Smoking Tom Ford, montre Omega et portable Sony Ericsson : pour son 22e retour à l’écran, James Bond a fait du shopping. Plus courtisée que jamais par les labels de luxe, la franchise confirme son statut de marque culte. Inusable autant qu’indémodable. Décryptage.Son nom est Bond. James Bond. Et il aime ses martinis secoués, pas agités. A base de vodka Smirnoff, s’il vous plaît. La marque, il est vrai, fera de la figuration active dans le 22e volet des aventures de l’agent le moins secret de la planète, (re)connu et admiré par plus de 3 milliards de fans ces quarante dernières années. Un rôle qui lui coûte très cher. Car comme le groupe Ford Motor, les montres Omega ou les ordinateurs Sony, Smirnoff qui peut se targuer du titre de  » partenaire officiel  » du film en Belgique, devra sortir son chéquier pour jouer les guest stars.

La question des montants à payer pour défiler dans les crédits du film reste taboue, mais des chiffres circulent dans les couloirs des studios hollywoodiens. Ainsi, le quotidien en ligne Variety.com es-time que les efforts financiers consentis par tous les  » sponsors  » de Casino Royale – le précédent opus marqué par l’apparition dans le rôle-titre de Daniel Craig – s’élevaient en 2006 à plus de 100 millions de dollars (environ 69 millions d’euros). Selon le même news américain, Quantum of Solace (1) devrait pouvoir compter sur la même manne.

Si le  » placement de produits  » est devenu monnaie courante au cinéma – les experts s’entendent pour dire que 95 % des films y ont désormais recours -, il semble presque naturel chez Bond. Dès les premiers romans de Ian Fleming, alors qu’il n’était pas encore question d’adaptation cinématographique, le Commander affiche ses préférences pour les grands vins, les belles voitures et les accessoires dernier cri. Des objets brandés qui ont permis au fil des livres et des longs-métrages de donner corps à cet espion qui aimait tant les marques, au point d’en devenir une lui-même.  » Au fil du temps, Bond est devenu une marque et les acteurs qui l’incarnent peuvent être considérés comme des produits qu’elle lance et qui en retirent également en retour une certaine notoriété « , affirme Philippe Marion, professeur de communication publicitaire à l’UCL.

 » La saga a d’emblée obéi à une logique de marque, par son souci de façonner un univers et un visuel propres à son héros, puis de s’y conformer sans déroger à la charte initiale, tout en l’oxygénant au fil du temps, analyse Guillaume Evin, journaliste au quotidien économique français L’Expansion (2). Bond est immédiatement reconnaissable : le Walther PPK, le vodka-martini, l’Aston Martin, même lethème musical du générique sont des signes  » structurants  » de la franchise.  » Sans oublier le smoking, bien sûr, toujours coupé par les meilleurs tailleurs et revisité cette année par une autre légende vivante, le créateur américain Tom Ford.

Bond, une marque culte

 » Rien ne pouvait me faire plus plaisir que d’habiller Daniel Craig dans le prochain film, confie celui que l’on verrait très aisément se glisser dans la peau de 007 tant il a réussi, lui aussi, à se construire une imageforte. C’est un honneur de faire évoluer ce personnage iconique. Quand on parle d’habiller un homme, il n’y en a pas un seul qui égale James Bond.  » Comme le souligne encore Guillaume Evin,  » avec Bond, on frôle la marque culte, le jackpot marketing. Elle est archiconnue et également toujours compétitive. Elle reste la valeur étalon du film d’espionnage grand public « . Qui, depuis Dr No, en 1962, a rapporté à ses créateurs plus de 3,5 milliards de dollars (environ 2,4 milliards d’euros)…

L’inoxydable séducteur attire les hommes qui aimeraient tant lui ressembler, les femmes qui rêvent de s’en faire aimer et les marques qui se verraient bien tirer profit d’une promotion croisée.  » James Bond, c’est un monde à part dans l’univers du placement de produit, détaille Jean-Patrick Flandé, à la tête de Film Media Consultant, l’agence française qui assure depuis plus de trente ans le « casting » des emblèmes de Bond. Dans un film classique, à la lecture du scénario, on arrive à placer en moyenne une dizaine de marques. Ici, les producteurs de la franchise ont choisi de se limiter à 4 ou 5 apparitions de produits à l’écran, soit une montre, un champagne, un téléphone portable, un ordinateur et, bien sûr, une voiture. « 

