Yamila Idrissi, nouvelle directrice du MAD: « Notre priorité sera de transformer le talent en business »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Isabelle Willot

A 52 ans, cette juriste, ancienne parlementaire, vient de prendre la tête de la plate-forme bruxelloise dédiée à la mode et au design. Ses priorités? Remettre l’innovation, la durabilité et l’inclusion au coeur des processus créatifs. Et ouvrir les portes du paquebot MAD à un public plus cosmopolite.

On attend de moi d’être au-dessus de la mêlée. Je ne viens pas du milieu de la mode ou du design mais j’ai toujours travaillé pendant mes dix ans de vie parlementaire (SP.A) à Bruxelles dans les secteurs de la culture et de la créativité. Au-delà de l’expertise que l’on peut acquérir en sachant bien s’entourer, il est essentiel d’avoir une affinité pour ces domaines, ce qui est mon cas depuis toujours. Mon rôle sera d’accompagner le changement.

Le MAD n’est pas qu’une simple vitrine. La mission d’une plate-forme d’expertise en matière de mode et de design est économique bien sûr, mais aussi sociétale. Le secteur était déjà fragile et l’est devenu plus encore en ces temps de Covid. Notre priorité sera de transformer le talent en business, d’aider les jeunes créateurs à concrétiser leurs rêves. Mais le MAD ne doit pas être un paquebot réservé aux initiés, il doit s’ouvrir à un public plus large. Devenir un lieu de découvertes et de débats sur les grands enjeux d’aujourd’hui que sont l’innovation, la durabilité et l’inclusion.

Le prochain Virgil Abloh est peut-être dans les rues de Bruxelles. La presse internationale n’hésite pas à la comparer à Berlin. La nouvelle avant-garde créative est ici, elle se nourrit de ce bouillon de cultures cosmopolites. Dans une région dotée d’une population aussi diverse, pour attirer les jeunes de toutes origines vers les métiers de la mode et du design, il faut les convaincre que c’est possible en leur montrant des « role models » lors d’expos, de conférences ou de projections. Je pense au créateur néerlandais d’origine marocaine Karim Adduchi, à la Britannique Grace Wales Bonner qui explore avec sa marque l’identité masculine noire, ou encore à la Tunisienne Leïla Menchari, la décoratrice des vitrines d’Hermès qui a su inspirer l’une des plus belles maisons de luxe du monde.

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Le design n’est pas réservé à une élite. Cela va au-delà de quelques beaux meubles chers. Il a aussi sa place dans l’espace public, grâce au mobilier urbain. Se demander comment un terrain de basket et tout ce qui l’entoure peut devenir un véritable lieu de convivialité, c’est dire à celles et ceux qui le fréquentent qu’ils méritent, eux aussi, le beau et ce qu’il y a de meilleur.

La mode existe depuis que l’homme des cavernes s’est drapé d’une peau de bête. Elle dit beaucoup de ce que nous sommes en tant que civilisation. Elle est essentielle car elle participe à l’estime de soi, elle nous protège parfois même au sens propre – que serions-nous sans les masques aujourd’hui? Mais ses bienfaits ne nous dédouanent pas de pointer les excès d’une industrie des plus polluantes. Voulons-nous encore d’une mode qui produit des tee-shirts à 3 euros au Bangladesh? Je suis convaincue que le salut viendra des nouveaux créateurs qui travailleront en pleine conscience de ces aspects et auront intégré la durabilité au coeur de leur modèle économique. Pour cette nouvelle génération, l’inclusion n’est pas non plus un vain mot.

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J’ai toujours refusé de faire ce que l’on attendait de moi. La première fois que j’ai dit non, j’avais 12 ans. En dépit de mes bons résultats, le PMS m’avait envoyé vers une option couture. J’y suis restée un an mais j’ai vite senti que cette section allait me fermer des portes. Et j’ai changé d’école. Je voulais étudier le droit et c’est ce que j’ai fini par faire. Même chose lorsque j’ai décidé, il y a deux ans, de quitter la politique. Pour moi, un cycle se terminait. Quand vous prenez de telles décisions, vous trouvez toujours des gens pour tenter de vous dissuader en projetant leurs angoisses sur vous. J’ai tenu. Et grâce à cela, je me retrouve ici à faire le job de mes rêves.

Une femme issue de l’immigration ne se cogne pas à un plafond de verre mais à une dalle de béton! Celui qui a le pouvoir vous ramènera toujours à votre identité. Vous enfermera dans la case où il a envie que vous vous cantonniez. Certes, j’ai brisé la dalle. Mais à quel prix! Si j’y suis arrivée, c’est parce que je suis berbère, bruxelloise et têtue! Les jeunes aujourd’hui osent davantage prendre la parole, dénoncer ce qui, dans cette société, exclut ou blesse parfois. Ma génération était plutôt « brave », eux ne vont pas se laisser faire.

J’aime les villes qui ont une histoire. Tout comme je n’ai jamais choisi entre les deux cultures qui me définissent, Bruxelles et Marrakech contribuent à mon équilibre. Ce sont des villes qui ne se livrent pas facilement mais lorsque l’on prend le temps de les explorer, on en est récompensé. A Marrakech j’ai découvert à quel point travailler avec des artisans pouvait vous soigner l’âme. J’aimerais aussi pouvoir redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat bruxellois, tout ce savoir-faire qui, si on n’y prend pas garde, pourrait tomber dans l’oubli.

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