Iris van Herpen, créatrice adulée par les stars: « Plus de femmes doivent avoir leur mot à dire »

L’Hydrozoa Dress, de la collection Sensory Seas, 2020. © SDP

Iris van Herpen est l’une des créatrices de mode les plus acclamées au monde. Ses collections séduisent des stars telles que Beyoncé et Lady Gaga, mais aussi les musées d’art, avec une exposition à Paris dès la fin novembre.

Fin novembre, le musée des Arts décoratifs de Paris dévoilera sa rétrospective de l’œuvre d’Iris van Herpen, à découvrir dans la Ville lumière jusqu’en avril prochain, avant que l’expo ne fasse le tour du monde. Un coup de maître pour la créatrice, qui a lancé son label il y a quinze ans seulement, et rejoint avec cette mise en valeur les rangs de Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler ou encore Dries Van Noten. Sans que cela surprenne, car la native de Wamel, un village de digues néerlandais, est « une des créatrices de mode les plus progressistes de son époque » selon le communiqué diffusé par le musée.
C’est que son travail se situe à la frontière entre la mode et l’art. Iris van Herpen est en effet est à la fois pionnière dans l’utilisation de nouvelles technologies, telles que l’impression 3D, et experte en artisanat traditionnel. Ses robes sont futuristes, organiques et défient la gravité. Et ses défilés ont le don de marquer les esprits, comme en 2017, lorsque des musiciens ont assuré la bande-son en jouant allongés dans des bassins et reliés à des bonbonnes d’oxygène. Ou comme en 2015, lorsque la robe de l’actrice Gwendoline Christie a été achevée par des robots sur le podium.

Jadis, il était normal que quelqu’un soit à la fois artiste et scientifique ou créateur.


L’actrice, qu’on a vue dans Game of Thrones et Wednesday, n’est d’ailleurs qu’une de ses célèbres clientes, aux côtés de Beyoncé et Lady Gaga, mais aussi de la reine Maxima ou encore Tilda Swinton, qui signe d’ailleurs la préface du livre accompagnant la rétro. « Il s’agira d’une expo de mode, mais de bien plus, nous confie Iris van Herpen depuis son studio d’Amsterdam. J’y ai travaillé avec les commissaires pendant près de cinq ans. Elle donne un aperçu de mon travail, soit 100 créations réparties dans douze salles. Et nous avons invité des artistes avec lesquels j’ai collaboré ou qui m’ont inspirée. Cela représente quatre-vingts œuvres supplémentaires. »

L’un d’entre eux est l’artiste belge Wim Delvoye. Comment l’avez-vous rencontré ?

Je connais son travail depuis longtemps. J’aime la façon dont il combine l’art gothique des cathédrales avec des éléments contemporains. Il y a quelques années, j’ai moi-même créé la robe Cathedral, inspirée par l’architecture des cathédrales européennes et présentée à côté d’une œuvre de Wim Delvoye dans l’exposition.

Y a-t-il une robe de la collection qui vous a particulièrement marquée ?

J’ai un lien particulier avec la dernière robe de la collection Sensory Seas, que l’on peut voir dans la deuxième salle. Elle change de forme lorsque vous la portez. Cette idée de transformation est un thème important dans mon travail. Pour cette collection, je me suis inspirée du monde sous-marin et de la façon dont toutes sortes d’animaux se déplacent sous l’eau, au ralenti. J’ai beaucoup observé ces mouvements et j’ai essayé de capturer ces formes changeantes dans mes créations. C’est avec la robe finale que cela a le mieux fonctionné.

Iris van Herpen © RDepuy

Une autre pièce emblématique de l’expo est le look ornant la couverture du livre, un haut imprimé en 3D de la collection Crystallization. En 2010, vous avez été la première à présenter des vêtements imprimés en 3D sur le podium…

Cette collection symbolise la transformation que je vivais à l’époque. Jusqu’alors, je me concentrais uniquement sur l’artisanat, et c’est toujours le cas, mais pour le développement de mon travail, il était important de sortir de ma bulle. J’ai commencé à impliquer d’autres disciplines. La collaboration avec des scientifiques et des architectes, entre autres, m’a permis de porter un regard différent sur la mode.

Comment vous est venue l’idée d’utiliser des imprimantes 3D ?

J’ai participé à un projet du centre d’architecture d’Amsterdam, qui mettait en relation des créateurs et des architectes. C’est ainsi que je suis entrée en contact avec Benthem Crouwel (NDLR : un cabinet d’architectes connu pour le Stedelijk Museum d’Amsterdam et la gare de Rotterdam). Ils fabriquaient déjà leurs modèles avec des imprimantes 3D. J’ai eu l’intuition qu’il fallait que je fasse quelque chose avec ça, parce que j’y voyais une nouvelle forme de broderie. On retrouve la même souplesse et la même douceur, mais le rendu est beaucoup plus solide que si l’on ne travaillait qu’avec du fil et une aiguille.

Une maquette, c’est différent d’une robe, qui doit bouger autour d’un corps. Comment avez-vous résolu cela ?

J’ai commencé à imprimer des lignes très fines, d’un millimètre, ce qui a rendu le résultat plus souple. Toutefois, il valait mieux ne pas s’asseoir avec ces premières impressions 3D : elles étaient souples, certes, mais aussi très fragiles. Les entreprises 3D ne s’intéressaient pas à la mode, elles faisaient de la recherche sur les matériaux uniquement pour des architectes ou designers. J’ai commencé à discuter avec de nombreux acteurs du secteur. Materialise, à Louvain, a été l’un des premiers à faire preuve d’ouverture d’esprit et à vouloir réfléchir avec moi. Ces dernières années, nous avons également mené de nombreuses recherches avec le MIT (NDLR : Massachusetts Institute of Technology). Ils sont maintenant capables d’imprimer aussi finement qu’une plume, c’est presque invisible à l’œil nu.

