Le kidding, ce phénomène qui fait retomber mode et déco en enfance

Du pareil au même, un vestiaire pour jouer à s'habiller. © SDP

Après la mode, c’est au design de décliner en version junior des pièces issues des collections destinées aux adultes. Une tendance qui en dit plus sur l’évolution des moeurs que ne le laisse penser son image d’usine à fashion victims à la solde du marketing.

Impossible d’y échapper. Campagnes de pubs, films ou émissions TV, et jusqu’aux pages de ce numéro spécial, les kids font plus que jamais l’objet de toutes les attentions. Cette déferlante juvénile, on la doit au mouvement né à la fin des années 90 dans les pays anglo-saxons sous l’impulsion des mompreneuses, ces jeunes femmes qui, une fois devenues mamans, réorientent leur carrière pour développer un business lié à l’enfance. La plupart d’entre elles firent de leur maternité un art de vivre glamour et décomplexé, affichant souvent en figure de proue leur propre progéniture : une ribambelle d’adorables gamins, lookés à en faire pâlir leurs aînés.

Un kart et un cheval à bascule : Kartell Kids revisite les jouets classiques de façon contemporaine... Parfait pour décorer le salon !
Un kart et un cheval à bascule : Kartell Kids revisite les jouets classiques de façon contemporaine… Parfait pour décorer le salon !© SDP

De ce côté de l’Atlantique, Tiphaine Macrez fait partie de ceux qui ont rapidement saisi le potentiel du phénomène et contribué à son essor. En 2004, elle ouvre, à Paris, Kidding, le premier bureau de presse spécialisé, qui représente aujourd’hui une vingtaine de marques triées sur le volet.  » Au niveau de la définition « historique », je dirais que le kidding est la réorientation d’hommes et de femmes souhaitant recentrer leur activité professionnelle sur le secteur de l’enfant, explique la Française. A titre plus personnel, je considère simplement qu’il s’agit d’appréhender ce dernier de façon différente. Avant, c’était un monde très fermé, répondant à des codes stricts et envisagé uniquement en tant que satellite, comme s’il ne faisait pas partie intégrante de la vie des gens. Puis petit à petit, un nombre croissant de mères a voulu vivre les périodes de maternité ou de petite enfance sans se sentir à l’écart. Elles avaient envie de poursuivre leur existence de jeunes femmes épanouies, et parfois fashionistas. C’est sous cette pression que le secteur, un peu verrouillé au départ, a explosé. Parce que ces mamans ont refusé d’être enfermées dans une imagerie ringarde.  »

Style de vie dédié aux mômes et à la vie de famille, le kidding se trouve rapidement ses pionnières et ses égéries, d’Isis-Colombe Combréas, fondatrice du magazine Milk, à Julia Restoin-Roitfeld, fille de l’ex-rédactrice en chef de Vogue France, mannequin et blogueuse à succès. Toute une presse spécialisée voit le jour et célèbre cette  » tendance à enjoliver les diverses facettes de notre quotidien, selon Tiphaine Macrez. On veut mettre du beau partout, on peut d’ailleurs faire un parallèle avec le fooding, qui applique la même logique à nos assiettes. « 

Velours côtelé oublié

Quand Cassina envahit la salle de jeux avec son Baby Utrecht.
Quand Cassina envahit la salle de jeux avec son Baby Utrecht. © SDP

Une telle aubaine ne manque pas d’attirer les marketeurs de tout poil, qui mettent alors les têtes blondes dans le viseur – ou plutôt leurs parents, qui constituent leur véritable cible. C’est d’ailleurs l’une des spécificités du kidding : l’objectif n’est pas de brancher les cours de récré sur le nouveau bonbon ou jouet du moment, mais de toucher les géniteurs en s’attaquant à leurs préoccupations et domaines de prédilection. Personne ne s’étonnera dès lors que la mode se taille une large part de ce joli gâteau, pressée de reléguer aux oubliettes le diktat  » bleu pour les garçons et rose pour les filles  » en révolutionnant le vestiaire des 0 à 16 ans. Une façon, riront certains, d’exorciser les photos d’enfance en cols roulés et velours côtelé qui traumatisèrent la Génération X. Et donc rien de plus qu’une manière stylée de jouer à la poupée, cette fois avec ses propres bambins ? Non, et d’ailleurs la tendance concerne également la maternité. Car comme s’en souvient Tiphaine Macrez,  » on avait l’impression qu’à partir du moment où l’on tombait enceinte, on redevenait une petite chose qui court les bois avec des fleurs dans les cheveux. On gagnait en innocence et en fleurettes ce qu’on perdait en personnalité. Et ça ne correspondait plus aux femmes, il y avait un décalage dont elles n’avaient pas envie.  »

