Chasseurs de trésors: Rencontre avec ces passionnés qui collectionnent la mode

Karin Dillen © Jef Jacobs

Le secteur de l’art n’est pas le seul où l’on se dispute les plus belles œuvres: le monde de la mode attire un nombre croissant de collectionneurs. Quatre d’entre eux nous parlent des créateurs et maisons qui les ont conquis.

La passion de Comme des Garçons

En plus d’être créatrice de bijoux, styliste et cofondatrice du collectif de mode Trouble Corporation, Michelle Elie, basée à Cologne, est également une collectionneuse passionnée de Comme des Garçons. Sa garde-robe a même eu droit à sa propre exposition. Cet automne, elle expose pour la première fois quelques pièces au MoMu.
Michelle Elie © Jef Jacobs

«Ne dites pas de moi que je suis collectionneuse: j’achète de la mode! Je ne considère pas mes vêtements comme un investissement, mais comme un moyen de m’exprimer. Un investissement ne se porte pas. Outre les créations de Yamamoto, Bernhard Willhelm et des Belges comme Walter Van Beirendonck et Veronique Branquinho, j’ai rassemblé une belle série de Comme des Garçons, car comme de nombreux créateurs japonais, Rei Kawakubo imagine des vêtements avec une vision. Elle m’a donné une voix à travers ses créations. J’ai donc été très honorée lorsque le Museum Angewandte Kunst de Francfort a voulu exposer mes pièces de ce label en 2020. J’estime que ma garde-robe est devenue officiellement une collection ce jour-là.

Mes vêtements comptent beaucoup pour moi, je les appelle même «my girls». Ils reflètent les étapes importantes de ma vie. Lorsque je suis tombée enceinte la première fois, j’ai eu des difficultés à accepter que je n’avais aucun pouvoir sur mon corps. J’ai été mannequin pendant des années et j’avais l’impression que mon corps et ma vie se déformaient de manière incontrôlable. Lorsque j’ai découvert la collection «Body Meets Dress, Dress Meets Body» de Comme des Garçons en 1997, ces silhouettes difformes m’ont beaucoup touchée. Je me suis sentie comprise. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion d’acheter ces pièces, mais j’ai découvert lors d’une expo, deux ans plus tard, qu’un collectionneur de Cologne en possédait. J’ai vraiment dû le convaincre de me les vendre. J’ai réussi, mais mon compte en banque en a souffert.

Comme des Garçons a une grande base de fans, il n’est donc pas facile de mettre la main sur certaines pièces vintage. De grands noms comme les regrettés Karl Lagerfeld et Azzedine Alaïa ont également collectionné la marque. J’ai déjà enchéri contre Alaïa pour une pièce que nous convoitions tous les deux. Quelle déception quand il a remporté la vente! Je cherche toujours à savoir ce qu’il est advenu de ses archives.

Mes vêtements ont pris possession de ma maison, à tel point que j’ai installé «my girls» dans mon atelier de joaillerie. Ils sont rangés dans des boîtes ou suspendus à l’abri du soleil, à la température idéale. Chaque semaine, je les aère et les secoue pour garantir la conservation de leur qualité. Je leur parle même, comme si je m’occupais de plantes. De Comme des Garçons, j’ai plus de septante-cinq pièces, le reste je ne peux et ne veux pas l’estimer. Les produits de luxe doivent être expertisés en Allemagne, et je ne souhaite pas avoir à appeler ma compagnie d’assurance (rires).»

Margiela en 400 pièces

Il y a presque trente ans, Karin Dillen, médecin du travail à Anvers, s’est retrouvée dans l’atelier de Martin Margiela. Depuis, elle suit de près ses créations, ce qui a donné lieu à une collection de quelque quatre cents pièces. Celle-ci, déjà, fait le bonheur de divers musées internationaux.
Karin Dillen
Karin Dillen © Jef Jacobs

«Je suis devenue collectionneuse par hasard. Je n’avais jamais vraiment été attirée par la mode avant de mettre les pieds dans l’atelier parisien de Martin Margiela en 1994. Bob Verhelst ( NDLR: scénographe d’expositions de mode en Belgique et à l’étranger), un bon ami, était son assistant à l’époque. La passion avec laquelle il parlait de son travail m’a fascinée et a piqué ma curiosité. J’avais demandé si je pouvais assister à un défilé et je me suis donc retrouvée dans le studio.

Les vêtements de marque me semblaient inaccessibles, mais une fois dans les coulisses, mes préjugés se sont dissipés. L’atmosphère était très détendue. Et Martin? Humble, comme vous et moi. Cette touche humaine l’a rendu spécial à mes yeux. J’ai également été autorisée à essayer quelques vêtements. J’ai des bras assez longs, et trouver des pièces adaptées a toujours été un exercice compliqué. Chez Martin, tout m’allait parfaitement.