Fabriquez-vous toutes vos robes dans l’intention de les porter ?

Oui, pour 95 % d’entre elles en tout cas. Très occasionnellement, il y a une pièce plus abstraite, mais fondamentalement, tout est conçu pour être porté. La superposition et le volume de mes robes les font parfois paraître lourdes, mais c’est un trompe-l’œil. Dans l’atelier, nous avons mis au point des techniques qui créent du volume tout en ayant des pièces légères et délicates. C’est aussi ce que nous disent nos clientes et les personnalités pour lesquelles nous travaillons. Lorsque vous enfilez une de mes sculptures corporelles, vous avez l’impression qu’il s’agit d’une simple robe en tissu.

Vous utilisez vous-même le mot « sculpture ». Etes-vous une styliste ou une artiste ?

On me pose souvent cette question. Je pense que la mode est, ou du moins peut être, une forme d’art. C’est dans l’air du temps de vouloir faire rentrer les gens dans une case. Si vous regardez l’histoire, jadis, il était normal que quelqu’un soit à la fois artiste et scientifique ou créateur.

Shift Souls Dress, 2019 © SDP

Avez-vous toujours eu envie d’innover ?

Oui. L’un de mes premiers opus, Chemical Crows, portait sur les alchimistes. Eux aussi transformaient les matériaux. La vision était déjà là, et mes compétences se sont affinées au fil des ans. J’ai essayé de repousser les limites de la mode et de créer mon langage. Nous n’utilisons pratiquement jamais de tissus achetés dans le commerce. Et la majorité des techniques mises en place ne le sont nulle part ailleurs. Le plus grand compliment que je puisse recevoir : quand on reconnaît une de mes créations sans que mon nom soit mentionné.

En 2011, vous étiez admise dans le club très sélect de la Fédération de la haute couture. Comment est-ce arrivé ?

Ils m’ont approchée après avoir vu mon travail. Tout s’est alors concrétisé. Je faisais déjà des pièces uniques sur mesure, c’est-à-dire de la couture, mais il ne m’était jamais venu à l’esprit d’adhérer à la Fédération. C’est aussi parce qu’à l’époque, il y avait encore beaucoup de règles que je ne respectais pas. Il fallait avoir un atelier à Paris avec au moins cent employés et ne travailler qu’à la main. Nous étions à Amsterdam avec une petite équipe et nous utilisions des imprimantes 3D. La Fédération a décidé de mettre ces règles de côté pour laisser la place à une nouvelle génération.

Combien de pièces produisez-vous par année ?

Une trentaine. Et puis il y a aussi une trentaine de pièces de collection, dont certaines sont vendues ensuite à des particuliers ou à des musées. Cela ne semble pas beaucoup, mais il faut savoir que trois à quatre mois de travail sont nécessaires pour chaque pièce. En outre, il y a toujours plusieurs personnes qui travaillent sur un même dessin.

Combien coûte une telle robe ?

Cela dépend du modèle, mais cela commence à 30 000 euros. Nous réalisons également des demandes spéciales, comme des robes de mariée sur mesure. Leurs prix peuvent atteindre 100 000 euros ou plus.

Vous avez aussi eu une ligne de prêt-à-porter pendant un certain temps…

Très brièvement, trois saisons durant. C’était après avoir remporté le prix de l’Andam en 2014. Une partie de ce prix consiste à donner des conseils sur la création de prêt-à-porter, un sujet qui m’intriguait. Malheureusement, aucune des usines avec lesquelles nous devions travailler ne pouvait exécuter les techniques dans lesquelles nous avions investi tant de temps. J’avais l’impression de devoir peindre les mains dans le dos, et je n’avais aucune envie de jeter tout ce que j’avais mis des années à construire. J’ai donc décidé de ne plus faire que de la haute couture. C’est aussi une question d’avenir. Je veux créer un modèle d’entreprise plus propre, axé sur la slow fashion.

Vous êtes à la tête d’une maison de couture petite, mais rentable. Pourtant, aujourd’hui, ce sont surtout des hommes qui occupent les postes les plus élevés dans le secteur de la mode. Qu’en pensez-vous ?

Les choses vont beaucoup trop lentement. Il est grand temps que plus de femmes aient leur mot à dire. Parce que l’image actuelle des femmes a été définie par les hommes pendant des siècles. Si l’on veut une image plus diversifiée de la féminité, il faut d’abord leur donner la parole. Chaque créatrice aura des idées différentes à ce sujet, mais au moins ce seront des idées nouvelles. Je pense qu’il y a trop de répétitions dans ce qui est conçu. Si les rôles étaient mieux répartis, on obtiendrait des choses plus originales.

Bio express Iris van Herpen
Elle est née en 1984 à Wamel, aux Pays-Bas.
En 2006, elle sort diplômée d’ArtEZ, à Arnhem, et lance son propre label l’année suivante.
Lady Gaga porte pour la première fois une de ses créations en 2009. En 2010, elle met au point la première robe imprimée en 3D.
En 2011, Björk porte une création de van Herpen sur la pochette de son album Biophilia.
Elle devient aussi Membre invité de la Chambre Syndicale de la Haute Couture.
En 2014, elle reçoit le prix de l’Andam et dessine une tenue pour Beyoncé pour le clip Mine. En 2021, elle habille la reine Maxima pour son 50e anniversaire.
Le musée des Arts décoratifs, à Paris, accueille cette année sa rétrospective.

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