Une façon, riront certains, d’exorciser les photos d’enfance en cols roulés et velours côtelé qui traumatisèrent la Génération X

Autrefois peu médiatisé, le segment connaît alors un boom et l’habillement des juniors prend une dimension inédite.  » Les Belges ont été en avance sur les Français, avec des marques pointues comme Max & Lola, confie la fondatrice de l’agence spécialisée. Et grâce au Net, le public a suivi. Auparavant, une maman de province avait le choix entre quelques boutiques de la région. Avec Internet, elle a eu accès à bien plus.  » Très vite, les grandes chaînes de prêt-à-porter étoffent leurs rayons, tout comme ceux d’enseignes prestigieuses telles que Colette, Saks ou Harrod’s, tandis que les flagship stores se garnissent de pièces Baby Dior, Armani Junior ou Little Marc Jacobs. Des maisons comme Petit Bateau, Jacadi ou Bonpoint connaissent un nouvel essor et étendent leur emprise sur le parent tout en fidélisant leurs futurs clients en culottes courtes. Ultrafashion ou portés sur le bio-éthique, des labels émergent et participent à la richesse des présentoirs réservés aux moins de 16 ans – les plus menu(e)s d’entre nous s’enthousiasment de pouvoir y piocher une pièce non proposée en taille adulte. Tiphaine Macrez confirme :  » On pique aussi aux collections Enfant des articles pour notre garde-robe ! J’ai des cartables qui ne sont achetés que par les mères, pour elles.  »

Tout sur ma mère

OEuf NYC...Des collections mode et déco un brin vintage.
OEuf NYC…Des collections mode et déco un brin vintage.© SDP

Projection oblige, l’accoutrement de la marmaille révèle bien des choses sur ses parents, figurant un  » miroir de la personnalité, qui parle autant de vous que vous-même  » selon la Parisienne, qui ajoute que certains en jouent jusqu’à l’excès, adoptant des attitudes qui ont le don de l’énerver. Elle se rappelle :  » Au début du kidding, les people arboraient leurs bébés comme elles portaient un Kelly, c’était ridicule ! Heureusement, il y a eu une évolution. Même chose pour le « mini-moi », c’était très tendance d’habiller sa descendance comme soi. Aujourd’hui, plus aucune marque ne pratique ça et tant mieux, car ça revenait à considérer l’enfant comme un accessoire et pas comme un petit être ayant des besoins propres.  »

Autre dérive possible, celle qui risque de transformer les générations futures en machines à dépenser :  » C’est bon pour les affaires d’avoir la jeune génération au coeur d’un marché foisonnant en déco ou en mode, mais l’essentiel n’est pas là. Le but est de lui inculquer le goût du beau, des belles lignes et des matières, des couleurs et des assortiments, sans faire de la consommation le seul chemin vers le bonheur.  » Un équilibre délicat à trouver, alors que se multiplient les initiatives tous azimuts – car après le prêt-à-porter, c’est l’aménagement intérieur qui a subi une solide cure de jouvence en l’espace de quelques années. Il n’y a qu’à voir tout ce que proposent les sites File dans ta chambre ou MOOD (pour  » Mini Objects Of Desire « ) pour en être convaincu.