Depuis lors, chaque saison, j’ai pris plaisir à faire des allers-retours à Paris pour son défilé. Parfois, j’aidais en coulisses, en mettant les invitations dans les enveloppes, en attachant les ballons ou en transportant les habits en voiture. J’ai ainsi pu acheter quelques tenues à prix réduit. Plus tard, j’ai toujours acheté mes vêtements à la boutique Louis, à Anvers. Je précisais quelles créations on devait mettre de côté pour moi. Chaque saison apportait son lot de nouveautés, même une robe noire n’était jamais la même.

Au fil des ans, j’ai rassemblé environ quatre cents pièces. J’ai récemment essayé de les recompter, mais j’ai abandonné. Lorsque Bob a réalisé la scénographie de l’expo du MoMu en 2008 pour célébrer le 20e anniversaire de Maison Martin Margiela, il m’a demandé si je voulais être photographiée avec ma collection. Martin a été très touché. Plusieurs de mes pièces ont été empruntées pour Margiela, les années Hermès. Cette installation a fini par devenir internationale, et l’emprunt a duré environ un an. Je les ai récupérées plus propres que quand je les ai prêtées.

Aujourd’hui, je n’achète pratiquement plus rien. Après vingt ans de collection, on se lasse. Ma collection s’est arrêtée avec Martin. Je ne lui ai donné mon avis qu’une seule fois durant toutes ces années. J’avais acheté un pantalon qu’il fallait dézipper complètement de haut en bas. Pas pratique quand on veut aller aux toilettes, s’amuse-t-elle. Il n’y avait pas pensé.»

Sacs Delvaux à gogo

Jerry et Grace ont commencé à rassembler des sacs à main Delvaux vintage il y a trois ans. Pourtant, aujourd’hui, leur collection compte déjà près de cent cinquante pièces. Ils ont dédié un compte Instagram à leur passion.
Jerry et Grace
Jerry et Grace © Jef Jacobs

«Je suis né en Allemagne, mais j’habite depuis plus de vingt ans à Bruxelles. Je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la maison Delvaux, nous confie Jerry. Lors d’une visite à la librairie bruxelloise Pêle-Mêle, mon épouse et moi sommes tombés sur le livre Delvaux, 180 ans de luxe belge, consacré à la riche histoire de l’entreprise familiale. Ce livre nous a fascinés. Peu de temps après, nous avons acheté notre premier sac à un collectionneur, un Delvaux Brillant Diamond Rose de 1960. Le début d’une belle aventure.»

«Au début, ma famille et mes amis à Hong Kong ne comprenaient pas notre intérêt. Delvaux a attiré l’attention sur le design belge et offre la même qualité que, disons, Hermès ou Chanel, renchérit Grace. L’évolution des différents modèles au fil des décennies nous a beaucoup intéressés. Lorsque nous tombons sur un nouveau sac vintage, nous en savons souvent très peu sur lui. Nous cherchons alors à en découvrir l’histoire en nous rendant à la boutique de Waterloo.»

«Nous avons commencé à collectionner des Delvaux il y a seulement trois ans, mais entre-temps, nous avons près de cent cinquante pièces, s’enthousiasme Jerry. Quelque trois mille sacs ont été produits au cours des presque deux cents ans d’histoire de la marque. Nous ne possédons donc qu’un petit pourcentage, s’amuse-t-il. Un collectionneur recherche des pièces uniques qui ont une histoire, ça permet de réaliser un bel investissement. La rareté attire. Nous vendons parfois certaines de nos trouvailles, si l’acheteur potentiel prouve qu’il est aussi passionné que nous par la marque.»

«Nous bichonnons nos sacs», poursuit Grace, qui confie que le couple a imaginé une zone de stockage où ils sont entreposés soigneusement, avec le rembourrage nécessaire. «Nous veillons à ce que les poignées des sacs se tiennent droites et que le cuir ne sèche pas. Les conditions de conservation sont cruciales. Nous demandons parfois à Delvaux de donner un second souffle à certaines pièces. Le vintage n’a rien de démodé. La plupart des sacs sont aussi à la mode aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a quarante ou soixante ans.»

«Pour le prouver, nous avons lancé le blog et la page Instagram @mydaydaybelgium il y a un an, nous explique Jerry. Nous y présentons les sacs vintage dans un cadre contemporain. La qualité est bluffante. Certains sacs ont 60 ans et sont toujours en parfait état. Cette marque fait partie de l’ADN de la Belgique, et fait l’objet de nombreuses traditions familiales.»

«Notre fille de 6 ans est déjà accro, s’amuse Grace. Elle fabrique souvent des sacs à main en papier et les affublent de la lettre D. Nous lui avons définitivement transmis notre passion. Nous apprenons à nos enfants qu’il est important de prendre soin des choses, afin qu’elles traversent les époques.»

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