Retour à la nature: quand les rats des villes deviennent rats des champs

Benjamin et sa compagne ont rejoint la Gaume pour y élever leur fille loin des villes. Entre-temps, un fils les a rejoints. © Alice Leunen

Aujourd’hui, une question est sur toutes les lèvres des citadins : cette période aurait-elle été plus douce à la campagne, dans une maison avec jardin ? Témoignages de quatre anciens rats des villes devenus rats des champs.

Benjamin voulait offrir un cadre de vie verdoyant à ses enfants et a rejoint la Gaume

 » Je viens de Kraainem, la banlieue flamande de Bruxelles. Et, pendant des années, je me suis tourné vers la ville. Adolescent, j’y passais mes soirées, mes nuits, mes week-ends. J’adorais être confronté à son énergie, à la liberté qui règne dans l’anonymat de ses rues. J’y ai fait mes études et j’y ai habité. A Ixelles. Entre les fêtes du quartier Matonge, quand les morceaux de chèvres grillés embaument les rues et que le bissap coule à flots, les terrasses de la place Flagey, et le bouillonnement du quartier de l’université. Pendant quinze ans, j’ai marché dans la ville. Volontairement sans voiture, je traversais des communes entières à pied, découvrant de nouvelles communautés, de nouveaux centres culturels, des magasins où acheter des haricots péruviens, du ras-el-hanout marocain ou du kvas russe en bouteilles de deux litres.

Entre-temps, j’ai rencontré une jolie Ardennaise qui partageait mes passions et m’a donné goût au trekking. Et je me suis passionné de nature, jusqu’à suivre une formation de guide. Et j’ai fait de la nature mon métier. Puis, ma compagne est tombée enceinte, et là, nous avons décidé de partir. En Gaume. Le pays des pâtures, de la Semois et des douces collines. Nous ne voulions pas offrir aux petits poumons de notre fille les gaz d’échappement de la capitale. Aujourd’hui, de la fenêtre de mon bureau, je vois plonger des martins-pêcheurs dans l’étang du vieux moulin où nous habitons, les grues qui migrent par centaines et les écureuils qui font leurs nids dans un vieux tilleul. Ce qui m’a le plus marqué, en déménageant, c’était de sentir à nouveau le rythme des saisons, voir au jour le jour la flore et la faune réagir et s’adapter.

Alors, oui, aujourd’hui, la culture urbaine me manque. La richesse des centres culturels flamands, les graffitis, les happenings underground… et j’espère bien que mes enfants iront découvrir ça pendant leurs études. Moi, je profite du printemps qui s’épanouit et, quand nécessaire, je prends la voiture et retourne me perdre dans Bruxelles.  »

Elisabeth et sa famille ont quitté la ville pour une ancienne ferme en pleine nature, à Renaix

 » Je ne pourrais plus vivre à Gand. Ça peut paraître fou, car j’ai adoré ma vie urbaine. Pendant des années, nous avons été engloutis par l’énergie de la ville et son offre incroyable de cinémas, théâtres, cafés et restaurants. Nous n’avions pas le temps de nous ennuyer. C’était fantastique, mais notre vie sociale bouillonnait tellement que je n’arrivais plus à me concentrer et à prendre le temps de me consacrer à mon projet ( NDLR : Elisabeth Leenknegt possède sa propre marque de bijoux, Elisa Lee). Et aujourd’hui encore, quand je passe là-bas, cela ne me ressource pas, je rentre encore plus fatiguée.

Retour à la nature: quand les rats des villes deviennent rats des champs
© FRÉDÉRIC RAEVENS

Voilà maintenant dix ans que nous avons emménagé à Renaix. C’est un peu un retour aux sources, car j’ai grandi ici. Mais ce n’est ni pour cette raison ni pour combler notre besoin de nature que nous avons fait ce choix. Le prix du mètre carré était trop élevé à Gand. Le budget dont nous disposions n’était pas suffisant pour nos ambitions. Petite, j’ai grandi en appartement avec mes parents, et je voulais offrir plus d’espace à mes fils. La ville ne me le permettait tout simplement pas. Mes parents nous ont fait découvrir une ancienne savonnerie. Si certains y ont vu un taudis invendable, elle nous a tout de suite tapé dans l’oeil. La nature avait envahi le bâtiment, et des oiseaux le traversaient en volant. C’est cet édifice qui nous a fait quitter notre précédent domicile. Et comme il se trouve dans le centre, la transition n’a pas été trop radicale.

