Olivier Rousteing, le nouveau Karl Lagerfeld: portrait d’un wonder boy devenu grand

© Pascal Dangin

En une décennie à la tête de Balmain, Olivier Rousteing, 36 ans aujourd’hui, a réussi à forcer le respect. Cet été, sa collection haute couture pour Jean Paul Gaultier a encore ajouté à son aura. Comment ce danseur de discothèque est-il devenu le Karl Lagerfeld de sa génération?

Il a fait ses débuts au poste de directeur artistique de Balmain voici onze ans, passant du statut de jeune prodige à celui de talent confirmé. Extrêmement populaire sur Instagram avec ses plus de huit millions d’abonnés, il est l’un des rares créateurs de mode à être aussi une star dans le monde réel… même s’il ne plaît pas à tout le monde avec ses lèvres glossées, ses décolletés profonds, sa prédilection pour les paillettes et ses amitiés avec le clan Kardashian. Des critiques à son encontre qui ont souvent des relents d’homophobie. «Quand j’ouvre la bouche, les gens sont parfois surpris que j’aie aussi des choses à dire», témoignait-il récemment à ce sujet à la télévision française.

Olivier Rousteing, c’est un peu le Karl Lagerfeld de sa génération, avec un parcours plus impressionnant encore. Arriver au sommet est en effet nettement plus facile porté par une marque aussi prestigieuse que Chanel, comme ce fut le cas du Kaiser, plutôt qu’à la tête d’un label tel que Balmain, qui n’a jamais tout à fait joué dans la cour des grands. L’argent aussi ouvre pas mal de portes: Lagerfeld est le fils d’un richissime industriel allemand alors que notre homme a, lui, travaillé comme danseur en discothèque pour assurer son quotidien du temps de sa folle jeunesse en Italie.

Olivier Rousteing et Karl Lagerfeld, photographié ensemble en 2014, au cocktail du Vogue Germany à Paris

Pour la petite histoire, signalons que Karl Lagerfeld a débuté sa carrière en 1955 comme assistant de Pierre Balmain… et qu’il est aussi le créateur qu’Olivier Rousteing admire le plus.

Je me suis toujours exprimé en faveur de la diversité, mais j’ai l’impression qu’à l’époque, le secteur n’était tout simplement pas intéressé.

Rêver haut

Adopté à l’âge de quelques mois, Olivier Rousteing est né d’un père éthiopien et d’une mère somalienne, laquelle avait 14 ans à peine. Le documentaire Wonder Boy, réalisé par Anissa Bonnefont et disponible sur Netflix, retrace sa quête de ses parents biologiques. Il a fini par retrouver la trace de sa mère, mais sans oser la contacter – de peur d’être à nouveau déçu. Fan de Michael Jackson et Beyoncé, il a passé son enfance à Bordeaux avant d’entamer une formation de mode à l’ESMOD à Paris, qu’il a abandonnée après moins d’un an. «J’avais l’impression que mes profs ne comprenaient rien à la mode, a-t-il confié à Out. Ils me disaient: «Toi tu rêves de Dior et de Versace, mais tu pourrais tout aussi bien devenir créateur de sous-vêtements.» Et c’est vrai, mais cela ne veut pas dire non plus qu’on ne peut pas devenir styliste dans une grande maison!»

Le documentaire Wonder Boy.
Le documentaire Wonder Boy. © netflix

Son métier, le créateur l’a appris sur le tas en Italie, entre ses différentes prestations en boîte de nuit − «Je me produisais perché sur un cube, j’étais un bon danseur avec une énorme coupe afro.» Il y a notamment travaillé chez Roberto Cavalli avant de rejoindre Balmain. La maison française fondée en 1945, longtemps moribonde, venait tout juste de commencer à reprendre du poil de la bête sous la guidance de Christophe Decarnin. Lorsque celui-ci a jeté l’éponge en 2011, Olivier Rousteing s’est vu offrir le poste après à peine deux ans dans l’entreprise.

A 25 ans, il semblait bien jeune pour endosser ce rôle… Mais on se souviendra qu’Yves Saint Laurent n’en avait que 21 lorsqu’il a succédé à Christian Dior. Outre son âge, le Français est aussi l’un des rares stylistes noirs à s’être imposé dans les hautes sphères d’une maison de luxe de l’Hexagone. Pourtant, à l’époque, l’événement n’a guère fait de vagues. «Je crois que j’ai toujours beaucoup parlé de ma couleur de peau, commente-t-il. Je me suis toujours exprimé en faveur de la diversité, mais j’ai l’impression qu’à l’époque, le secteur n’était tout simplement pas intéressé.» Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’on a vraiment commencé à parler du manque de diversité de la discipline sous l’impulsion de Virgil Abloh.