La grand-messe du secteur: le salon Playtime.
La grand-messe du secteur: le salon Playtime.© SDP

Au-delà de la déco, le monde du design ne résiste pas à l’ouragan juvénile, en témoignent les arrivées récentes des fauteuils Baby Utrecht de Cassina et UPJ (J pour Junior) de B&B Italia, ou encore le duel à distance que se livraient deux chevaux à bascule au dernier Salon international du meuble de Milan : le Furia de Front pour Gebrüder Thonet et le H-Horse de Nendo pour Kartell. Ce dernier est issu de Kartell Kids, une toute nouvelle gamme qui tombe à point pour contester l’hégémonie de Magis et de sa ligne MeToo, qui mit de grands designers au service de produits ludiques, inventifs et colorés. Balançoires et petites voitures, tables modulables, classiques revisités en version pastel ou fluo et mobilier personnalisé, Kartell Kids reprend les mêmes codes et collabore avec certains des plus illustres contributeurs de l’éditeur italien – outre le studio Nendo susmentionné, on recense Ferruccio Laviani, Piero Lissoni et Philippe Starck.  » Auparavant, on jouait dans la chambre ou la salle de jeux, c’est donc là que tous les objets fun mais un peu moches se retrouvaient, rappelle Tiphaine Macrez. Maintenant, le territoire des kids s’est élargi et ils peuvent s’amuser partout dans la maison, alors si l’on ne veut pas voir son salon envahi par des horreurs, on fait plus attention à ce que l’on achète, en optant pour du mobilier qui leur est destiné, mais qui s’accorde à notre sofa.  »

« Ces femmes ont refusé d’être enfermées dans une imagerie ringarde. »

« La recherche perpétuelle de nouveautés »

Sébastien de Hutten est fondateur et organisateur des salons Playtime, rendez-vous de référence qui vient de souffler ses dix bougies, et rassemble les pros du secteur à chacune de ses éditions à New York, Tokyo et Paris.

Quelles évolutions avez-vous pu observer en une décennie ?

Premièrement, la professionnalisation des petits créateurs. Aujourd’hui, une marque qui se lance a déjà une forte image créative, un véritable univers. Et même fabriquées main, les pièces sont d’une incroyable qualité. Ensuite, le storytelling : un label ne s’envisage plus seulement à travers sa seule collection. Il doit raconter une histoire, véhiculer des valeurs et des émotions. Et enfin, le développement d’un mode de vie global : on ne s’arrête plus à la mode, tout l’art de vivre exprime une certaine idée du style.

Qu’est-ce qui parvient encore à vous étonner ?

Je dirais peut-être la recherche perpétuelle de nouveautés, l’envie d’être surpris qui vient d’une véritable curiosité de la part des acheteurs, et les pousse à dénicher la pièce unique, comme une chasse au trésor à travers les allées du salon.

Comment expliquer que ce marché soit devenu aussi porteur ?

Certaines des plus jolies marques ont été créées à la suite d’une naissance, alors que les parents ne trouvaient pas ce qu’ils souhaitaient sur le marché traditionnel. C’est aussi générationnel, les gens font des enfants plus tard et disposent de plus de moyens. Et puis l’idée de style s’est élargie ; est apparu le concept de famille contemporaine où tous les membres prennent grand soin de leur apparence.

Que reste-t-il comme domaine inexploré en termes de lifestyle branché kids ?

Je pense que la prochaine révolution viendra de la salle de bains. Les soins pour le corps (savons, crèmes, parfums) sont encore assez peu explorés, et on voit arriver quelques marques avec une proposition qualitative et créative. C’est un marché qui est actuellement occupé par des labels de grande consommation mais qui devrait s’ouvrir à plus de diversité.

Désormais, le kidding s’intéresse par ailleurs aux loisirs et à l’événementiel, par exemple avec My Little Day, qui propose des kits d’anniversaire assemblés par deux mamans qui en avaient  » marre d’avoir à choisir entre Hello Kitty et Spiderman « . Sans parler des nombreux moments de rencontres, sorties collectives et café-poussettes.  » J’ignore quels seront les prochains secteurs concernés, avoue l’experte, mais on est au début de quelque chose qui va durer et évoluer avec la société. Le fait de donner à sa progéniture une place centrale dans sa vie ou son métier, c’est passé dans les moeurs, acquis. Je doute vraiment que le soufflé retombe. Dans un contexte plutôt sombre, de crise, d’attentats, etc., la famille reste une valeur refuge – et quoi de mieux que la compagnie d’un enfant quand on a besoin de positiver ? »

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