Paris Fashion week, Jour 6: la mode qui fait son grand écart

Tandis que Paris vit au rythme de son semi-marathon et d’une manifestation de femmes pour les femmes place de la République, 8 mars oblige, les rois de l’image à la tête de Kenzo invitent la planète mode à se déplacer porte de la Villette dans un hangar où s’impose un mur vert, bleu et blanc façon forêt stylisée ( ?) qui s’avérera mouvant. En guise de bande-son live, Carol Lim et Humberto Leon ont proposé à Saint Etienne, groupe de rock alternatif, voire indie dance, de venir pousser la chansonnette, avec  » You don’t own me  » et  » After the rain,  » exclusivement  » composé pour ce défilé automne hiver 15-16. Sur la note d’intention posée sur les gradins, une explication :  » Nous célébrons le rassemblement, le clan, nous explorons leur manière d’être ensemble entre camaraderie, rites et protection. Leur habitat ? La nature, leur vrai refuge, dont ils ont apprivoisé arbre et forêts.  » Ce qui en gros ne veut pas dire grand-chose. On ne s’étonnera guère que leur vestiaire soit à la hauteur.

Comment ne pas être charmée par cette invitation, une lettre manuscrite de Rabih Kayrouz qui serait  » très heureux  » de nous présenter sa nouvelle collection dans ses ateliers, 38, boulevard Raspail, Paris, 7ème. Là, dans ce lieu qui fut un théâtre et accueillit en janvier 1953 la première d’  » En attendant Godot  » de Samuel Beckett, le créateur libanais reçoit personnellement ses hôtes –  » Ahlan wa Sahlan « , soyez les bienvenus, quelle élégance. A l’image de son show, de sa collection, de sa maison qui a comme emblème la grenade, pas l’arme, quelle horreur mais le fruit, symbole de vie et de fertilité depuis des temps immémoriaux. Cela fait dix-sept ans maintenant que Rabih Kayrouz signe des vêtements aux lignes d’une grande pureté et d’une impeccable modernité. Entre Paris et Beyrouth, son coeur balance, mais son chemin de beauté n’emprunte pas les bas-côtés. Le charme agit toujours, et plus encore.

Rien de tel qu’un 8 mars pour faire défiler la féminité aiguisée de Chloé par Clare Waight Keller. D’ailleurs, la créatrice anglaise dédie son défilé à la journée internationale des droits des femmes, et ce n’est pas une posture. Un petit mot, de sa main, un poème anonyme, qui dit notamment  » Live life to express not to impress  » – son travail est de cet ordre-là. Il s’agit ici d’une fille qui parle aux filles, sous l’ombre tutélaire mais jamais envahissante de Gaby Aghion, fondatrice de cette mythique marque créée en 1953 à son image –  » beauté sombre et esprit bohème « . Tout est désirable, un brin romantique, esprit seventies, littéral mais jamais cliché, pas même les patchworks osés, les robes longues et transparentes, les velours avec impression fleurs ou le saddle bag à peine réinterprété.  » Don’t shine to make your presence noticed. Just make your absence yelt « , chute le poème. Tout est dit, applaudissements.

Il dit, avec ce sourire qui n’appartient qu’à lui :  » C’est ma plus belle collection « . Et il a drôlement raison, Jean-Paul Lespagnard. Dans la cour du Musée Nissim de Camondo, Paris 8ème, on se croirait sur un tournage cinématographique. Spot avec lumière jour, mur green screen et Jaguar prête au démarrage, sauf qu’elle est verte acide, par la volonté du créateur belge qui ne recule devant rien. Une à une, ses mannequins tressées avec chignon sur le crâne, viennent se poser là devant les photographes, sans plus bouger. Avec Jean-Paul Lespagnard, un défilé n’est jamais vraiment un défilé, il déteste ça. Ce qui signifie que, pour une fois, on a tout le loisir de voir les vêtements – et quels vêtements ! Ses prints explosent, travail minutieux de pied de poule agrémenté de fleurs. Ses matières font dans la noblesse, la tenue, l’inventivité. Ses couleurs claquent. Ses tuniques s’ouvrent joliment dans le dos tandis que ses manteaux enveloppent à merveille. Et son inspiration n’est pas en reste, jamais avec lui. Cette garde-robe, baptisée  » Cheese on fleek  » (expression inventée par le sieur Lespagnard sur le modèle virtuel du  » Eyebrows on fleek « ), raconte donc  » l’histoire d’une mennonite qui descend dans le Monterey pour vendre le fromage que sa famille a produit. C’est lors de cette visite qu’elle rencontre un gang de Cholombianos. Ensemble, ils décident de créer un clan de cheese dealer. De cette idylle va naître une fusion de style.  » A la fin de l’histoire, la jeune fille s’encanaille un peu et mêle les genres. Backstage, en coulisses, quand les mannequins s’en vont, elles collent deux bises à Jean-Paul et le remercient,  » you are so good « , elles aussi elles ont drôlement raison.

Anne-Françoise Moyson

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