Nous avons transformé une partie des lieux en atelier. Il y avait donc toujours de la vie à la maison, puisque j’avais sept employés. Toutefois, cette activité ne nous permettait plus de profiter du calme. Nous avons donc redéménagé après huit ans, dans une vieille ferme, à Renaix également. Une ruine avec une merveilleuse vue. Nous avons dû la rénover presque intégralement et nous avons acheté un terrain de plusieurs hectares autour. Chaque baie vitrée nous offre un panorama imprenable sur la nature environnante. J’ai lu un jour qu’habiter entouré de verdure rendrait heureux, et aujourd’hui, nous le confirmons. Finalement, nous sommes simplement mieux ici, en nous contentant des choses simples comme le bruit du vent dans les feuilles de peupliers.

Gand me manque rarement. Pour moi, elle est devenue une ville trop policée, trop lisse. Avec quelques artistes locaux, nous avons fondé den Tank, un collectif chargé entre autres d’organiser des événements. Par exemple un pique-nique dans un parc qui a attiré environ trois cents personnes. Nous avons aussi réussi à transformer une prairie en véritable station balnéaire à l’aide de piscines gonflables, de bains à bulles et de transats, le temps d’une journée. L’entente entre voisins est également au beau fixe. Nous partageons de temps en temps des pizzas cuites au feu de bois et envisageons de créer un potager et un champ de roseaux communs. Nous assistons à presque tous les spectacles du centre culturel local et nous voyons toujours nos amis gantois. Ici, bien sûr, car ils aiment s’asseoir autour du feu et même camper dans notre jardin pour se ressourcer.  »

Ellen a quitté Anvers pour s’installer dans une villa des années 70 à Schiplaken

Ellen, créatrice de chaussures, considère la nature comme une source d'inspiration.
Ellen, créatrice de chaussures, considère la nature comme une source d’inspiration.© FRÉDÉRIC RAEVENS

 » Habiter en banlieue ne m’a jamais attirée : je voulais vivre soit au centre-ville, soit à la campagne. Pendant quinze ans, j’ai donc occupé un appartement au coeur d’Anvers mais tout à coup, j’ai eu envie de changer d’air. De respirer la nature à pleins poumons. Je voulais de la lumière et une belle vue, de préférence sur des prairies et si possible sur des collines… et des animaux ! Un ancien copain de classe à posté sur Facebook que la villa vintage de son père était à vendre. J’ai été immédiatement séduite : la maison datait de 1969 et se trouvait à Schiplaken, un petit hameau avec seulement une boulangerie et une boucherie, même pas de café. Malines, Bruxelles et Anvers restaient à proximité et les environs avaient l’air magnifiques, boisés et verdoyants. On pourrait penser qu’une ville, avec tous ses stimuli et son mouvement continu, est une excellente source d’inspiration, mais je me sentais submergée par Anvers. Je devais retrouver un peu de calme. La nature, avec ses formes capricieuses et ses combinaisons de couleurs surprenantes, influence mes collections chaque saison (NDLR : Ellen Verbeek est créatrice de chaussures). Ma vie sociale ne semble pas avoir souffert de mon déménagement : je vois toujours autant d’amis, de pièces de théâtre et d’expos, juste un peu moins facilement.

