Mode outdoor avec une touche british: pourquoi les bottes d’équitation et les cirés cartonnent

Le vestiaire outdoor joue la carte de la sobriété tout en lorgnant du côté de la noblesse britannique. Fonctionnalité et qualité prennent le pas sur les logos. Une esthétique ancrée dans l’histoire, relancée sur les catwalks comme sur les sentiers battus.
En observant les flâneurs ou les terrasses un après-midi frisquet, on a la sensation d’avoir atterri dans les hautes sphères de Cornwall, du Yorkshire ou du Kent – du moins en termes de style. Les tenues fonctionnelles mais voyantes de type gorpcore, signées The North Face ou Patagonia, cèdent progressivement la place à une esthétique plus sobre: sans logos apparents, dans des tons neutres et des matières nobles, avec une touche aristocratique britannique indéniable. Une évolution que le site The Business of Fashion avait déjà prédite dans son rapport de tendances pour 2024: «A mesure que le gorpcore s’essouffle, les marques pourraient se tourner vers une mode extérieure discrète.»
Vieille bourgeoisie VS nouveaux riches
Ce style épuré s’inscrit dans la mouvance du quiet luxury. Un phénomène qui perdure depuis plusieurs saisons déjà, et qui trouve ses racines dans l’évolution du capitalisme dès la fin du XVIIIe siècle. L’élite fortunée prend alors progressivement la place des rois et des ecclésiastiques en tant que classe influente. Pour se distinguer, elle rejette l’apparat de la cour et de l’Eglise en adoptant un style plus réservé. La mode masculine en particulier – adieu perruques et dentelles – devient nettement plus austère. C’est aussi à cette époque que naît la distinction entre vieille bourgeoisie et nouveaux riches. Dans les pays anglo-saxons notamment, l’aristocratie protestante de naissance préfère la «stealth wealth» (la richesse discrète) aux démonstrations tapageuses de ceux qui ont bâti leur fortune et tiennent à l’afficher. Plus tard, ces derniers finiront cependant par copier l’esthétique «old money» pour paraître chics, comme dans la récente série Succession.
A notre époque, la pandémie a relancé ce mouvement. Craignant ses répercussions économiques, l’élite s’est réfugiée dans le «recessioncore», soit des basiques onéreux qui expriment la richesse sans l’exhiber. L’instabilité politique mondiale des dernières années a maintenu cette tendance. Par ailleurs, l’homme moyen apprécie de plus en plus les vêtements pratiques, tout comme les femmes, qui ont appris à aimer les pièces fonctionnelles depuis l’essor de la marche et des activités de plein air (merci le Covid). On pense aux chaussures de randonnée, aux doudounes, aux superpositions de matières techniques.
Des collaborations entre marques de sport et maisons de luxe ont rendu ces tenues plus stylées: The North Face x Gucci, Lululemon x Roksanda, On x Loewe, Hoka x Moncler, Vibram x Balenciaga, Birkenstock x Louis Vuitton ou encore Haider Ackermann comme directeur artistique de Canada Goose. A l’inverse, certaines capsules de luxe comme celles de Dior ou Burberry sont devenues des collections permanentes dédiées à l’extérieur. Peu importe si cette évolution vers le quiet outdoor évoque davantage un pub britannique bucolique que les collines de Hollywood.
Elisabeth II, la pionnière
La culture anglo-saxonne imprègne profondément l’imaginaire collectif occidental. Même sans jamais avoir mis les pieds dans les Cotswolds, nous connaissons la campagne britannique et l’habillement de sa classe privilégiée à travers la littérature, les films et les séries comme The Gentlemen ou The Crown. En temps de crise, l’être humain tend à se raccrocher aux traditions et aux repères. Les bottes et vestes cirées des marques héritage britanniques bénéficient d’une solide réputation: elles ont fait leurs preuves et symbolisent la qualité.
