Mode | Bernard Gavilan, pionnier du vintage et de la seconde main à Bruxelles (1/3)

Bernard Gavilan, un des pionnier de la mode vintage à Bruxelles © SDP
Anne-Françoise Moyson

La seconde main et le vintage ont toujours existé. Ils n’ont pas attendu d’être à la mode sur les plateformes en ligne. La preuve par trois spécialistes bruxellois à l’oeil aiguisé qui connaissent la vraie valeur des vêtements – et pas seulement monétaire. Portrait de l’un de ses pionniers: Bernard Gavilan.

La seconde main et le vintage ont toujours existé. Mais le paysage a changé de visage et le marché s’est déplacé sur les plateformes en ligne, confinement oblige. Du coup, c’est devenu tendance, en version digitale. Vestiaire Collective, Vinted, Depop, The RealREal, thredUP ont désormais le vent en poupe. Ces plateformes digitales se sont fait une spécialité de vendre des vêtements et des accessoires en seconde main. Si elles sont certes nées avant la pandémie, elles ont eu leur part de succès quand il s’est agi de tuer les heures ralenties d’un confinement propice au désoeuvrement et à l’addiction digitale.

Ainsi, d’après le 2021 Resale Report de thredUP, en partenariat avec GlobalData,  » 33 millions de consommateurs ont acheté des vêtements d’occasion pour la première fois en 2020 « . Et les pronostics font rêver :  » le marché de l’occasion devrait doubler au cours des 5 prochaines années, atteignant 77 milliards de dollars « . A titre de comparaison, le marché de la fast fashion était de 36 milliards de dollars en 2019 et, en ligne, cette année-là, il s’est vendu pour 7 milliards de dollars de vêtements d’occasion.

Bref, d’ici 2030, la seconde main devrait être deux fois plus importante que la fast fashion. Les milléniaux et les digital natives y sont pour quelque chose :  » plus de 40 % de jeunes de la génération Y et de la génération Z ont acheté des vêtements, des chaussures ou des accessoires d’occasion au cours des 12 derniers mois « .

Les raisons sont multiples, parfois croisées, parfois pas : dépenses mode obligatoirement pensées et réfléchies pour cause de budget serré ; volonté écologique de sauver la planète ; dédain réel pour l’ultraconsumérisme ; goût de l’usité-habité-déjà porté et amour du vêtement d’autrefois…

Toujours est-il que la revente est devenue un écosystème et les fripiers d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux d’hier. La bouche en coeur ces nouveaux géants de la seconde main disent qu’ils  » imaginent un avenir circulaire pour la mode  » et que c’est pour le bien de la planète avec réduction d’empreinte carbone à la clef. Mais la pollution numérique, le système  » amazonien  » de livraison de colis, et de renvois aussi, accouplé à tout le reste, ont aussi des conséquences environnementales. Ajouté à cela, l’effet pervers de cette économie circulaire qui réside dans l’incitation insidieuse à consommer toujours d’avantage, en toute décontraction, déculpabilisé totalement puisqu’on fait dans le recyclage, n’est-ce pas ?  » Le problème de la seconde main repose, notamment, sur l’acte d’achat impulsif, souligne fort à propos Audrey Millet, autrice du Livre noir de la mode (Les pérégrines) : pour dix euros, avec la seconde main, vous pouvez avoir 10 produits, avec l’ultra fast fashion, 4 et avec la fast fashion, 2… « 

Les marques ont compris l’importance du phénomène, elles s’y mettent elles aussi. Même la fast fashion propose désormais des services de recyclage. Tandis qu’Isabel Marant inaugurait récemment sa propre plateforme de seconde main intitulée Isabel Marant Vintage – une façon d’être éco friendly. Et de faire la nique aux autres plateformes ?

Maintenant qu’on sait tout ça, on peut se permettre de se poser et de rencontrer in situ trois personnalités hors normes basées à Bruxelles et à Knokke. Elles ont fait du vêtements vintage, anciens et/ou de seconde main leur mode de vie, leur langage, leur terreau créatif. Outre leur singularité, ce qui les démarque, c’est qu’elles s’y sont jetées à corps perdu bien avant que ce ne soit à la mode. Entrez donc en trois épisodes, distillés chaque semaine, chez Bernard Gavilan, Eva Velazquez et Marie Meers (Vêtue).

