Pourquoi les vêtements que vous achetez sont de si mauvaise qualité

Pourquoi les vêtements modernes sont de si mauvaise qualité - Getty Images
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Lotte Philipsen

À peine acheté, déjà bon à jeter? Même quand on résiste aux sirènes de la fast-fashion et à ses prix cassés, on doit souvent composer avec la piètre qualité des pièces, et leur durée de vie toujours plus courte. Pourquoi? Et surtout, comment y échapper? C’est ce qu’on a tenté de déterminer.      

D’emblée, une enquête du VITO et de Flanders DC, réalisée dans le cadre de la mise en place d’un approche plus qualitative pour les marques de mode, révèle que nous ne sommes pas les seuls à être déçus par la qualité actuelle des vêtements. « Nous avons compilé beaucoup d’anecdotes sur des vêtements qui ont duré des décennies et sont encore en bon état, par opposition à des achats plus récents qui s’usent beaucoup plus vite », explique Tom Duhoux. Le fondateur du label de denim durable HNST est actuellement chercheur à l’Institut flamand de recherche technologique (VITO). Il y travaille avec Flanders DC et Xandres sur un cadre de qualité pour les marques de mode. Et il mène également des recherches sur ce qui constitue un prix équitable pour les vêtements et sur la manière dont nous pourrons à l’avenir recycler les fibres en douceur.

Premier constat: s’il est difficile d’étayer cette baisse de qualité sans une étude comparative approfondie, elle ne semble toutefois pas surprenante compte tenu de l’évolution de l’industrie de la mode. La nécessité d’un encadrement généralisé des normes de qualité est évidente. D’autant que l’étude du VITO montre également un décalage entre les attentes des consommateurs et les estimations des marques concernant la durée de vie des vêtements.

Les consommateurs s’attendent à ce que les vêtements neufs durent au moins trois à cinq ans, alors que les marques estiment que leurs produits dureront au maximum trois à cinq ans. Une estimation qu’elles ne mettent généralement pas à l’épreuve du temps.

Mais au fait, qu’est-ce qui fait la qualité d’un vêtement?

Un vêtement de qualité est un vêtement que l’on peut porter longtemps, sans qu’il s’use rapidement. Les experts s’accordent sur cette appréciation. « Il s’agit d’une question de porté », précise Tom Duhoux. « Un pantalon qui est resté délaissé dans votre armoire pendant des années ne s’usera évidemment pas. Mais un vêtement que vous pouvez porter tous les jours sans déchirures ni boutons défaits est le Saint-Graal ».

La qualité est aussi souvent associée au confort, à la bonne tenue et à l’intemporalité. Samira Lafkioui, responsable production, partage cet avis. « Je n’achèterai pas de vêtements très tendance de sitôt. Je préfère acheter un vêtement que je pourrai porter pendant des années » assure celle qui travaille entre autres pour Julie Kegels et RE Antwerp, ainsi qu’au lancement de la plateforme de patrons numériques Polygonal, et a acquis par le passé de l’expérience auprès de marques telles que AF Vandevorst, Haider Ackermann et Raf Simons.

Lire aussi : Étudier les tissus et retourner les vêtements : voici comment reconnaître les vêtements de qualité

Alexandra De Raeve, directrice du centre de recherche FTILab+ et chargée de cours en technologie textile à l’HOGENT, énumère les principes de base suivants pour déterminer si un vêtement est de qualité : « Coutures soignées, tenue des couleurs, tissus qui ne s’effilochent pas et ne se déforment pas facilement, boutons et fermetures éclair solidement cousus ».

La fonction du vêtement joue également un rôle important. Un imperméable doit vous protéger du vent et de la pluie, tandis qu’une robe d’été a des missions différentes à remplir. Le premier doit être solide et ne pas être lavé souvent ; l’autre passera probablement plus souvent à la machine à laver, mais n’a pas besoin de protéger contre les intempéries.

Nivellement par le bas

« Si vous regardez dans les archives du Musée de la mode d’Anvers, vous trouverez des vêtements plus que centenaires, en bon état. Ils sont évidemment conservés dans les meilleures conditions, mais ces pièces montrent qu’il est possible de fabriquer des vêtements qui durent très longtemps », pointe Samira Lafkioui.

