Le patrimoine des grandes maisons, leur ADN

Jackie Kennedy-Onassis portant un sac griffé Delvaux. © ALL RIGHTS RESERVED

Le patrimoine est une fabrique d’identité très puissante pour les grandes maisons. C’est pourquoi elles y accordent, plus que jamais, de l’importance. Décryptage et exemples.

Lydia Kamitsis est historienne de la mode et archéologue du vestimentaire, auteure et commissaire d’exposition. Elle a à son actif une vingtaine d’expos en tant que commissaire à travers le monde et une série d’ouvrages dont des monographies sur Paco Rabanne, Madeleine Vionnet, Lesage et Michèle Rosier.

 » D’une façon un peu humoristique, et j’assume l’expression, le patrimoine, c’est tout ce qui est démodé, qui n’est pas effectivement valorisé au sens commercial du terme, explique Lydia Kamitsis. Avant, les couturiers partaient du principe que leur métier et leur art étaient tournés vers le présent et le futur. Tout ce qui était passé, était passé de mode et d’intérêt. Il n’y avait aucune nécessité de conserver les collections, à part les croquis ou les photos de défilés.  » Au fil des mots, l’historienne nous plonge ainsi dans le passé des grandes maisons.

Dans l’histoire, c’est tout de même Madeleine Vionnet qui fut la première à instaurer des archives…

Elle considérait que son métier était une sorte d’apostolat : elle travaillait au-delà de son propre règne. Elle avait conscience que ses recherches pouvaient profiter à d’autres générations et elle avait une haute opinion du vêtement. Elle est à l’origine de cette idée de la valeur du patrimoine – financière, intellectuelle, commerciale et artistique au sens de ce qui se diffuse dans les générations futures. Cette démarche est exceptionnelle parce qu’elle date des années 20.

La maison Yves Saint Laurent, dès sa création en 1964, s’inscrit dans cette logique de conservation…

Exactement et c’est avec l’arrière-pensée que cela définissait une oeuvre au sens plein et artistique du terme : la mode est digne d’être conservée et appréciée au-delà du moment précis de sa consommation. Son PDG Pierre Bergé a été actif dans la construction de la légende de Saint Laurent, en initiant la première expo consacrée à un couturier vivant, au Metropolitan Museum of Art de New York, en 1983. En enlevant la mode du podium et la mettant dans les musées, c’était une manière de l’installer comme un domaine artistique et légitimer autre chose qu’une activité commerciale. Avec l’exemple de Vionnet puis de Saint Laurent, on a deux logiques qui poussent à considérer la mode comme un patrimoine, mais il en est une troisième. Elle surgit dans les années 80 avec l’arrivée des groupes, le changement d’échelle de la mode et le glissement progressif de la notion de maison de création vers celle d’une marque.

Le patrimoine des grandes maisons, leur ADN

Les premières maisons à s’en soucier étaient celles dont les fondateurs avaient disparu et qui avaient perduré en accueillant au fur et à mesure des directeurs artistiques différents. Dans cette valse de talents qui se succèdent, il a fallu trouver une cohérence pour que la marque puisse exister au-delà des créateurs qui la portaient sur les podiums. Le patrimoine prend alors une valeur considérable. Parce que cela permet de constituer un ADN, source et nourriture d’une entreprise qui se développe au-delà des collections, avec des parfums, des cosmétiques, des accessoires…

Le studio de Delvaux, en 1951.
Le studio de Delvaux, en 1951.
Avec l’exemple de Vionnet puis de Saint Laurent, on a deux logiques qui poussent à considérer la mode comme un patrimoine, mais il en est une troisième. Elle surgit dans les années 80 avec l’arrivée des groupes, le changement d’échelle de la mode et le glissement progressif de la notion de maison de création vers celle d’une marque.

Le patrimoine des grandes maisons, leur ADN

Quelles sont les difficultés à (re)constituer un patrimoine a posteriori ?

Cela demande du temps et surtout des moyens, de l’espace et de l’argent, pour acheter et recruter du personnel compétent capable de mener l’enquête, d’analyser, de conserver. Tout le monde n’a pas ces moyens-là. Les grandes maisons se sont dotées de ces services : Dior, Balenciaga, Jean Paul Gaultier et Paco Rabanne aussi, mais la problématique est différente, car il a produit peu et des modèles quasi uniques, les plus importants sont déjà dans les musées.

La top et actrice Marie-Hélène Arnaud portant un tailleur en tweed Chanel, collection haute couture, hiver 59.
La top et actrice Marie-Hélène Arnaud portant un tailleur en tweed Chanel, collection haute couture, hiver 59.© CHANEL / ALL RIGHTS RESERVED

Les maisons doivent donc faire face à la concurrence des musées ?

Absolument. D’où la nécessité d’avoir un personnel éclairé pour mener la réflexion sur ce que doivent être des archives. Car les logiques et les enjeux ne sont pas les mêmes : un musée a une capacité de mise en perspective, une maison est dans la perspective de montrer sa toute-puissance.

Et de nourrir sa créativité ?

Certes, les archives comme terreau, comme matériauthèque de la création contemporaine, par l’analyse des tissus, des coupes, des couleurs, des détails infimes, permettent de construire cet ADN et de créer une certaine filiation.

En 1933, Gabrielle Chanel et son ami chorégraphe et danseur Serge Lifar, au Gala de Monte-Carlo.
En 1933, Gabrielle Chanel et son ami chorégraphe et danseur Serge Lifar, au Gala de Monte-Carlo.© SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER – MONTE CARLO

La création se nourrit-elle essentiellement du passé ?

Elle est très autoréférencée mais la création ex nihilo est de toute façon rarissime. Tout est visitable. Si la narration est aujourd’hui plus pauvre, c’est notamment parce qu’il n’y a jamais eu autant de créateurs et de marques au niveau mondial. Le consommateur est envahi par une offre qui lui arrive simultanément et quasi au même niveau. Il s’agit donc de développer un récit, installer une différence dont cette histoire, au sens de la durée du temps, est une plus-value.

Le patrimoine des grandes maisons, leur ADN

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