus grands architectes contemporains au monde. Lauréat de nombreux prix, dont le prestigieux US Pritzker Prize for Architecture en 1992, le Portugais Alvaro Siza s’illustre par une  » architecture puissante et cohérente, capable de répondre à un environnement sans renoncer à son identité fonctionnelle et stylistique « , selon Kenneth Frampton qui lui a consacré une monographie. Un de ses opus les plus célèbres ? Le pavillon du Portugal de l’Exposition universelle de 1998 érigé dans le parc des Nations, à Lisbonne, et aujourd’hui toujours lieu d’expositions.

En Belgique, Alvaro Siza a mis son talent au service de la rénovation d’une ferme traditionnelle, nichée à Oudenburg, à quelques kilomètres d’Ostende, et dont l’histoire remonte à 1690. Ce projet est le fruit d’une longue réflexion entre l’architecte et ses propriétaires qui souhaitaient poursuivre une exploitation agricole – afin de participer à la conservation du superbe paysage des Polders – tout en bénéficiant d’une résidence privée doublée d’un espace d’art contemporain (lire l’encadré page 49). Un vaste chantier marqué par une exigence extrême de la qualité et de la perfection, qui a conduit l’homme de l’art à analyser la fonction et la portée de chaque détail, avant de tracer les premiers traits de chaque dessin.

Alvaro Siza a tout d’abord analysé les caractéristiques du paysage environnant : la région se distingue par des constructions agricoles groupées avec des fermes en U, les unes séparées des autres par des prairies et des champs cultivés.  » Tout le territoire est ainsi structuré, consolidé par l’agriculture, souligne l’architecte. Les arbres sont là pour protéger du vent, les petits fossés pour laisser l’eau s’écouler. Sans agriculture, il n’y a pas de paysage rural. Le fait que les propriétaires aient la volonté de maintenir ici une activité agricole m’est apparu comme une opportunité extraordinaire. « 

Les maisons comme les étables affichent une silhouette fine, allongée et basse. Elles sont couvertes de toits de tuiles rouges, alors que les murs en briques de terre cuite sont essentiellement peints à la chaux. Ce modèle existant a été entièrement reconstruit à l’image de l’ancien corps de logis principal, devenu aujourd’hui galerie d’art. Des percées à la lumière zénithale ont toutefois été créées afin d’animer, au fil du jour, l’immense blancheur des murs cimaises.

Seule construction nouvelle implantée dans le paysage, la résidence privée forme un angle qui clôt le U amorcé par une ancienne étable. Elle se démarque de l’ensemble par ses lignes légèrement plus massives et par le choix des matériaux de couverture : le bois de cèdre pour les murs et le plomb pour la toiture.  » On peut utiliser la tuile lorsqu’il s’agit de la récupération intégrale d’un bâtiment ancien, mais pas dans un nouveau bâtiment, épingle Alvaro Siza. Le métal était plus approprié pour épouser à la perfection toutes les irrégularités qui naissent, non pas dans les parties planes, mais au niveau des jointures et raccords. J’ai en fait travaillé ici avec des matériaux que j’utilise très peu d’habitude : le bois de cèdre et le plomb. Placé à titre expérimental, celui-ci a été entretemps remplacé par du zinc, à la fois pour des raisons techniques de dilatation et pour un plus grand respect de l’environnement. Leur choix est aussi motivé par le souci de distinguer la partie nouvelle de l’ancienne. « 

Pour l’organisation et le dessin de l’intérieur, Alvaro Siza s’est retrouvé confronté à un vrai défi : marier en toute harmonie les besoins dictés par la vie quotidienne d’un couple et de ses deux grands enfants à la passion familiale pour l’art contemporainà jusque dans le choix ultrapointu des pièces de mobilier, à l’image des fauteuils de Rietveld, entourant la table de Noguchi dans le salon au feu ouvert.

L’art – essentiellement pictural – et le paysage étant les deux causes à servir, l’agencement des pièces se traduit d’abord par une gestion des surfaces d’accrochage et des ouvertures vers l’extérieur. A plusieurs reprises l’enveloppe est transparente de part en part : les portes-fenêtres placées sur les façades opposées se correspondent et offrent de généreux apports de lumière naturelle, tamisée çà et là par des portes coulissantes en verre sablé séparant les pièces d’un couloir qui se déploie le long de la façade tournée vers la  » cour  » intérieure.

La parfaite gestion de la lumière est également perceptible dans la salle à manger. La partie centrale du plafond, surélevée, a permis d’installer un éclairage indirect qui diffuse sur le plafond. Appliqué dans les années 1930 déjà, ce système a permis à Alvaro Siza d’éviter ce qu’il déteste : être ébloui par une lumière directe.

Les revêtements de sols ont eux aussi été soigneusement étudiés : les planches de chêne clair destinées aux pièces de jour et de nuit côtoient la pietra serena grise qui occupe les espaces de transition et ceux qui sont appelés à utiliser l’eau. Dans la cuisine cependant, le mobilier a été conçu en métal inoxydable tandis que, pour les salles de bains, la totalité de l’habillage des sols et des murs – en ce compris les éléments de rangement – est entièrement réalisé en pietra serena. Mais les plus beaux traits de Siza se trouvent inscrits dans l’oblique du couloir. Là, dans cette infatigable blancheur, rien ne semble vouloir interrompre sa quête d’abstraction.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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