Marine Serre « transforme de la matière pas forcément destinée à la mode »

© SDP/imaxtree

Depuis ses débuts, la jeune Française ressent l’urgence de créer et produire autrement. La diplômée de La Cambre mode(s) et lauréate du prix LVMH en 2017 réinvente à sa manière une mode contemporaine qui fait la part belle à l’éthique et à la durabilité.

Marine Serre dessine deux collections par an, pour éviter de s’éparpiller. Celle de ce printemps porte le titre explicite de Marée noire – le désastre écologique est au coeur de ses préoccupations en « un projet de longue haleine » qu’elle infuse de pièces « regenerated ».

Vous êtes l’une des premières à vous être nourrie du recyclage comme moteur de créativité. L’avez-vous conceptualisé comme tel dès le départ?

Oui, parce que c’était déjà ma manière de travailler durant mes études, c’était évident, faute de moyens. Ce n’était pas politiquement conscient, vu que je ne communiquais pas dessus, sauf si on me le demandait, et cela ne donnait donc pas une valeur ajoutée à mes vêtements. C’était là mais, pour moi, il s’agissait surtout de cette idée de transformation de la matière qui parfois fait partie d’un autre vocabulaire et n’est pas forcément utilisée pour faire de la mode. En quatrième année, j’avais utilisé des bâches contre la pluie devenues rain coats, si on ne se posait pas la question de l’origine, on ignorait cette transformation… Quand j’ai commencé ma marque, dès le premier show, c’était décidé: c’était cela que je ferais et que j’avais envie de communiquer parce que cela allait être mon projet pour les années à venir. Pour avoir l’énergie de construire, il faut que ce soit quelque chose qui vous tienne à coeur et que vous sachiez bien faire. C’était la meilleure voie à prendre pour moi.

Comment vous tenez-vous à cette ligne en grandissant?

En travaillant beaucoup, en mettant en place de nouveaux systèmes et en négociant longuement avec les ateliers et les usines. C’est un gros travail en amont de sélection, de sourcing, mais aussi dans la phase de développement et de production. Cela ne se répète jamais, c’est inspirant et cela fait partie de l’identité de la marque. Même si on rencontre des difficultés. Si vous n’êtes pas amoureux de l’upcycling, du vintage, de la transformation, cela ne fait pas vraiment sens. Désormais, nous avons décidé que notre upcycled s’appellerait Regenerated, et qu’il serait accessible, c’était l’un de mes projets de ces six derniers mois: arriver à créer une robe en foulards regenerated qui coûterait le même prix que si elle n’avait pas été upcyclée.

Transformer est donc plus coûteux que fabriquer du neuf?

Oui. En production classique, le tissu vous arrive de chez le fournisseur prêt et l’atelier n’a plus qu’à le couper. Tandis qu’en upcycling, on doit trouver la matière première, la trier, la laver puis imaginer des patchworks parce que souvent le métrage n’est pas suffisant, cela demande une main d’oeuvre et du temps, c’est comme s’il existait ainsi trois petits cycles en amont. D’autant que cela requiert un apprentissage et que les usines demandent un prix plus élevé pour une coupe dans un patchwork de plusieurs panneaux. Et concrètement, faire un placement de fleurs d’un foulard exige du temps et le temps, dans une usine, c’est de l’argent. Nous trouvons des solutions, mais c’est un travail de longue haleine. Tous les vêtements regenerated comportent un tag accroché à l’étiquette, qui précise d’où vient la matière, sa date de création dans la mesure du possible, où elle a été fabriquée pour comprendre ce qu’elle était et comment elle a été transformée. Nous avons désormais trois lignes, la White line, la garde-robe de tous les jours, la Gold line, faite de pièces hybrides, et la Red couture artisanale, une réinterprétation de la couture. Le regerenated est transversal, pour mieux décliner ce concept et rendre les vêtements ainsi façonnés accessibles.

Quel est le pourcentage de pièces regenerated dans votre collection de ce printemps-été 2020

On est plus ou moins à 50%. C’est très automatique dans mon travail et très présent dans la construction des collections. Mais c’est le minimum pour moi, je trouve important que cela évolue et grandisse. Je ne me ferme pas la porte à réfléchir à notre manière de produire parce qu’il n’y a pas que des solutions regenerated, il y en a d’autres, comme l’utilisation de fibres recyclées ou nouvelles. On avance sur le sujet, en équipe et en parallèle avec les fabricants italiens pour les laines et français pour la moire. Ils sont avec nous depuis le début, ils m’ont rencontrée quand j’étais jeune, eux aussi ont envie d’être challengés, ils sentent que le vent tourne, que c’est plus qu’une urgence. Je pense qu’il est intéressant pour eux d’être confrontés à notre vision et d’obtenir des résultats hyperintéressants. Je me remets toujours en question sur ce qui est en train de se passer, sur ce que je fais et sur le résultat. C’est le plus important, tout en restant les pieds sur terre par rapport à la fois à mon esthétique et à ce que j’ai envie de faire passer comme message.

Quelle est la silhouette qui résume le mieux votre propos?

Le look 28 (photo), une robe totalement faite à partir de draps de lit, elle est pour moi le symbole entre autres de la pièce daily life, du quotidien, pas très chère mais à la fois très nous, elle est entièrement regenerated, et faisant sens. J’aime aussi deux autres looks, des modèles faits à partir de nuisettes, de châles en laine, de crochets et de tee-shirts recyclés. On les dirait drapés autour du corps.

En bref

Marine Serre
© Chris Colls

– Elle est née le 13 décembre 1991 à Brive-la-Gaillarde, en France.

– Elle a étudié à La Cambre mode(s), puis fait des stages chez, entre autres, Alexander McQueen, Dior et Maison Margiela. Elle a aussi travaillé un an pour Balenciaga.

– En 2017, elle a gagné le prestigieux prix LVMH qui récompense de jeunes créateurs au talent prometteur.

– En février 2018, elle s’est véritablement lancée en présentant sa première collection durant la Fashion Week parisienne.

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