Premier épisode: Bernard Gavilan

Depuis trente ans, l’homme est le roi du vintage et de la customisation. A force, son oeil s’est aiguisé. Bernard Gavilan est né à Gijón, Asturies, fut enfant des Marolles puis jeune homme fêtard au Mirano qui le vit se transformer en spécialiste du vintage et de l’upcycling. En 1994, il ouvre sa première boutique  » très prononcées années 70 « , puis une deuxième, puis une troisième… Dès 2006, il organise avec flamboyance un défilé-concours ouvert à tous, appelé  » Customisez-moi « , dix éditions au compteur. Depuis, il aime toujours la fabada asturiana, la musique – monsieur est aussi DJ – et les vêtements qui ont vécu et qui racontent une époque. Interview.

Comment avez-vous vécu les annés 2020-20021, faites de grands bouleversements?

C’est la première fois de ma carrière que, dans mes boutiques, j’enlève les chaussures à talons. Pour aller où ? Faire des allers-retours dans son salon ? Au premier déconfinement, j’ai cru que tout reprendrait normalement, j’ai ouvert la boutique de la place du Jeu de Balle 6 jours sur sept, certains samedis, je vendais à peine une paire de boucle d’oreilles à 4 euros… On a souffert. A part ça, dernièrement, j’ai été très occupé par la comédie musicale sur Michel Sardou, qui fera le tour du monde, la costumière est venue chez moi pour dénicher les costumes. Et au premier déconfinement, j’ai rencontré les costumières de la série Les petits meurtres d’Agatha Christie sur France 2, elles travaillaient sur deux épisodes sixties pop, elles ont trouvé ce qu’elles cherchaient dans mes boutiques. J’ai en effet une boutique pour Homme, une autre pour Femme et Enfants, une autre encore avec le linge de maison et la déco, que j’ai réinstauré au cas où on aurait un twist, une quatrième vague…

Quelle est votre définition du vintage ?

Elle a évolué depuis que j’ai commencé. C’était au début des années nonante. J’ai appris ce métier sur le tas, En 1994, au début, j’étais très braqué sur les années soixante et septante et un tout petit peu 80, je ne vendais pas le 90 puisque c’était l’époque dans laquelle je vivais. Aujourd’hui, ma définition est beaucoup plus large : je reste quelqu’un qui ne vend pas les vêtements du moment. Et je commence à vendre les années 2000, ça, je ne pensais pas que je le ferais un jour… Mais du slim fit, du April 77 ou du vieux Xavier Delcourt dans ma boutique, cela ne me parait pas anormal, on n’en porte plus comme ça mais comme je suis souvent amené à travailler pour le cinéma, le théâtre ou la publicité qui jouent avec les connotations au temps passé… Bref, ma définition du vintage, c’est le vêtement ancien d’au moins deux générations.

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Et comment définissez-vous la seconde main ?

C’est du vêtement d’hier. Le vintage, c’est ancien. Hier, c’est ancien aussi mais pas assez. Pour moi, la seconde main, c’est un truc que tu as porté aujourd’hui et que tu ne veux plus et que tu mets sur une plateforme pour le vendre, cela n’a pas encore son histoire, ça l’aura un moment donné par la force des choses, du temps qui passe, mais cela n’a pas d’histoire à mes yeux. Et surtout le vêtement seconde main, c’est une façon de consommer encore pire qu’avant. Les jeunes sont en train de nous dire depuis un moment qu’on exagère mais il ne faut pas qu’ils oublient qu’ils font partie du jeu, on devrait leur enlever leur téléphone pour que des enfants n’aillent plus creuser la terre pour qu’on puisse fabriquer des téléphones. On devrait aussi leur enlever Vinted, pour le nommer. J’ai vu un reportage où une gamine de 12 ans s’était fait envoyé un colis qu’elle refusait, sans essayer le vêtement, qui avait fait plus de 1500 km pour arriver dans une déchetterie, qui n’a servi à personne, a engendré un coût incroyable et contribué à la pollution de la terre.

