Trench beige et pantalon noir: pourquoi la mode aime (toujours autant) le minimalisme

mode minimaliste
Collections Printemps-Été 2025 de Khaite, Jil Sander, La Collection et Filippa K. © GF

Monochromie et épurement assaillent une mode désormais bien plus sobre que d’apparence. Zoom sur ce minimalisme dévorant qui risque bien d’uniformiser nos tenues.

La simplicité perfectionnée du label de mode The Row, dont le nom est un clin d’œil à la rue londonienne Savile Row, connue pour ses tailleurs, fait des émules. Cette dernière décennie, les réalisations des sœurs Olsen ont inspiré de nombreuses marques plus récentes telles que Toteme, qui propose un style scandinave sobre, le label américain Khaite, plus edgy, la boutique parisienne The Frankie Shop et ses pièces no-nonsense ou encore la griffe californienne Vince. Toutes se caractérisent par un esthétisme ascétique propre au minimalisme. 

Principes de base

Le regain d’intérêt pour la mode minimaliste ne stupéfie pas forcément les experts qui s’intéressent à ce segment du marché. Gaetan Goesens, propriétaire de la boutique The Housewarming à Anvers et à Gand, explique: «Après la pandémie, les gens avaient besoin de couleur, et comme de coutume, sont ensuite revenus à la sobriété. Ils recherchent également cette sérénité en période de stress et d’incertitude économique. C’est pourquoi les couleurs sobres et le minimalisme ont actuellement la cote. Nos clients préfèrent collectionner des pièces plutôt que de les remplacer constamment. Attentifs à leur budget, ils ont tendance à investir dans un seul beau pantalon ou une seule belle veste, certes un peu plus onéreux, mais qu’ils pourront porter pendant des années. Comme les créateurs travaillent sans cesse dans cet esprit, les clients peuvent acheter une pièce coordonnée lors de la saison suivante.»

Florence Cools, fondatrice et designer du label de luxe belge La Collection, attache beaucoup d’importance à l’intemporalité: «Elle constitue le fondement de notre marque, qui est née d’un besoin en vêtements de qualité, faits de matériaux naturels. Cela a donné lieu à des ‘investment pieces’. Nos clientes préfèrent ainsi s’offrir des pièces dont elles savent qu’elles les porteront encore dans dix ans. Il s’agit plus d’un mode de vie que d’une tendance, car il concerne des personnes qui sont conscientes des répercussions de la fast fashion sur notre monde et posent des choix raisonnés.»

Le prix n’est pas déterminant

Les marques minimalistes surfent-elles sur la vague du quiet luxury qui fait fureur depuis plusieurs saisons? Gaetan Goesens n’aime pas le mot «luxury» qui évoque pour lui «le positionnement axé sur le prix, alors que le minimalisme porte davantage sur la forme. Une belle pièce minimaliste est intéressante sur le plan graphique. Elle est de haute qualité; le bon tissu sur le bon volume. C’est pourquoi un basique coûteux n’est pas forcément une pièce minimaliste. Car le prix n’est pas déterminant. Après, c’est très personnel: on porte ce qui nous semble beau et confortable, sans nécessairement le communiquer haut et fort au monde extérieur. Les détails qui font toute la différence ne sont pas visibles de loin.»

Karen Van Godtsenhoven, curatrice au Barbican Centre et doctorante à l’université de Gand, ajoute: «En adoptant la tendance stealth wealth ou quiet luxury, la classe plus aisée cherche à se distancier du diktat des logos de labels plus récents ou plus tendance en portant des vêtements minimalistes sans logos. Par exemple, des pulls en cachemire d’une petite boutique milanaise ou des loafers d’un chausseur londonien dont seuls les connaisseurs ont entendu parler. Cela leur permet de montrer qu’ils sont old money, du moins leur attitude, car leur fortune est souvent récente. Cette tendance repose sur le statut et accentue davantage les inégalités sociales. Dans des métropoles telles que New York, cela crée un effet d’imitation: la classe moyenne copie les riches et vice versa.

Karen Van Godtsenhoven fait aussi référence à ce qu’on appelle les sad beige moms. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la couleur Pantone de l’année 2025 est le Mocha Mousse. «Pensez au style rich mom de Gisele Bündchen et Gwyneth Paltrow dans des camaïeux de beige, camel et écru, également déclinés en intérieurs et vêtements pour enfants. La tradition de ces basiques luxueux pour femmes actives remonte à Sonia Rykiel dans les années 60, Diane von Furstenberg dans les années 70, Donna Karan dès les années 80 et Jil Sander dans les années 90: chaque décennie en possède une version.»

