Ce qu’il faut savoir sur le cachemire, matière en plein boom

Le cachemire, la plus douce de toutes les matières. © GETTY IMAGES
Anne-Françoise Moyson

Le cachemire a toutes les qualités. C’est l’une des plus belles matières, l’une des plus douces, des plus chaudes, des plus nobles. Elle a tellement tout pour elle qu’elle s’est démocratisée, voire banalisée. Et puisqu’il y a désormais cachemire et cachemire, un seul conseil, on lit l’étiquette.

L’automne est arrivé sans qu’on s’en rende compte et comme la crise énergétique impose les plans B, le col roulé fait son come-back. Et puisqu’il s’agit d’avoir chaud, autant que ce soit dans du cachemire. Rarement on a entendu autant d’éloges à son propos, il suffit que l’on prononce le mot et les compliments se mettent à déferler.

«Il représente pour moi la vraie chaleur, confie Sophie Helsmoortel, fondatrice de Cachemire Coton Soie, qui en propose depuis quatre saisons sous son nom. C’est la seule matière qui réchauffe les os. Et puis sa douceur, ce toucher incomparable, cela a un côté réconfortant et antidépresseur. On en devient addict.» «C’est l’une de mes matières préférées, renchérit Myriam Ullens, qui en a fait sa marque de fabrique dès les débuts de sa Maison en 2011.

Il n’est pas nécessairement à la mode, il les traverse, il est intemporel…» «Je le porte comme une seconde peau», révèle Ilse Cornelissens, créatrice du concept store anversois Graanmarkt 13. Tandis que, depuis Oulan-Bator, comme un écho à ces enchantements, Adrien de Ville, entrepreneur à la tête du label Hypechase, raconte combien son gang de fileuses et de tricoteuses basées dans la capitale mongole insufflent l’esprit de la steppe dans leur ouvrage volontairement lent et méditatif.

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‘ Il faut une fibre très longue et très fine pour pouvoir opérer une filature de haute qualité. ‘

Une fibre qui a tout bon

Le cachemire cumule toutes les qualités, avec élégance. Il est doux – et plus la fibre est fine, plus il l’est ; il ne gratte donc pas, contrairement à d’autres laines. Il est léger, voire ultraléger. Il est régulateur de température, chaud en hiver et frais en été, c’est un isolant naturel qui crée un microclimat entre le textile et la peau. Il est résistant: grâce à son élasticité naturelle, il conserve sa forme, à condition que la fibre soit de qualité. Et il est durable, pour autant qu’il soit produit dans des conditions éthiques et écologiques. En outre, il peut se recycler. Et quand c’est dans les règles de l’art, comme savent si bien le faire les Italiens, avec des fibres de grande qualité, même les spécialistes ne peuvent deviner qu’il s’agit d’upcycling.

Merci qui?

C’est une biquette particulière qu’il faut remercier, la Capra Hircus, plus communément appelée Chèvre cachemire, qui batifole sur les hauts plateaux d’Asie, en Inde et en Afghanistan, en Chine et en Mongolie intérieure surtout. C’est elle qui fournit ce duvet à nul autre pareil qui pousse quand les températures deviennent presque inhumaines et les écarts thermiques vertigineux. Là-bas, le thermomètre dégringole jusqu’à – 40 °C l’hiver. Alors pour survivre, ces chèvres développent une couche de sous-poils laineux qui forment ce que l’on surnomme à juste titre «la toison d’or». Et quand déboule le printemps, devenue superflue, à la faveur de la mue, elle se récolte à l’aide d’un grand peigne recourbé, en un geste transmis de génération en génération.

© Hypechase/ SDP

Ces poils ne sont pas bien gros: ils ont un diamètre de 12,5 à 19 microns – à titre de comparaison, un cheveu humain fait entre 50 et 70 microns… Et une chèvre peut en fournir entre 100 et 160 g par an. Pour un simple pull, il faut réunir la toison de 4 à 6 chèvres et de 30 à 40 pour un manteau. Et si vous préférez le baby cachemire, sachez que c’est le plus fin, qu’il provient d’une seule «tonte» du chevreau Hircus, âgé de 6 à 12 mois et que l’on obtient au maximum 80 g de sous-poil, soit 30 g environ après avoir éliminé les poils grossiers externes, on appelle cela «éjarrer». Faites le calcul, vous comprendrez la rareté de cette noble fibre. Car à la récolte manuelle, il faut en effet ajouter un processus de transformation délicat, puisqu’il faut trier, éliminer les impuretés et sélectionner les fibres les plus fines. Ensuite, après lavage, essorage et séchage, il s’agira de les filer puis de les tisser ou les tricoter, selon le business model, artisanalement ou industriellement.