Quoi qu’il en soit, le jeune prodige était prêt pour son nouveau poste et il a rapidement imprimé sa griffe à la maison, avec plus de strass et de paillettes mais aussi moins de rock’n’roll que son prédécesseur. Ses défilés – top models, rythmes captivants, lumières éblouissantes – se sont vite avérés spectaculaires, ses campagnes à l’avenant.

Merci Beyoncé

Son plus beau geste est peut-être bien l’un des films qu’il a diffusé au cours de la pandémie en lieu et place d’un de ses défilés-spectacles, celui de la chanteuse française Yseult, noire et tout en courbes, se produisant à la proue d’un bateau-mouche sur la Seine pour les rares passants tandis que le pays était en isolement. Pour un autre défilé organisé au Jardin des Plantes, en présence d’un public local, Covid oblige encore, il a eu l’idée d’installer au premier rang une série d’écrans où s’affichaient les grands noms qui y auraient pris place en d’autres circonstances. Du second rang, on apercevait la frange et les lunettes de soleil d’Anna Wintour, si loin mais un peu là malgré tout.

Lorsque la Semaine de la mode a enfin pu reprendre sous sa forme prépandémique, l’été dernier, Olivier Rousteing a organisé un festival de musique de deux jours pour 6 000 personnes dans une salle de concert aménagée dans l’ancienne usine Renault sur l’île Seguin, au milieu de la Seine. Entre les performances de Doja Cat et Franz Ferdinand, Beyoncé est intervenue par écran interposé pour féliciter le créateur à l’occasion de ses dix ans chez Balmain. «Enfant, je faisais mes devoirs dans ma chambre devant les posters de Destiny’s Child. Même si tout devait s’arrêter demain, j’ai vécu là ma vraie consécration», aime-t-il raconter. Et d’ajouter, dans les pages du journal français Libération, «Moi, je dis que je suis «pop», pour populaire. Je veux faire rêver les gens. Ce qui m’a toujours motivé, c’est la diversité, en termes de races, de corps, de shapes (NDLR: formes). J’ai été critiqué dans le choix de mes égéries, avec des mots comme «vulgaire». Overglam, oversexy, superficiel, on m’a collé toutes les étiquettes.» Le défilé Balmain a été l’apothéose de ces deux journées, avec projection sur écrans géants des passages de légendes comme Naomi, Milla Jovovich, Carla Bruni ou le mannequin grande taille Precious Lee, accueillies par les acclamations d’une foule en délire.

Des silhouettes Balmain de l’automne-hiver 22-23.

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Des silhouettes Balmain de l’automne-hiver 22-23.

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Des silhouettes Balmain de l’automne-hiver 22-23.

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Des silhouettes Balmain de l’automne-hiver 22-23.

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L’armée d’Olivier

Mais son succès, il le doit aussi aux réseaux sociaux. Olivier Rousteing a été l’un des premiers directeurs artistiques à mesurer l’importance d’Instagram. Le styliste a créé sa Balmain Army, une armée de followers qui n’avaient sans doute pas tous les moyens de s’offrir les créations hors de prix de la marque, mais qui l’ont aidé à raconter son histoire. Il passe ainsi pour avoir fait de Balmain le premier label de luxe à franchir le cap du million d’abonnés (NDLR: entre-temps, le compteur affiche déjà 11,6 millions). «Le concept d’une mode entre exclusivité et frustration est dépassé. Les jeunes veulent pouvoir rêver, a-t-il expliqué au magazine français Numéro. La définition de ce qui est chic doit évoluer, nous sommes embourbés dans des modes de pensée d’une autre époque.» Et l’intéressé de confier à Out que «Instagram permet d’être connecté à de vraies personnes, pas seulement à des critiques de mode ou à vos dix collaborateurs qui vous lèchent les bottes pour ne pas perdre leur boulot. Je suis fan des valeurs françaises, mais je pense qu’on peut aussi les traduire d’une manière qui parle à la jeune génération. Nous restons encore trop dans la nostalgie. En voyant un pull marine, on pense automatiquement à la toute jeune Jane Birkin…»

Avant de poursuivre, dans une autre interview pour Libération: «Le milieu de la mode qui se dit avant-gardiste est en fait très conservateur. Moi, je ne m’adresse pas qu’au front row. Les gens se plaignent beaucoup des blogueurs, des influenceurs, du fait qu’on lise moins les magazines, mais il faudrait aussi se poser la question du pourquoi… Si les gens n’ont pas su capter la nouvelle génération, c’est bien qu’il y a une remise en question à faire, non?» Avec cette approche, même s’il est resté longtemps un peu boudé par les critiques établis, le styliste a vu sa renommée se propager bien au-delà du secteur de la mode, des banlieues françaises où il est porté aux nues à Los Angeles. Et le chiffre d’affaires n’a cessé d’augmenter avec son nombre d’abonnés. Depuis 2016, Balmain est aux mains de Mayhoola, le fonds d’investissement qatari qui possède également Valentino.

