Gare aux chutes : avec Nona Source, le tissu de luxe s’offre une seconde vie

Nona Source
Le designer Arturo Obegero dans la tissuthèque de Nona Source © Getty Image

Les prix sont doux mais les tissus restent précieux : de l’alpaca bouclé, une guipure de macramé ou de la soie finissent désormais par trouver des débouchés après n’avoir pas été utilisés par les grandes maisons de luxe du groupe LVMH.

Issues d’excédents, toutes ces chutes sont réinjectées depuis 2021 sur un inédit et jusque-là tabou marché secondaire, alors que le secteur est pressé par les autorités d’adopter des comportements plus vertueux d’un point de vue environnemental.

Avant le lancement de Nona Source, à la fois plateforme en ligne et deux show-rooms à Paris et Londres, ces kilomètres de surplus textiles partaient soit à l’incinérateur, soit prendre la poussière dans des entrepôts.

L’un des trois initiateurs du projet, Romain Brabo, a rapidement vu l’opportunité commerciale et le geste environnemental. « Je me suis rendu compte qu’il y avait ce que l’on aime bien appeler des +belles endormies+ dans les entrepôts, donc des magnifiques tissus qui dorment pendant plusieurs années à la fin des collections et qui n’étaient plus utilisés », dit-il à l’AFP.

Une aubaine pour les jeunes créateurs et les étudiants en école de mode, limités par le coût exorbitant de ces rouleaux de tissus indispensables à la création. Nona Source a écoulé l’année dernière près de 280 kilomètres de tissus, soit pratiquement l’équivalent de la distance entre Paris et Bruxelles à vol d’oiseau, et presque 140.000 vêtements.

Une véritable tissuthèque

Parmi les habitués: Arturo Obegero, un créateur espagnol de 31 ans, qui ne travaille qu’avec ces « dead stocks » et qui ne comprend pas d’autre façon de créer, lui qui a grandi au bord de la mer et a appris dans sa petite ville de Tapia à « respecter la nature ».

Le label à la fois durable et luxe des tissus de Nona Source lui a permis de gagner quelques clients. Dans son micro-atelier installé à son domicile, il a par exemple réalisé la robe style dentelle espagnole noire portée par la popstar Beyoncé pour sa tournée Renaissance.

« Les gens font plus attention à l’origine de ce qu’ils achètent mais leur proposer quelque chose de durable, à un prix raisonnable, devient vraiment compliqué », ajoute-t-il. La pression des pouvoirs publics, notamment de Bruxelles, commence à s’accentuer sur l’industrie de la mode, sommée de mettre un terme aux montagnes inouïes de déchets qu’elle produit.

Logiquement, les initiatives semblables à celles de Nona Source essaiment en France comme à l’étranger. A Paris, la très attendue vente de la « Tissuthèque », spécialisée en excédent de la Haute-Couture, aura ainsi lieu du 14 au 17 juin.

Nouvelle sirène du greenwashing ?

Pour Hélène Valade, directrice développement Environnement du groupe LVMH, la priorité est de « faire évoluer les codes de ce qui est beau » ou du moins d’accompagner, peut-être avec un temps de retard, ces nouveaux usages.

« Il y a 10 ans, quand on portait une pièce issue du recyclage, tout le monde trouvait ça moche. Mais, maintenant, ce n’est plus pareil », souligne-t-elle. Pour certains observateurs de la transition écologique, l’initiative de LVMH est positive mais ils alertent sur un cas d’école de « greenwashing » ou éco-blanchiment.

Les mastodontes de la mode, scrutés de près, n’ont pas d’autre choix que de prendre le pli, promettant ainsi de passer au transport par bateau, à une meilleure gestion de la consommation d’eau en phase de fabrication ou encore au cuir vegan.

« Tant qu’ils ne retirent pas le PVC plastique de leurs chaines de production, en particulier chez Louis Vuitton, ils ne pourront jamais prétendre être une entreprise verte », déclare à l’AFP Dana Thomas, auteur de « Fashionopolis », une enquête sur l’impact environnemental de la mode.

Louis Vuitton, la marque de luxe la plus rentable au monde, fabrique ainsi ses célèbres accessoires sérigraphiés du LV non pas en cuir mais en… toile enduite de PVC, autrement de la toile cirée de luxe. Dana Thomas accueille positivement l’initiative d’une mercerie de luxe et de seconde main par LVMH mais se demande aussi « pourquoi ils ne l’ont pas fait il y a 20 ans ? ».

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