L’ancien propriétaire des lieux était cultivateur de chicons. Ce qui explique pourquoi la salle de bains est dans la cave par exemple : il pouvait passer du champ à la douche directement. Les premières années, je n’ai presque rien changé à l’habitation : l’esthétique primait sur le côté pratique, car je voulais conserver le style authentique. Plus tard, pendant les rénovations, je m’en suis tenue le plus possible aux couleurs et aux matériaux des seventies. Ma cuisine avait déjà été liftée depuis longtemps quand quelqu’un m’a fait remarquer  » qu’elle était vraiment bien conservée « … La maison est sur plusieurs niveaux, et les baies vitrées apportent un maximum de lumière. Le jardin était déjà très bien entretenu quand je suis arrivée, avec des plantations typiques de cette époque-là aussi. Certaines sont un peu démodées, comme les conifères, mais l’ensemble est cohérent. J’ai juste demandé à quelques fermiers voisins de retirer les énormes sapins. L’espace libéré est devenu mon petit laboratoire. Je me passionne pour les fleurs sauvages. J’ai loué un scarificateur et j’ai lu tous les livres et articles que je trouvais sur le paysagiste Piet Oudolf et son style naturel et spontané. J’ai réfléchi aux tons et aux motifs et j’ai planté diverses espèces, de sorte qu’il y en ait toujours une floraison. La première année était fantastique : toutes les deux semaines, mon jardin changeait de teintes. La seconde saison par contre, le parterre était moins florissant, mais on m’avait prévenue que ce serait le cas. Ce que cela m’a enseigné, c’est qu’il me reste encore beaucoup à apprendre. Et qu’un jardin demande beaucoup d’entretien. Mais c’est justement ce que je cherchais : travailler les mains dans la terre équivaut presque à de la méditation. Quand devrais-je commencer à tailler les buissons ? Comment élaguer un saule ? Est-ce que ce sont des mauvaises herbes ? Je dois constamment me renseigner. Heureusement, mes voisins s’y connaissent.

Je n’ai pas encore d’animaux par contre. Pour l’instant, je voyage trop pour en adopter, mais un jour j’élèverai des poules, des alpagas et peut-être même des vaches et des moutons. Entre-temps, un fermier du voisinage occupe la prairie derrière la maison. Deux fois par an, il fauche le foin avec d’énormes machines. Lorsque les cigognes de Planckendael viennent profiter du champ fraîchement fauché, la ville semble délicieusement lointaine. « 

Christine a réalisé son rêve : vivre en autonomie dans la nature, au coeur de sa forêt, à Rongy

Ancienne présentatrice, Christine vit en pleine nature, pas seulement pour le calme, mais surtout parce qu'elle pense que le sens de la vie est là.
Ancienne présentatrice, Christine vit en pleine nature, pas seulement pour le calme, mais surtout parce qu’elle pense que le sens de la vie est là.© FRÉDÉRIC RAEVENS

 » J’ai eu une première vie très citadine, liée aux médias, avec beaucoup de travail et une vie sociale bien remplie ( NDLR : elle était présentatrice télé). Mais quelque chose ne tournait pas rond. Déjà à l’époque, dès que je le pouvais, je partais en Finlande dans une petite cabane au bord d’un lac. Je me sentais à la maison dans la nature, reconnectée avec moi-même et apaisée, mais y vivre totalement me semblait impossible. Sauf que la pression, elle, continuait de monter. J’ai décidé de prendre du recul et du temps pour réfléchir. J’ai adopté un chien et je suis allée en forêt, sur une parcelle sans eau et sans électricité. Je me suis rendu compte que ce que je voulais vraiment, c’était vivre de manière autonome dans la nature. Et c’est ce désir qui a structuré ma transition : j’étais déjà végétarienne et je suis devenue végane.

Puisque je devais faire pousser mes légumes, j’ai passé une formation en permaculture. Ça a été l’un des gros déclics. L’autre, c’est la rencontre avec une kinésiologue maître reiki. Elle a changé ma vie et j’ai moi-même fini par me former. Puis j’ai voulu accompagner des gens qui vivaient ce que j’avais traversé. Le fond du problème, c’est qu’on a oublié notre lien avec la nature. Mais la nature nous le rappelle toujours. S’y reconnecter, c’est aussi se reconnecter à soi. Tout ce que je propose avec mon ASBL Rainbowlogie partage cette même conviction, du zéro déchet à la cosmétique naturelle, en passant par mes cercles de femmes de pleine lune. Depuis un an et demi, j’ai la chance d’avoir ce terrain à Rongy, au milieu de 80 hectares de forêt. Il y a un étang, des saules pleureurs, des châtaigniers, des arbres fruitiers. C’est d’une beauté sans nom. J’y tiens des retraites pour apprendre à méditer, à cuisiner les produits locaux et de saison. Je fais aussi découvrir les plantes sauvages médicinales, je propose des formations en permaculture, des bains de forêt… L’appel de la nature, pour moi, c’est le sens premier de la vie. C’est là que tout reprend sa place. C’est le commencement.  »

rainbowlogie.be

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