Le grand écart

Cette luxueuse matière s’est désormais démocratisée. Voire banalisée. On la trouve maintenant partout, même dans l’univers de l’ultra fast fashion, pour quelques dizaines d’euros, en une compression des prix hallucinante qui fait perdre leur latin aux consommateurs lambda. «Ce grand écart entre le cachemire à des prix accessibles dans des enseignes que je ne citerai pas et celui des marques de luxe n’est pas uniquement dû à des raisons qualitatives, c’est aussi en raison des marges, analyse Ariane Bigot, adjointe de direction Mode à Première Vision et experte des tissus. Certaines marques font parfois des marges très importantes sur des qualités médiocres. Et il est difficile pour le consommateur de se repérer, il faut dès lors creuser le storytelling de la marque – même si ce terme dit bien ce que cela veut dire…»

« Un pull de haute qualité à 70 euros, c’est impossible… »

Pour acheter en toute éthique, en toute intelligence et en toute connaissance de cause, on prendra donc également la peine de lire les étiquettes. Même si la qualité n’est pas toujours indiquée. Et l’on retiendra cette précieuse précision de l’experte: «Il faut une fibre très longue et très fine pour pouvoir opérer une filature de haute qualité, avec un fil qui se prête à la torsion et qui ne boulochera pas. La longueur des fibres importe, elles doivent varier entre 28 et 42 mm.» A défaut d’indications, on peut toujours passer les doigts sur la matière, frotter le pull, voir si la fibre a tendance à boulocher ou à mal réagir… «De toute façon, conclut-elle, un pull de haute qualité à 70 euros, c’est impossible. Sauf si on va le chercher à l’usine.»

La Capra Hircus, aussi appelée Chère Cachemire, fournit une laine noble et précieuse. On la récolte au printemps, en peignant les bêtes élevées dans la steppe mongole par des nomades qui répètent les mêmes gestes depuis la nuit des temps.
La Capra Hircus, aussi appelée Chère Cachemire, fournit une laine noble et précieuse. On la récolte au printemps, en peignant les bêtes élevées dans la steppe mongole par des nomades qui répètent les mêmes gestes depuis la nuit des temps. © Hypechase/ SDP

«Démocratiser la qualité»

Tous les labels, mass-market compris, revendiquent évidemment la qualité ; vanter les démérites d’un produit serait contraire à la marche du commerce. L’explication de certains prix mini tient dès lors d’une certaine logique propre à chacun. Prenez Uniqlo, qui depuis 2003 a fait du cachemire un produit d’appel qui a pour lui de ne pas atteindre les sommes stratosphériques affichées parfois par d’autres labels. «Nous sélectionnons soigneusement la laine brute auprès des plus grands producteurs mondiaux avec lesquels nous avons un partenariat depuis plusieurs années et nous commandons de grandes quantités, ce qui nous permet de proposer un prix attractif à nos clients», dit-on chez le géant japonais. Et de préciser quand on demande d’où proviennent les fibres, que leur «équipe d’experts en tissus utilise des matériaux provenant de sources répondant à nos normes de qualité qui intègrent des exigences de durabilité afin d’offrir la meilleure qualité à ses clients». Et dans une volonté de transparence, Fast Retailing, la société mère d’Uniqlo, publie sur son site la liste de ses usines partenaires dans le monde entier.

Empreinte écologique minime

Prenez Arket, qui depuis 2017 affiche sa volonté de «démocratiser la qualité», «de faire du design durable accessible, avec une approche circulaire et une exigence de transparence». «Chacun de nos produits est soigneusement fabriqué pour être utilisé et chéri pendant une longue durée, avec l’intention de laisser une empreinte écologique minime et de construire un style au-delà des saisons», explique la marque «haut de gamme» du groupe H&M. Et de préciser ce qui fait la spécificité de ses produits en cachemire: «Ils sont fabriqués à partir d’un mélange spécial de cachemire recyclé et de laine mérinos responsable, dont l’impact environnemental est considérablement réduit par rapport au cachemire classique.»