Qui explique le revirement actuel par l’essor de la fast fashion. « Dès les années 1980, l’industrie de la mode a commencé à produire en masse en Asie pour réduire les coûts. La mode est devenue un produit de masse, avec des vêtements moins chers et un rythme de production accéléré. Depuis lors, nous achetons plus pour moins d’argent. En conséquence, nous nous retrouvons aujourd’hui avec des montagnes de vêtements jetés dans des pays comme le Ghana et le Chili ».

« Si un produit est très bon marché, les consommateurs ne s’inquiètent pas tant qu’il doive être jeté plus tôt. Les marques le savent et cherchent donc à savoir jusqu’où elles peuvent économiser sur la qualité sans perdre de clients », explique Tom Duhoux. Depuis que des marques comme Primark et SHEIN ont inondé le marché belge, nos friperies sont envahies de vêtements de mauvaise qualité. À titre d’exemple, sur l’ensemble des textiles qui arrivent aux Petits Riens, seuls 20 à 30 % sont suffisamment bons pour être vendus dans le magasin, raison pour laquelle l’enseigne d’Anvers a récemment lancé un appel en faveur d’un shopping plus intelligent et plus durable afin de rendre les friperies à nouveau attrayantes.

La quantité au détriment de la qualité

L’accélération du rythme de production de la mode exerce une pression énorme sur les créateurs et les travailleurs. Il n’y a plus seulement une collection automne-hiver et une collection printemps-été, mais bien plusieurs collections par an. « Il y a une offre constante de nouveaux vêtements, dans les magasins et en ligne. Les acteurs de la mode ultra rapide ont encore accru la pression ces dernières années. Cela n’est bon ni pour la coupe ni pour la qualité et cela crée en outre des conditions de travail contraires à l’éthique. Autrefois, les équipes de conception pouvaient prendre le temps de créer de bons modèles, avec de bonnes coupes. Le rythme actuel laisse moins de place au processus de prototypage. Exiger que la qualité augmente, mais que le prix diminue : cela ne marchera pas », ajoute Samira Lafkioui.

Et de préciser que « les usines et les ateliers de production sont sous pression, sous l’impulsion des marques et des consommateurs. Ils doivent livrer beaucoup de pièces dans des délais très courts. Je vois de mes propres yeux comment cela peut créer du stress et des problèmes. Beaucoup d’ateliers européens sont également en train de baisser les bras. Ils ne peuvent pas faire face à la production au rythme actuel. Les grandes chaînes sont toujours à la recherche des partenaires de production les moins chers, qui ne sont généralement pas basés en Europe ».

Que se passe-t-il lorsque les marques tentent de faire baisser les prix?

« Tout a évidemment un prix », affirme Alexandra De Raeve, professeur de technologie textile. « Si les vêtements sont vendus à très bas prix, c’est que des économies substantielles ont été réalisées sur des éléments tels que les matières premières et le travail manuel. On ne peut pas séparer l’évolution de l’industrie de la mode de l’évolution du reste de la société et de l’économie ». Concrètement, qu’est-ce que cela implique?

Niveau qualité de la fibre – « Le coton de qualité plus coûteuse a une longueur de fibre de 3,5 cm, parfois même de 4 cm. Malheureusement, la qualité inférieure, avec une longueur de fibre de 2,5 cm ou moins, est plus souvent utilisée. Si l’on file des fils avec ce coton, on obtient beaucoup plus de bouts de fibres courts, qui s’usent aussi plus facilement. Lors du lavage d’un T-shirt en coton composé de fibres courtes, les fibres se perdent plus facilement, ce qui rend le T-shirt plus fin. Pour obtenir un tissu agréable et lisse, il faut des fibres longues ».

Mélange de fibres – « Les fibres naturelles sont souvent remplacées par des fibres synthétiques ou mélangées à celles-ci dans les articles bon marché. Les proportions varient. Alors que l’on voyait souvent un mélange de 65 % de coton et de 35 % de polyester, il est aujourd’hui plus probable que l’on combine 65 % de polyester et 35 % de coton. Les fils de polyester sont plus résistants que les fils de coton, de sorte que les fils de polyester coupent le coton lorsqu’ils sont utilisés. On obtient ainsi des fibres de plus en plus courtes, qui se détachent plus facilement. Plus vous lavez votre vêtement souvent, plus la proportion de coton diminue rapidement. Au final, vous vous retrouvez avec un vêtement en polyester ».

