Entre emballement des prix et de la clientèle, on a tenté de comprendre l’engouement croissant pour les calendriers de l’Avent
Hier encore relique de l’enfance au goût de chocolat trop sucré, les calendriers de l’Avent sont désormais un plaisir qui ne connaît plus ni âge, ni limites. Alors que certains se négocient pour des montants à quatre chiffres, quand d’autres ne sont pas carrément épuisés avant même Halloween, comment le phénomène a-t-il pris des allures de folie collective? C’est ce qu’on a tenté de déterminer.
Si on vous dit « octobre », peut-être pensez-vous « automne », « feuilles mortes » ou encore « Halloween », entre autres incontournables bien de saison. Mais plus le temps passe, plus il est possible que le passage au 10e mois de l’année vous évoque également la période des fêtes. C’est qu’octobre est désormais également le mois de lancement de pléthore de calendriers de l’Avent, lesquels, bien qu’ils servent techniquement à décompter la vingtaine de jours précédant la Noël, sont parfois en rupture de stock avant même le passage à l’heure d’hiver.
« Découvrez en exclusivité notre Calendrier de l’Avent » annonçait le label amstellodamois de bijoux et autres jolies babioles Anna + Nina ce mardi 15 octobre. Une invitation accompagnée d’un avertissement: « Les quantités sont limitées, donc inscrivez-vous sur notre liste d’attente pour éviter toute déception! On lance les ventes ce vendredi! ». Le 18 octobre, donc, si vous (dé)comptez bien. Et si, de prime abord, le timing peut sembler aussi farfelu que la mise en garde, qu’il serait tentant de réduire au rang de technique agressive de marketing, le fait est que chaque année, les modèles les plus désirables de calendriers de l’Avent sont vendus en quelques heures seulement – et se revendent ensuite à prix d’or sur le marché secondaire.
« Je décompte donc je suis » semble être le leitmotiv d’un public en pleine croissance, qui transcende âge, sexe et milieux sociaux, et est aussi susceptible de faire un spectacle de l’ouverture de chaque case sur le réseau de son choix que de décompter les jours un cadeau à la fois en toute intimité. Enfin, « un cadeau », façon de parler, car certains des calendriers les plus chers comptent bien 25 cases mais 10 ou 15 surprises seulement, réparties judicieusement, tandis que les accros aux calendriers ne se limitent pas à un seul modèle par saison et ont donc plusieurs présents à découvrir chaque jours.
Mais comment en est-on donc arrivés là?
Vie les fêtes
Pour tenter de percer ce mystère, le Père Noël ayant fermement refusé de répondre à nos multiples demandes d’interview, on a décidé de se tourner vers une des marques surfant depuis quelques années sur cet engouement. Rituals ne se contente en effet plus de disposer des versions miniature de ses produits de soin et de beauté dans un seul format de calendrier à cases, mais bien plutôt de proposer chaque automne une série de modèles allant du basique à l’ouvragé sans oublier le « Premium », la valeur des produits contenus ainsi que le niveau de détail de leur contenant augmentant à chaque palier passé.
Version 2024, il vous coûtera ainsi 79.9 euros pour le modèle basique, 99.9 euros pour la version Deluxe et 149.9 euros pour la version Premium, ces deux dernières représentant une reconstitution miniature d’un idyllique village néerlandais, guirlandes lumineuses incluses. Et si débourser un montant à 3 chiffres pour des mini produits renfermés dans du carton coloré vous semble cher payé, sachez que chaque année, c’est la version la plus chère de ce trio de calendriers qui est sold out la première.
« Nous proposons notre calendrier de l’avent dès le début du mois de septembre. Nous constatons qu’une fois les vacances d’été terminées, les gens attendent avec impatience le prochain événement festif, et nous souhaitons en profiter pour les mettre immédiatement dans l’ambiance des fêtes, étant donné que les calendriers de l’Avent en sont un élément clé. Notre stratégie permet de répondre à la demande et de donner aux consommateurs suffisamment de temps pour faire leurs achats avant que la saison festive ne commence officiellement » explique-t-on du côté de chez Rituals.
Où l’on théorise que « les consommateurs apprécient toujours plus les moments où ils se font dorloter et prennent soin d’eux, et les calendriers de l’Avent s’inscrivent parfaitement dans cette tendance. Nous voyons de plus en plus de marques en proposer leur propre version, même en dehors du secteur « traditionnel » pour ce type de produit. Les gens sont prêts à investir dans des objets qui les aident à se détendre et à rendre les fêtes encore plus spéciales ».