L’esprit de la steppe

L’impact environnemental, voilà un sujet qui taraude Adrien de Ville, cofondateur du label Hypechase basé à Oulan-Bator. Aux côtés de sa femme Lida Borkhuu, créatrice mongole, il œuvre avec fougue pour proposer un cachemire respectueux des chèvres, de la steppe, des femmes et des hommes qui en vivent. «On source nos fibres auprès d’une ONG appelée Sustainable Cashmere Union, qui chapeaute des coopératives de bergers nomades attentives à la gestion de la population des cheptels. Car l’un des plus gros soucis ici, c’est la désertification. D’autant plus que, contrairement aux moutons qui tondent l’herbe, les chèvres l’arrachent en emportant les racines ; elles appauvrissent ainsi les sols. Or, il y a de plus en plus d’élevages intensifs, et même si les superficies sont énormes, les troupeaux sont de plus en plus étendus, surtout depuis que la Mongolie est devenue une économie de marché dans les années 90. On estime que les bêtes sont trois fois plus nombreuses qu’alors, soit environ 75 millions. D’ici vingt à trente ans, disent les experts, il pourrait ne plus y avoir d’eau en Mongolie…»

La qualité plutôt que la quantité

Voilà pourquoi Hypechase prône la qualité à la quantité, n’utilise ni colorant, ni bleach pour mieux travailler la laine de manière durable – «elle est juste nettoyée au savon, elle garde ainsi sa qualité originelle». Voilà aussi pourquoi le couple a mis sur pied une équipe de femmes des quartiers précarisés pour filer la laine au rouet, de manière totalement artisanale, «c’est extrêmement lent et spirituel» et pour tricoter à la main des pulls emplis de l’esprit de la steppe.

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Voilà encore pourquoi ce tout jeune label né il y a deux ans à peine signe une collaboration avec Natan et propose ses services à une kyrielle de marques qui entendent elles aussi faire bouger les lignes, telles Natan, Septem, Petar Petrov, Frances Grey, Archivio J.M. Ribot, Around Mrs O et Jan-Jan Van Essche. Et voilà enfin pourquoi on réitère l’invitation à lire les étiquettes si d’aventure vous aviez une frénétique envie de shopping – un beau cachemire totalement respectueux, c’est un peu de douceur dans un monde de brutes.

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Le grand entretien

On lave le cachemire avec délicatesse. «La recette pour faire du feutre, c’est de l’eau chaude, du savon et du mouvement… Si l’on veut feutrer son cachemire, on le met donc en machine à 90 °C avec une bonne lessive bien savonneuse et un essorage programme coton qui secoue énergiquement la matière. Et là on aura un très beau feutre parfaitement compact et rigide», ironise Ariane Bigot. Puisqu’on connaît la formule magique pour fabriquer du feutre, on fait évidemment tout le contraire!

On lave à l’eau froide, idéalement jamais au-delà de 30 °C, avec du shampoing pour bébé, à petite dose, il faut éviter que cela ne mousse. On n’utilise jamais d’adoucissant et l’essorage est interdit ou alors en machine, avec un programme laine ou lavé à la main. On ne tord donc pas le vêtement, on le roule dans un essuie, pour éliminer l’excédent d’eau. On le fait ensuite sécher à plat. Et on fuit le soleil, qui risquerait de casser les fibres ou de décolorer le tissu.

On ne porte pas son pull en cachemire deux jours d’affilée, on le laisse se reposer. On ne le suspend pas, il se déformerait, on le plie soigneusement et on le range dans un sac en plastique hermétique pour mieux faire barrage contre les bestioles qui raffolent de la laine. Pas besoin de boules de naphtaline. «Pour tuer une mite, il en faudrait 3 kilos, prévient l’experte de Première Vision. L’odeur les dégoûte éventuellement mais cela ne les éradique pas.»

En cas de bouloches, on ne gratte pas la matière, cela pourrait faire sortir les fibres et entraîner des zones d’irrégularités. «On peut raser délicatement les endroits où cela bouloche, conseille-t-elle. Mais un cachemire de haute qualité ne bouloche pas, de toute manière.»

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