Techniques de teinture – « Il existe des différences de qualité en ce qui concerne les techniques de teinture et les colorants. Il existe des techniques de teinture plus ou moins adaptées à chaque catégorie de matière. Les colorants réactifs, par exemple, sont plus chers, mais ils ont une meilleure tenue des couleurs lorsqu’ils sont utilisés dans des tissus naturels tels que le coton et le lin. Pour les vêtements moins chers, on peut faire l’impasse sur ce point ». La question de la contamination se pose également. La teinture des textiles représente 20 % de la pollution annuelle de l’eau par les industries du monde entier. Les procédés plus sûrs et les teintures textiles plus respectueuses de l’environnement sont plus chers que leurs sœurs et frères toxiques ».

Poids du tissu – « Une astuce des marques consiste à utiliser moins de tissu au mètre carré. Pour un T-shirt fabriqué il y a 20 ans, le tissu utilisé pouvait peser 180 grammes par mètre carré. Aujourd’hui, le tissu est réduit à 160 grammes par mètre carré. En tant que consommateur, vous ne voyez pas la différence. Vous ne la sentez probablement même pas. Mais en le portant et en le lavant fréquemment, cette différence de grammage a un impact sur la rapidité avec laquelle un vêtement se dégrade ».

Finitions désordonnées – « La rapidité de la mode rend également les vêtements moins bien finis. Si l’on veut bien finir un vêtement, il faut d’abord plier les bords et seulement ensuite les coudre, de manière à ce que le tissu ne puisse pas s’effilocher. Parfois, un renfort est fourni sous la forme d’une bande de tissu supplémentaire. Dans les vêtements de prêt-à-porter moins chers, les bords sont au mieux surjetés. La confection est encore très exigeante en termes de main-d’œuvre. Il y a encore beaucoup de choses qui doivent être faites à la main et pour lesquelles on ne peut pas recourir à l’automatisation. Étant donné que cette partie de la chaîne ne peut pas coûter cher, les travailleurs du textile doivent fournir des finitions de qualité inférieure, pour des salaires dérisoires ».

Plus cher = mieux?

« Les prix bradés ne sont donc pas de bon augure, mais si nous mettons un peu plus la main au portefeuille, nous avons plus de chances d’obtenir de la qualité, n’est-ce pas ? Malheureusement, ce n’est pas si simple. Un prix plus élevé n’est pas un gage de qualité », regrette Samira Lafkioui. « Il m’arrive malheureusement de voir chez certains acteurs de la fast fashion des vêtements mieux cousus que ceux des petites marques. Dans ce cas, la cause peut être le tirage. L’acteur international peut bénéficier d’un tarif plus avantageux parce qu’il commande de grandes quantités. La concurrence dans le secteur de la mode est féroce ».

Certaines marques du segment intermédiaire ont été contraintes d’adopter les tactiques des acteurs de la mode rapide pour réduire les coûts. En outre, certaines marques investissent beaucoup d’argent dans leur marketing et misent sur leur image cool. C’est ce qui explique leur prix plus élevé, et non les investissements qu’elles font ou ne font pas en matière de qualité.

Durable = qualitatif et qualitatif = durable?

Un terme souvent associé à la qualité est la durabilité. En principe, une pièce durable devrait être un article qui résiste à l’épreuve du temps. Mais la mode durable (autoproclamée) est-elle toujours qualitative? Là encore, il faut malheureusement nuancer. Tout d’abord, il y a une grande quantité de green washing, où le client pense acheter quelque chose d’écologique, mais est trompé par la marque. Dans ce cas, l’accent est mis sur des détails durables, alors que le reste du processus de production est tout sauf écologique ou éthique.

Deuxièmement, certaines techniques de production sont meilleures pour l’environnement ou le climat, mais pas (encore) nécessairement meilleures pour la qualité. La véritable durabilité est donc bien qualitative, mais comme ce terme est utilisé sans discernement, il ne s’agit pas d’une mesure de la qualité.

Une matière n’est pas l’autre

« Peut-on alors utiliser une liste de matériaux pour séparer le bon grain de l’ivraie dans le magasin ? Pas tout à fait non plus, malheureusement. Deux T-shirts 100 % coton peuvent être de qualité très différente », nuance Tom Duhoux. Qui rappelle que sur l’étiquette, on ne lit pas le type de coton, ni la façon dont il a été teint, ni le nombre de grammes de coton contenus dans le tee-shirt.