S’habiller selon les codes vestimentaires de l’aristocratie britannique, c’est aussi une forme d’évasion: une nostalgie fantasmée d’un lieu ou d’une époque meilleure, connue à travers l’écran, donc rassurante.
A la mi-2024, au cœur des horreurs de Gaza, de la guerre en Ukraine et de la bataille électorale américaine, les modeux se sont accrochés désespérément à leur «barn jacket» ou «chore coat», ces vestes portées par les palefreniers pour exécuter leurs tâches. Droite, courte, pratique, en coton (ciré ou non), dotée d’un col en velours côtelé ou en cuir, de poches plaquées, de boutons-pression et souvent d’une doublure écossaise: elle constitue un basique non genré de la garde-robe de la haute société british. Parfaite pour une virée à cheval dans les Highlands ou une promenade autour de Balmoral.
La légende veut que la reine Elisabeth II ait refusé que Barbour remplace son modèle Beaufort vieux de 25 ans, auquel elle tenait tant. Citons, parmi d’autres pionniers, Charles III, William et Kate, Lady Di, mais aussi Alexa Chung, Daniel Craig et David Beckham. Quant à Kaia Gerber, Kendall Jenner, Katie Holmes et Hailey Bieber, elles font partie de la nouvelle génération d’adeptes.
Ce n’est toutefois pas la monarchie britannique qui a séduit les jeunes, ni le flegme de Tim Walz, candidat démocrate à la vice-présidence des Etats-Unis. Non, ce sont bien Miuccia Prada et Raf Simons qui ont déclenché la vague. Lors de la Fashion Week de Milan en septembre 2023, Prada a fait défiler des mannequins en robes aériennes portées sous ces fameuses vestes. Et quand ce duo en or lance une tendance, elle s’impose: un an plus tard, la veste envahissait les rues et les premiers rangs des défilés dans toutes les capitales de la mode.
D’autres marques ont suivi le mouvement, de The Row, Fendi, Loewe, Toteme et Wales Bonner à Sézane, &Other Stories, Mango ou Zara. Cette veste séduit par son allure nonchalante et cool, qui rehausse instantanément une tenue sans effort. Si basique qu’elle se substitue à un blazer pour un look preppy, tout en apportant une touche edgy à une robe de bal – une duchesse moderne se doit d’être prête à tout. Et assez neutre que pour accompagner aussi bien une chemise-cravate qu’un jeans et des mocassins, voire des chaussures de rando lors d’un week-end en Ardenne.
L’effet Gallagher
Le succès de ces vêtements d’extérieur de luxe repose sur leur polyvalence et leur intemporalité: leur qualité et leur fonctionnalité sobre en font un investissement durable. Et la tendance ne se limite pas à la «barn jacket». Les vestes Harrington (chez Prada), les tricots écossais (Altuzarra), les bottes, capes et manteaux à carreaux (Chloé) se prêtent tout autant à un bain de boue dans les landes anglaises qu’à un passage sur les podiums.
Dior l’a pris au pied de la lettre pour sa collection Croisière 2025, présentée au château écossais de Drummond. Quant au défilé Burberry pour l’hiver prochain, il respirait aussi le «castlecore». La marque, en perte de vitesse, a changé de cap, délaissant les tendances pour se recentrer sur le luxe outdoor avec trenchs, cabans, parkas et doudounes. L’acteur Richard E. Grant – aperçu dans Saltburn, tourné dans un manoir anglais – a été recruté pour accentuer le «british flair».
Les imperméables ont entre-temps conquis toutes les grandes maisons, et la parka s’impose comme la nouvelle venue. L’icône de la britpop Liam Gallagher n’y est pas pour rien: depuis l’annonce de la tournée Oasis Live ’25, la demande explose. Et les défilés printemps 2025 confirment que nous resterons au sec, avec des modèles waterproof colorés repérés chez Prada, N°21, Coperni, The Attico ou encore Burberry – aussi faciles à porter que la «barn jacket».
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