Une mode libératrice

On a tendance à attribuer au minimalisme presque tout ce qui a trait à l’essence formelle. Ce nom est dérivé du mouvement artistique des années 60 dont les lignes sobres et les couleurs neutres ont également exercé une influence sur la mode. Toutefois, dans les années 20 et 30, les partisans du modernisme avaient déjà fortement allégé et épuré. Avec des adages tels que «Less is more» et «Dieu est dans les détails», le style back to basics rend hommage à Mies van der Rohe. Et, fruit du hasard ou non, c’est à cette même époque que Gabrielle Chanel a libéré les femmes des corsets et de tous les canons contraignants. Mais aujourd’hui, le minimalisme est peut-être ancré dans le retour de la mode des années 90 et de ses designers avant-gardistes.

Karen Van Godtsenhoven: «Cette tendance peut être considérée comme un héritage de la philosophie des créateurs japonais et de quelques belges: Issey Miyake, Rei Kawakubo, Yohji Yamamoto, Ann Demeulemeester, Marina Yee et Martin Margiela. Contrairement aux canons italiens et français qui imposent une certaine forme au corps, ces créateurs ont privilégié une mode libératrice, qui repose sur les principes du kimono et du drapement. Les différences entre les sexes se sont atténuées, et le corps a pu se mouvoir dans un «habitat textile» qui permet un espace entre le corps et la matière. C’est sur la base de ces idées que Cristobal Balenciaga a construit, au milieu du XXe siècle, ses silhouettes sculpturales déconnectées du corps. Demna Gvasalia, qui a travaillé chez Margiela avant d’insuffler une nouvelle vie à Balenciaga, a combiné les principes de ces deux maisons en une version contemporaine qui se caractérise par de grands volumes et des lignes minimales. Aujourd’hui, des créateurs et des marques retravaillent ces idées.»

Un vrai savoir-faire

Le néo-minimalisme reste très éloigné du normcore des tee-shirts gris Brunello Cucinelli portés par Mark Zuckerberg. Gaetan Goesens: «Les pièces ne doivent pas être trop basiques non plus. Elles doivent comporter un élément distinctif. Il se peut que certaines créations aient un pouvoir attractif plus faible, mais c’est lorsqu’on les porte qu’on remarque la différence, qui est étroitement liée aux volumes et aux matériaux. Parfois, on nous dit que nous sommes un défilé de pantalons noirs, mais un modèle n’est pas l’autre. Il en va de même pour une chemise blanche. C’est pourquoi nous essayons toujours d’énoncer les raisons pour lesquelles une pièce a un certain prix. Les collections de Jean-Paul Knott et de Janue se caractérisent par cette atmosphère graphique. Elles portent sur les volumes et la qualité et non sur des couleurs et des imprimés criards. De plus, leurs pièces sont confectionnées en Belgique. Chaque élément provient de Bruxelles. Cela permet de soutenir l’économie locale, et la finition est de meilleure qualité que, par exemple, en Asie.»

Et Florence Cools de poursuivre: «Je pense que ce qui nous distingue, c’est notre méthode de production, c’est-à-dire la grande attention que nous portons à la durabilité. Malheureusement, c’est loin d’être répandu dans le secteur du luxe. Mais bien sûr, cela commence par le «look and feel» d’un vêtement. Les clients tomberont avant tout amoureux de nos designs. Les coupes impeccables et les matériaux que nous utilisons sont éloquents. Même si de plus en plus de labels ont tendance à adopter un style minimaliste, le savoir-faire qui se cache derrière, ou pas, fait une énorme différence.»

Notre shopping mode minimaliste chic

Des pièces sobres et sophistiquées à la fois.

  1. Sac Sardine, 3.700 euros, Bottega Veneta, bottegaveneta.com
  2. Top, 69 euros, Arket, arket.com
  3. Blouson en cuir végan, 890 euros, Acne Studios, acnestudios.com
  4. Chemise blanche, 229 euros, ­Riani, riani.com
  5. Jupe, 580 euros, Bernadette, bernadetteantwerp.com
  6. Blazer, 1.090 euros, La Collection, lacollection.be
  7. Sandales, 110 euros, Geox, geox.com
  8. Sac Rebel Cross Body, 395 euros, KAAI, kaai.eu
  9. Bermuda, 240 euros, Filippa K, filippa-k.com

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