« Le classement est difficile, mais j’opterais de préférence pour un vêtement fabriqué à partir d’une seule matière. Qu’il s’agisse de coton, de chanvre ou de polyester », conseille Alexandra De Raeve. « C’est le meilleur choix pour des raisons de durabilité. Il sera plus facile à entretenir, car les instructions de lavage sont claires pour chaque type de matériau, et il est plus facile de le recycler par la suite. Je suis très surprise lorsque je regarde l’étiquette d’un pull en « laine » qui contient jusqu’à cinq types de fibres différentes. Rassembler autant de matériaux n’est pas une bonne idée. Ni pour le consommateur, ni pour le recyclage ».

Et Samira Lafkioui n’est pas non plus une adepte des mélanges de laine. « La laine est une fibre naturelle aux propriétés uniques. Malheureusement, les fabricants ajoutent souvent des fibres synthétiques pour empêcher le lainage, ce qui me semble un raisonnement étrange, car ces fibres finissent par couper la laine en morceaux. Je préfère opter pour la laine pure et adapter mon entretien et mon utilisation en conséquence. Il ne faut pas laver la laine trop souvent, mais un lavage soigneux de temps en temps, par exemple, permet de retrouver un beau rendu ». Et Tom Duhoux d’opter lui aussi pour les monomatériaux. « Si l’on veut défaire les boules d’un pull en laine et acrylique avec un peigne ou une machine, on les sépare. Avec un pull tout en laine, ces outils fonctionnent ».

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Synthétique vs naturel

« Beaucoup de gens détestent le polyester, mais tout dépend de l’utilisation qu’on en fait », estime Alexandra De Raeve. « Pour des vêtements de sport, le polyester est un bon choix. C’est une fibre solide et la tenue des couleurs est généralement très bonne. Il sèche également rapidement, ce qui est pratique lorsque l’on est actif. Le coton peut absorber beaucoup d’humidité, mais il la retient également. Vous continuerez donc à vous sentir moite lorsque vous ferez de l’exercice. Malheureusement, les tissus synthétiques libèrent des microplastiques au lavage, ce qui est mauvais pour l’environnement ».

« Pour un sac de sport ordinaire, vous n’avez pas besoin de fibres synthétiques. De nos jours, le lycra est ajouté à presque tout », ajoute M. De Raeve. « Auparavant, ce matériau n’était utilisé que dans les sous-vêtements, les maillots de bain et les vêtements de sport : des articles auxquels il semblait logique d’ajouter un peu d’élasticité. Aujourd’hui nous en sommes venus à penser qu’il est tout à fait normal que chaque pantalon s’étire, mais c’est en fait problématique. Par exemple, cela va totalement à l’encontre du principe des jeans, qui étaient autrefois censés être des pantalons de travail solides et durables ».

Les tissus innovants sont-ils meilleurs ?

« Le paysage textile fait également l’objet de nombreuses expérimentations. On trouve par exemple des tissus fabriqués à partir de peaux d’orange, de maïs et de filets de pêche délavés. Des espoirs pour l’avenir? Il est difficile de dire si les nouveaux matériaux de la mode sont plus qualitatifs ou non » nuance Alexandra De Raeve. « Nous ne disposons pas aujourd’hui de suffisamment de chiffres pour dire noir sur blanc ce qui est le mieux aujourd’hui, même s’il est bien sûr positif que des recherches soient menées sur des options plus durables. Par exemple, il est difficile de comparer le polyester et les matières synthétiques d’origine biologique, car ils n’existent pas depuis très longtemps. Dans le cas du maïs comme matériau de base, je me demande si c’est une bonne idée d’utiliser la nourriture pour les matériaux de la mode, plutôt que de l’utiliser comme nourriture ».

Ainsi, le lyocell est un tissu relativement nouveau qui s’impose de plus en plus. « Sur notre marché, le Tencel, une forme de lyocell produite par la société autrichienne Lenzing, est la variété durable la plus connue. Il s’agit d’une fibre de cellulose régénérée, ce qui signifie qu’elle part d’une matière première naturelle – en l’occurrence l’eucalyptus – que l’on dissout chimiquement avant d’en filer le fil. Pour un tel bain de dissolution chimique, il faut des solvants », explique M. De Raeve. La production est similaire à celle de la viscose, à la différence que le Tencel est fabriqué dans une chaîne fermée. Lenzing étant une entreprise européenne, elle est soumise à des règles plus strictes en matière de déversement de produits chimiques. Les experts y voient plus d’avantages que d’inconvénients : il faut beaucoup d’eau pour faire pousser des eucalyptus, mais le lyocell est biodégradable, plus respirant que les tissus entièrement synthétiques, solide, résistant et agréable à porter. 