 

 
 
 
 
 
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Qu’est-ce qui a le plus changé en trente ans de métier ?

Les ados sont très seuls et en bande pour faire du shopping et quand ils arrivent chez moi, ils ne comprennent pas qu’il y ait des prix et des dates, ils croient que toutes les friperies sont au kilo, ils n’en reviennent pas.

 

 
 
 
 
 
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Et qu’est-ce qui a changé l’année passée (2021) ?

Bizarrement, c’est le retour en force des gens bien sapés qui trouvent ma sélection soignée. Je regarde beaucoup les gens, ils m’inspirent, cela a toujours été le cas. Je les regarde aussi pour comprendre la situation. Tout ce qui est acheté en masse, au kilo, est rarement à la bonne taille, comme si les gens n’avaient pas de rapport à leur corps. L’oversize des années nonante par exemple, c’était réfléchi.

Vous êtes autodidacte. A quoi ressemble votre parcours ?

Je ne suis pas du tout d’une culture vintage, je suis né en 1964, le même jour que Madonna. Et il se trouve que les gens que j’ai fréquentés très jeune allaient aux puces le dimanche, même si on était sorti très tard la veille. Au tout début des années nonante, j’ai commencé à vendre des vêtements au Mirano – Etienne Russo, qui était l’un des responsables de la boîte de nuit et qui avait un oeil, a été très formateur pour moi. Le samedi soir, je montais quelques tringles dans un petit espace et je vendais du sixties, du seventies et des choses plus anciennes, comme les nuisettes années 30 et 40 dans des vieux roses. Je vendais du sport aussi et du très psyché 60 et 70. Je ne restais pas ouvert toute la nuit et c’était un peu rock en roll à la fin de la soirée… J’ai inauguré ma première boutique rue Marché au charbon numéro un, en 1994. Et de là est né le premier défilé, le plus important pour moi, que m’a proposé Etienne Russo pour la saison du Mirano de cette année-là,  » La mode est à la mode « . Il y avait 120 mannequins et 120 silhouettes pour 12 tableaux, avec Malcolm McLaren dans le thème des Existentialistes et Kylie Minogue dans le public. C’était mon premier gros défi personnel face à la mode, à base de récup’ et de custom faite par moi-même, c’était assez bricolé mais cela donnait visuellement – je ne sais pas coudre, j’avais tout assemblé à l’épingle à nourrice.

 

 
 
 
 
 
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Pour les Existentialistes, je voulais un thème noir et blanc, j’avais retourné des vestes des années 30 et 40, je les trouvais belles à l’intérieur, mille fois plus qu’à l’extérieur, doublées satin, surpiquées vingt-cinq mille fois, avec les doublures de manches à rayures dans une autre couleur que celle du buste. C’est d’ailleurs l’une de ces vestes que j’ai choisi de montrer aux Halles Saint Géry, pour l’exposition anniversaire du Mirano.

Pensez-vous qu’internet a tué la chine, les friperies, le vintage et la seconde main?

Le gâteau est de plus en plus hyper partagé: quand on m’appelle pour un lot, j’ai des gens collés au cul du camion qui vendent en black sur le net et rien que leur présence fait augmenter les prix. Mais je pense cependant que le net n’a pas encore tué le job. Parce qu’il va y avoir un retour au côté physique des choses. Les gens ont besoin de voir, de toucher. Et ils vont prendre conscience que les renvois, cela ne va pas. Par contre, j’espère qu’il va y avoir un nettoyage du côté des plateformes où la moitié des gens qui travaillent ne sont en ordre de rien.

 

La vie est quand même amusante

Posted by Peggy Cortois on Saturday, August 8, 2020

Bernard Gavilan, 137 rue Blaes, à 1000 Bruxelles.

L’homme au 162, rue Blaes

Linge de maison, mercerie, vêtements 1900/1940 au 5, Place du Jeu de balle

Femme et enfants 1950/2000 au 30 rue de l’économie

Stock cinéma et MusicisMyLife/DJ sur rendez-vous uniquement. +32479429110

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