Comment naît une robe Chanel? (en images)
Par Anne-Françoise Moyson
>>> Découvrez l’intégralité de cet article dans Le Vif Weekend de ce 19 décembre 2014.
Jour J-21 jours. Atelier flou Chanel. Dans l’atelier flou – trois apprenties et vingt premières mains qualifiées-, Madame Martine règne avec bienveillance. Leur uniforme ne déroge pas à la règle de trois : un centimètre autour du cou, des épingles au poignet et un dé au doigt, en argent de préférence, gravé souvent, même si elles se plaignent de la difficulté à en trouver de beaux dans le commerce pour cause de raréfaction. Tout est calme, le silence ici est d’or, pas de fond sonore radiophonique, seuls les coups de klaxons venus de la rue Cambon toujours embouteillée viennent vaguement perturber la concentration ambiante, on se croirait dans une bulle.
Jour J-21 jours. Atelier flou Chanel. Madame Martine a la version papier de la silhouette 6865 entre les mains, elle a repéré les ombres, pour les pinces, les plis ou les volumes, les proportions voulues, les volontés esquissées. Adrénaline. ? Quand Karl nous donne un croquis, on le voit déjà en trois D. Parfois, il n’y a aucune inscription, rien, mais on voit la robe faite, c’est une question d’habitude. En tant que première, on sait monter une robe. Elle se lance donc et l’interprète sous la forme d’une toile, en coton. Elle n’ignore guère que cette collection relève de la gageure : Karl Lagerfeld l’a voulue sans couture, très nette et avec du néoprène, beaucoup, or, ce tissu ultra contemporain est délicat, fragile et un un peu élastique.
Jour J-20 jours. Ateliers Montex. Dans cet atelier, on ne vit que pour la broderie, et c’est contagieux. Chez Montex, la 6865 voit, en partie, le jour. Le motif du médaillon, créé sur calque, est dessiné à même le tulle sur le métier à broder. Les pierres, les strass, les paillettes, les empiècements en cuir argenté sont alors brodés, selon la technique de Lunéville, qui s’exécute à l’envers, à l’aveugle donc, total respect.
Jour J-7 jours. Atelier flou Chanel.Le médaillon et le galon brodés viennent d’être livrés. Il faut les fixer à la robe, qui n’est pas encore montée. Les doigts de fée s’activent, se hâtent lentement, cela prend forme.
Jour J-7 jours. Atelier Flou Chanel. C’est l’étape essayage sur buste, histoire de vérifier que les proportions et la silhouette imaginées par Karl Lagerfeld correspondent à la réalité en néopréne. Le temps est désormais compté. Il a également fallu étudier et créer des « carcasses » pour assurer la netteté et le volume des silhouettes.
Jour J-1. Studio Chanel.Tout est sous contrôle, pas une once d’énervement, « il ne faut pas », répète doctement Madame Martine. On est à la veille du défilé, c’est l’heure de l’essayage final et de l’accessoirisation. La 6865 s’habillera, c’est décidé, d’un bibi brodé de paillettes argentées et des sandales en cuir brodées de paillettes, de perles et de tubes, fermées par un ruban de soie gris anthracite, « c’est chic ».
Jour J. Grand Palais. Chanel fait défiler sa Haute Couture. Ou quand « Le Corbusier rencontre Versailles », ce qui dans la bouche de monsieur Lagerfeld a le mérite de ne pas être saugrenu. Dans les coulisses, Madame Martine vérifie « que tout aille bien ». La 6865 défilera en 62e position. Sur le catwalk, sous les robes ou les jupes, un cycliste à la française vient fouetter la silhouette, les coupes en biais de même. Il y a des plumes, des sequins, des cristaux, des perles, des ennoblissements. Toute cette perfection rappelle qu’il s’agit ici de haute couture, avec majuscules.
Et quand les volumes se font « marquise », le doute n’est plus permis. La mariée, enceinte de six mois, en est la preuve éclatante. Karl Lagerfeld lui prend la main, salue, avec ce petit sourire qui en dit long sur sa façon de ne rien prendre « à la légère et tout avec légèreté ».
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