Le piège du recyclage

Le recyclage ne doit pas être considéré comme la solution aux problèmes actuels de l’industrie de la mode selon les experts. Il s’agit certainement d’une piste à explorer davantage, mais l’idéal, selon eux, serait de pouvoir porter plus longtemps les vêtements que l’on achète. Actuellement, environ 1 % des vêtements jetés sont recyclés en vêtements et environ 12 % sont recyclés en d’autres produits. Il ne s’agit donc pas encore d’une activité commerciale importante, mais les solutions de recyclage sont en plein essor.

« Le revers de la médaille du recyclage est que le coton recyclé contient moins de fibres longues que le coton vierge. Par conséquent, si vous achetez un article composé à 100 % de coton recyclé, il ne durera pas aussi longtemps qu’un T-shirt fabriqué à partir de coton vierge de qualité », ajoute Alexandra De Raeve. « Nous devons également nous méfier des marques qui utilisent le recyclage comme un outil de marketing pour soulager la conscience des consommateurs conscients. Je vois parfois des étiquettes « 100 % recyclé », mais il est en fait impossible de fabriquer un T-shirt en coton 100 % recyclé ».

« Pour les tissus naturels, deux options s’offrent à vous en termes de recyclage », explique notre experte textile. « Vous pouvez recycler mécaniquement ou chimiquement. Le recyclage mécanique signifie que les tissus sont effilochés jusqu’à ce qu’il y ait à nouveau des fibres, qui sont ensuite filées pour former un fil. En fait, ce processus ne peut s’appliquer qu’à un mono-matériau. En fonction de la qualité de départ, ce processus peut être répété une ou plusieurs fois. Par exemple, une fibre de chanvre est naturellement beaucoup plus longue qu’une fibre de coton, on peut donc la recycler plusieurs fois. Le recyclage chimique des fibres naturelles consiste à dissoudre les fibres dans un solvant, à presser la solution dans une filière et à obtenir des fils de cellulose régénérée. Le résultat final est une sorte de viscose ».

Et d’ajouter que « les fils de polyester peuvent être recyclés thermiquement, ce qui, en termes simples, consiste à les faire fondre et à les ré-extruder pour en faire un fil. Le chauffage entraîne une détérioration de la qualité. Cela a également pour conséquence qu’il faut beaucoup plus de colorants pour obtenir la même profondeur de couleur. Le polyester peut également être recyclé chimiquement, ce qui permet d’obtenir à nouveau des monomères à partir desquels on peut filer. Ce processus n’en est encore qu’à ses débuts ». « Les vêtements fabriqués à partir de polyester recyclé que vous pouvez acheter actuellement sont généralement fabriqués à partir de bouteilles PET recyclées (parfois même à partir de bouteilles inutilisées), et non à partir de vêtements recyclés. Le polyester recyclé est moins résistant et libère donc plus facilement les microfibres » complète M. De Raeve.

Reste que pour Tom Duhoux, le recyclage reste une piste dans laquelle investir. « Le recyclage des textiles présente de nombreux avantages pour l’environnement. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ne pas travailler avec des fibres recyclées parce que le processus de recyclage est limité et qu’il y a une perte de qualité n’est pas la bonne approche. Dans un nouveau vêtement, on peut parfaitement travailler avec des matériaux en partie recyclés et en partie vierges. Cela se traduit par un gain environnemental important, sans compromettre la qualité ». Pour M. De Raeve, les processus de recyclage s’améliorent en outre de plus en plus, ce qui réduira de plus en plus les inconvénients au fil du temps.

L’Europe donne l’exemple

Dans de nombreux domaines, le secteur de la mode est encore le Far West, mais les décideurs politiques européens semblent s’être réveillés. Par exemple, il est question d’une « stratégie textile », qui fait partie du Green Deal. Cette stratégie devrait aider l’Europe à freiner la mode rapide et son impact négatif. Elle vise à rendre le secteur de la mode durable à l’horizon 2030. D’ici là, tous les produits textiles mis sur le marché européen devront répondre aux caractéristiques suivantes : haute qualité, réparables et recyclables, fabriqués à partir de fibres recyclées dans la mesure du possible, exempts de substances dangereuses et produits dans le respect des droits sociaux et de l’environnement. Pour que ce rêve devienne réalité, de nombreuses mesures sont prévues, notamment l’interdiction de la destruction des textiles invendus, des exigences en matière d' »éco-conception » des vêtements, des règles rendant plus difficile l’écoblanchiment et l’introduction d’un « passeport numérique du produit ». Ce dernier devrait apporter plus de transparence sur le parcours des vêtements et simplifier les systèmes de recyclage ou de réutilisation.