Ne pas tout dévoiler

Dans une interview au Hollywood Reporter, Olivier Rousteing a déclaré s’être créé un personnage au cours de ses premières années chez Balmain: «Une image glamour, où la tristesse n’existait pas et où l’heure était toujours à la fête. C’était une manière de masquer mes angoisses… mais au bout d’un moment, j’ai voulu briser cette image que j’avais créée.» Le documentaire qui retrace la quête de ses parents en est un bon exemple. L’homme n’a d’ailleurs pas eu un chemin sans obstacle. En octobre 2020, Olivier Rousteing a été victime de graves brûlures suite à l’explosion de sa cheminée – une expérience à laquelle il a consacré un article dans les pages de Vogue. «Mes amis étaient assez loin pour être épargnés, j’ai eu moins de chance. Tout l’avant de mon corps s’est enflammé. Mes amis m’ont aidé à me mettre sous la douche et ont essayé de refroidir ma peau. Sans succès. En quelques secondes, toute ma vie a basculé.»

Il lui a fallu plus d’un an pour se rétablir. Durant plusieurs semaines à tituber «dans un brouillard de douleur», tandis que le monde extérieur ignorait tout de son état, il s’est efforcé de rester loin des projecteurs, dissimulant ses cicatrices derrière des masques et des cols roulés – du jamais-vu pour quelqu’un qui, jusque-là, prenait volontiers la pose en tank top, voire dans le plus simple appareil sur la couverture du magazine Têtu. Sur les réseaux sociaux pourtant, il a continué à donner le change en multipliant les filtres et les photos d’archives, créant l’illusion, pour ses millions d’abonnés, de la vie idéale d’un styliste parisien heureux. C’est ainsi qu’il a pris conscience de la force de ces médias, et de la possibilité qu’ils donnent de ne pas tout montrer. «On choisit ce qu’on dévoile. On peut créer sa propre histoire et éluder certaines choses», dira-t-il.

Seize mois après l’accident, Olivier Rousteing s’est enfin décidé à sortir du silence et a appelé ses fans à ne jamais baisser les bras: «Le soleil finit toujours par revenir.»

Sur les traces de Gaultier

En juillet, le Wonder Boy a encore franchi une étape supplémentaire sur sa route pavée de coups d’éclat, avec sa collection haute couture pour Jean Paul Gaultier, dont il fut le troisième créateur invité, après Sacai et Glenn Martens les saisons précédentes. Une alchimie créative rêvée, confirmée par les images qui ont circulé tout l’été. Car si Olivier Rousteing a pas mal de points communs avec Lagerfeld, c’est peut-être encore plus le cas avec Jean Paul Gaultier. L’ancien enfant terrible s’était lui aussi fait un nom en dehors du secteur − grâce à l’(i)conique corset de Madonna, mais aussi au travers de ses activités de présentateur de télé et de chanteur − et, comme son cadet, il était issu d’une famille de classe moyenne tout ce qu’il y a de plus ordinaire. L’homme à la marinière a également été un génie créatif, en particulier dans les années 80 et 90, et il a sans doute fait avancer la cause LGBTQ+ plus que n’importe quelle autre maison de mode traditionnelle.

Le défilé haute couture d’Olivier Rousteing pour Jean Paul Gaultier, en juillet dernier.
Le défilé haute couture d’Olivier Rousteing pour Jean Paul Gaultier, en juillet dernier. © belga image

Avec le soutien des experts des ateliers Gaultier, le créateur de 36 ans a réussi à conjuguer son vocabulaire et sa vision à ceux de son aîné. Le trentenaire avait beau n’être encore qu’un enfant lorsque JPG a accédé au statut de superstar de la mode, il garde un souvenir ébloui de ses moments avec Madonna, de son talk-show provoc avec Antoine de Caunes et de ses flacons de parfum… Et Rousteing de conclure: «Je pense que Gaultier a aidé beaucoup de personnes de ma génération à se sentir libres d’être qui elles voulaient.»

Olivier Rousteing

Il naît le 23 septembre 1985 à Bordeaux.

En 2003, il rejoint Roberto Cavalli.

Il arrive chez Balmain en 2009 et devient directeur artistique en 2011.

En 2019, sort sur Netflix le documentaire Wonder Boy.

En juillet 2022 il est le créateur invité de Jean Paul Gaultier, pour sa collection haute couture.

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