Et Rituals de préciser encore que « l’importance accordée au self care et à vivre une expérience de qualité durant les fêtes de fin d’année s’inscrit dans une tendance plus générale qui consiste à investir davantage dans le soin de soi. Pour de nombreuses personnes, l’achat d’un cadeau de dépend plus seulement de sa valeur, mais aussi de l’expérience qu’il procure. Rituals répond à cette attente en proposant des produits à part entière dans des emballages de luxe, ce qui accroît le sentiment d’exclusivité ».
Le prix payé est moins perçu comme un obstacle que comme le reflet de la valeur et de l’expérience que l’on en retire.
assure-t-on encore du côté de la marque néerlandaise.
À laquelle la mention « rupture de stock » accordée année après année à ses modèles les plus élaborés semble entièrement donner raison.
Prendre (et offrir) du plaisir
D’autant que ces derniers restent plus que raisonnables comparés au budget nécessaire pour s’offrir certaines autres versions.
Ainsi, si vous voulez décompter jusqu’à la Noël en compagnie de produits Augustinus Bader, il vous faudra débourser 525 euros, contre 520 euros pour la version signée Valmont et 1.000 euros tout de même pour le calendrier Swarovski, ce qui reste une affaire comparé aux 1.555 euros du calendrier de bijoux du label londonien Missoma… Qui ne contient « que » six cadeaux, soit 259 euros la case à ouvrir.
De l’argent jeté par les fenêtres (du calendrier)? Pas forcément, nuance-t-on du côté du bureau d’analyse de données Circana.
C’est que « le plus souvent, les calendriers de l’Avent de luxe offrent aux consommateurs un excellent rapport qualité-prix, car ils contiennent une variété de produits, dont certains sont cultes et d’autres sont des innovations qu’ils ne pourraient pas se procurer autrement. En outre, dans le cas de calendriers renfermant des produits de beauté ou comestibles, c’est une occasion de tester des nouveautés sans devoir immédiatement investir dans un produit grand format ». Même si tout le monde ne partage pas cet avis plutôt positif.
Dans un entretien accordé à Euronews Business, l’experte en comportement de consommation Sue Hayward affirmait pour sa part que « la tendance des détaillants à vendre des calendriers de l’Avent « chics » avec des étiquettes de prix élevées est devenue complètement folle ces dernières années ». Et d’ajouter que certains modèles extravagants coûtent bien plus que le budget moyen alloué d’ordinaire à un cadeau de Noël.
Et les marques, elles, qu’en disent-elles? « Les calendriers de l’Avent dits « luxueux » répondent à un besoin d’expérience, surtout en période de fêtes où l’abondance et la générosité prennent tout leur sens » décrypte-t-on chez Neuhaus, où on n’a pas attendu l’emballement pour proposer 24 cases remplies de chocolat.
« C’est une période où l’on veut se faire plaisir, mais aussi faire plaisir aux autres. C’est un moment de gratitude, de partage et de petites attentions. Nos calendriers offrent cette touche de magie et de raffinement qui transforme chaque jour de décembre en une expérience unique et précieuse ».
« Mais il y a encore plus onéreux, certaines marques de luxe et de cosmétiques proposant des calendriers entre 500 et 1000 euros, comme ceux de Guerlain ou Sisley par exemple. Mais la magie de ces calendriers est qu’il y en a pour tous les goûts et tous les budgets » pointe encore l’inventeur de la praline.
Relativement nouveau venu sur ce marché festif, puisqu’il n’en est qu’à la 2e édition de son décompte, le spécialiste français du vernis green Manucurist fait pour sa part écho à l’avis des analystes de Circana.
Et souligne qu’avec « l’inventivité des marques qui rivalisent chaque année pour offrir des concepts innovants, il y a encore beaucoup de potentiel pour que cette tendance continue à grandir. Ces calendriers permettent de découvrir de nouveaux produits, souvent en édition limitée, et prolongent l’excitation des fêtes sur plusieurs jours, ce qui plaît énormément. Pour nous, c’est une opportunité de proposer une expérience plus immersive et engageante ».
L’offre et la demande
Bon. Mais pourquoi dès l’automne, alors? « Tout d’abord car nos clients fidèles sont en partie des beauty addicts qui aiment comparer les offres, ainsi qu’on le remarque avec la recrudescence de vidéos de reviews de calendriers de l’Avent, qui commencent dès septembre sur Youtube.