Une plus grande clarté sur toutes les étapes d’un vêtement est essentielle pour la qualité. Les ateliers de couture dépendent du tissu qu’ils reçoivent. S’il n’est pas bon, il est difficile d’en faire quelque chose de qualité. La qualité du tissu dépend également de la matière première. Tout s’affecte mutuellement.  Chaque lien est important, mais il y a actuellement peu de transparence », déclare Samira Lafkioui. Il reste à espérer que le passeport numérique du produit y remédiera. Quoi qu’il en soit, davantage d’informations seront mises à la disposition de tous les acteurs du secteur et des consommateurs.

En juillet, l’ESPR (Ecodesign for Sustainable Products Regulation) a déjà été approuvé. Il s’agit d’une directive-cadre qui n’est pas encore contraignante », explique Tom Duhoux. Pour chaque type de vêtement, un nombre minimum d’utilisations sera probablement fixé ou certaines exigences de qualité technique seront obligatoires. C’est une bonne chose, car cela rendra la qualité beaucoup plus tangible. Actuellement, selon la législation européenne, la qualité est encore trop peu contraignante et les tests de qualité ne sont pas effectués de manière uniforme. « Malheureusement, il n’existe pas encore de label de qualité » regrette M. Duhoux. « D’autant plus qu’à l’heure actuelle, 40 % des informations sur la composition des matériaux que l’on trouve dans les vêtements ne sont pas correctes. Nous l’avons constaté dans le cadre du projet de recherche SCIRT, au cours duquel nous avons examiné les vêtements à l’aide d’un scanner de matériaux ».

Vouloir = pouvoir?

« En examinant la stratégie textile de l’UE, on ne peut qu’être satisfait. Il est prévu, par exemple, que le niveau de qualité des vêtements soit fixé par la loi. La conséquence logique est que les marques très bon marché disparaîtront pour un rien si elles ne peuvent pas se conformer aux exigences en matière d’éco-conception qualitative », affirme également M. De Raeve. « Il reste à espérer que l’obligation de reprise des vêtements permettra également d’amorcer un changement », déclare avec espoir l’expert en textile. « Un certain nombre de marques ont déjà commencé à y travailler. Dans notre pays aussi, on voit de plus en plus de coins de seconde main ou de services de réparation et de retouche dans les magasins. En obligeant les marques à reprendre les vêtements usagés, on les incite à commercialiser de la qualité ». Et de s’interroger: « Je me demande comment l’UE réalisera et contrôlera ces plans ambitieux. Les normes européennes strictes exigent que nous ayons moins recours aux matières synthétiques et que nous produisions plus localement, mais l’industrie textile en Europe est actuellement très limitée. Les nouvelles usines européennes ne seront pas autorisées de sitôt en raison des normes environnementales ».

« Quoi qu’il en soit, nous devons acheter moins pour briser le cercle vicieux. Les entreprises doivent devenir plus durables et améliorer leur qualité, mais les consommateurs doivent aussi acheter moins. Si la qualité est meilleure, les vêtements peuvent être portés plus longtemps. Il n’est alors pas nécessaire de commencer à recycler immédiatement, mais les vêtements peuvent finir dans un circuit de réutilisation local. Je remarque chez mes étudiants qu’il y a un appétit pour des choix plus conscients et plus d’achats vintage ou de seconde main ». Une tendance que l’on retrouve également dans la tendance des médias sociaux « underconsumption core », où les influenceurs encouragent les gens à faire moins de shopping.

« Nous devons veiller à ne pas donner aux consommateurs le sentiment qu’il est de leur responsabilité morale de changer le secteur », prévient Tom Duhoux, chercheur au VITO. « Tant qu’il n’y a pas de transparence, il est logique qu’ils choisissent des produits bon marché. Les marques devraient cesser de se défendre en rejetant la faute sur les consommateurs », estime-t-il.

La qualité des vêtements s’est détériorée au cours des dernières décennies avec l’essor de la « fast fashion ». En choisissant consciemment des marques de qualité, de bons soins et durables, nous pouvons faire la différence. Plus important encore, nous devrions continuer à faire pression en faveur de réglementations qui rendent l’industrie de la mode durable. Nous avons le droit de porter des pantalons qui durent plus d’un an. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que la mode de demain ne soit pas seulement belle, mais aussi équitable, de qualité et durable.

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