Mais c’est aussi une réponse à la demande croissante des consommateurs qui sont de plus en plus impatients de commencer à se plonger dans l’esprit festif dès l’automne. Les marques, en particulier dans les secteurs de la beauté et de la mode, s’adaptent en conséquence pour offrir des produits exclusifs plus tôt, souvent dès octobre. Voir en septembre pour les Etats-Unis. On choisit alors de s’aligner sur ces lancements pour ne pas perdre d’éventuels prospects.
Ensuite, il y a un aspect commercial. Proposer les calendriers de l’Avent à l’avance permet de capter les ventes avant que la concurrence ne devienne trop forte dans le courant du mois de novembre. Cela prolonge également la période de vente » nous confie-t-on chez Manucurist.
« C’est une évolution du marché qui s’est installée progressivement. D’une part, il y a une demande croissante de la part des consommateurs pour se préparer aux fêtes plus tôt, presque comme une manière d’étirer la période de plaisir et d’anticipation.
D’autre part, nous observons que d’autres marques suivent la même tendance, et il est important pour nous de ne pas être en retard pour répondre à cette attente. Cette tendance est particulièrement présente aux USA et au Royaume-Uni, où nous sommes également présents.
Tout particulièrement à Londres où les calendriers sont déjà présents dès la fin août ! Nous voyons que cette tendance s’étend progressivement en Belgique, particulièrement au niveau du e-commerce : dès que nous mettons les calendriers en ligne, nous recevons déjà un nombre important de commandes. En étant présents dès l’automne, nous permettons à nos clients de choisir en toute sérénité le calendrier qui leur convient le mieux » partage Neuhaus. Et d’assurer que « le chocolat reste évidemment le cœur de cette tradition, mais les consommateurs recherchent désormais une expérience plus immersive, qui va au-delà du simple plaisir gustatif »…
Jusqu’à l’écoeurement?
Pas de cases, pas de chocolat
Nos trois experts sont unanimes: le décompte est (et est appelé à rester) bon pour ces calendriers.
« Dans une société de plus en plus anxiogène, la période de l’Avent représente un moment de joie, de plaisir et de lâcher-prise. Ouvrir chaque jour une petite fenêtre pour découvrir un chocolat (ou autre chose d’ailleurs) permet de s’accorder une pause et de se reconnecter avec la magie des fêtes, seul ou avec ses proches », affirme-t-on chez Neuhaus.
« Ce rituel apporte une véritable valeur émotionnelle, et c’est ce que les consommateurs recherchent de plus en plus, que ce soit pour les petits ou les plus grands. Donc nous pensons que les calendriers ont encore de beaux jours devant eux, mais on va devoir être des plus en plus créatifs également! »
confie encore le chocolatier d’exception.
Et Rituals de renchérier. « Les calendriers de l’Avent sont nostalgiques ; ils sont plus qu’un simple engouement temporaire. Bien que l’intérêt ait augmenté au cours des dernières années, ils continuent encore à gagner en popularité. Ce qui a commencé comme un compte à rebours traditionnel avant Noël est devenu un rituel significatif. La variété des thèmes abordés les rend attrayants pour un large public, tandis que le renouvellement annuel de leur contenu permet aux consommateurs d’être surpris chaque année, ce qui renforce leur attrait ».
En Grande-Bretagne, le multimarques branché Liberty, dont le calendrier beauté était proposé à plus de 1.200 euros tout de même l’hiver l’automne dernier, a malgré tout vendu tous les exemplaires disponibles en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Christmas is coming« . Et si les cyniques n’y verront qu’un signe supplémentaire que le phénomène a atteint son apogée, et est forcément appelé à disparaître, la responsable du retail chez Liberty, Sarah Coonan, jure elle que chaque année, « nous devons augmenter le nombre d’unités pour répondre à la demande, tant au Royaume-Uni qu’à l’étranger, avec toujours plus de pays ajoutés à notre liste d’expédition ».
Reste que s’il rencontre plus de succès que jamais, le calendrier anno 2024 ne partage plus guère que son nom avec son ancêtre. Originaire d’Allemagne, où il fait son apparition dès le XIXe siècle, le « calendrier de l’Avent » consistait ainsi à l’origine à offrir chaque matin aux enfants une image pieuse. Pas de cases, pas de chocolat.
Et si, selon la psychanalyste française Geneviève de Taisne, ce décompte serait idéal pour apprendre la patience aux enfants, quelque chose nous dit que dans sa version actuelle, il pousse moins à la vertu qu’au pêché de convoitise… Mais un pêché tellement mignon, à l’emballage si ouvragé, alors bon. Et puis comme ça, au moins, même si belle-maman vous offre encore une horreur pour la Noël, vous aurez déjà reçu pléthore de jolis cadeaux en décembre. Ho ho ho!
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