Non contents d’obtenir leurs secondes de gloire – un plan serré sur l’objet, une cascade ahurissante au volant de leur bolide ou mieux encore une citation du nom de la marque – la plupart des partenaires officiels profitent également du lancement du film pour sortir une version  » bondienne  » de l’un de leurs produits et investissent des millions en campagnes publicitaires pour le promouvoir.  » Dans la majorité des cas, la production ne touche pas d’argent de ses partenaires, poursuit Jean-Patrick Flandé. Ce qu’ils pourraient demander – quelques millions de dollars, maximum – serait de toute manière dérisoire par rapport au budget total d’une telle production. Les marques investissent en échange de leur participation dans des annonces où se mêlent la promo du film et celle de leur propre produit qu’elles mettent aussi généralement à la disposition de l’équipe du film. « 

Le budget pub du film est quasi doublé, sans que la  » major  » ait à débourser un centime pour ce supplément de tapage médiatique.  » C’est une opération win-win, renchérit Jean-Patrick Flandé. On estime que 10 % des spectateurs iront voir le film grâce à des campagnes croisées. A l’inverse, les ventes des produits associés grimpent en flèche dans les semaines qui suivent et qui précèdent la sortie du film.  » Un effet Bond sur lequel Omega mise depuis 1995.

Les Bond Girls aussi savent consommer

Au poignet de l’agent secret depuis GoldenEye, la Seamaster Diver 300 m opère pour l’occasion un relooking classieux.  » Il s’agit de la version la plus élégante du modèle produite à ce jour, assure Eric Vanderhoeven, responsable de la marque Omega pour la Belgique et le Luxembourg. Pour l’occasion, Bond is back in black.  » Un modèle noir – pour le retour d’un 007 plus sombre que jamais – qui ne sera proposée qu’à 10 007 exemplaires appelés à devenir des pièces de collection. Swatch qui fait partie du même groupe horloger qu’Omega s’est pour sa part offert une licence – pas d’apparition à l’écran donc, mais le droit de surfer sur la vague 007 – qui vise clairement un public plus jeune. La collection Swatch 007 Villain rend hommage à tous les  » méchants forts et puissants sans lesquels Bond ne serait rien et que tous les vrais fans adorent haïr, ironise Nicolas Hayek, fondateur et président du Swatch Group. Omega est la montre que James Bond a choisie mais les vrais méchants préfèrent Swatch.  »

Alors que Sony Ericsson lance une version collector Titanium de son portable Cyber-shot C902, le constructeur Ford n’a pas hésité, pour les besoins de sa cause, à mettre les Bond Girls à contribution. A l’écran, Olga Kurylenko – alias Camille – prendra le volant d’une Ford Ka. Modèle qui, à la ville, fera l’objet d’une édition spéciale  » Solace  » avec peinture métallisée dorée et impressions graphiques sur les côtés. Même combat pour l’éditeur italien Maxalto qui meublera… la chambre à coucher du beau James et qui recréera dans ses vitrines le décor de la suite du Grand Hotel Bolivar, avec dans le rôle-titre son lit Talamo. Chez Sony, si l’on espère bien sûr que les laptops et écrans plats mis à la disposition de la production n’auront pas été coupés au montage, on admet que  » l’effet James Bond  » se mesure surtout en termes d’image de marque.  » James Bond est un passionné de technologie, de design, justifie Steven De Smet, responsable de la communication chez Sony Belgium. Il ne choisit que le meilleur. Cela ne peut qu’avoir un impact positif pour Sony. « 

Pas de droit de regard sur le script

En échange de ces bons et loyaux services les marques ont-elles, comme cela se murmure en coulisse, un droit de regard sur le scénario pour s’assurer une visibilité suffisante à l’écran ?  » Absolument pas, dément Jean-Patrick Flandé. Ce qui prime, c’est avant tout la qualité du film. Il arrive qu’une des scènes où apparaît le produit disparaisse lors de l’editing final. Dans ce cas, nous prévenons l’annonceur. Mais comme il s’agit de relations à long terme, bien souvent cela ne pose pas de problème. Ce que l’on perd dans un film, on le gagne dans le suivant. « 

Un excès d’exposition peut d’ailleurs s’avérer dommageable pour les deux partenaires.  » Tout est question de nuance, insiste Philippe Marion. S’il y a trop de marques ou qu’elles sont mises en scène de manière gratuite, le spectateur se sent agressé. Ce fut le cas pour Die Another Day (2002), le dernier James Bond avec Pierce Brosnan. A forcede voir des labels partout, les gens ont eu le sentiment d’être face à un long spot publicitaire. Et ils ont d’ailleurs cyniquement rebaptisé le film Buy Another Day(NDLR : Achète un autre jour).  » Un sale coup pour l’image du haut fonctionnaire supposé incorruptible de Sa Gracieuse Majesté…

(1) Le film sortira le 5 novembre prochain sur nos écrans.

(2)In Brand, James Brand, diffusion en ligne, avril 2004 (tiré de l’ouvrage Goldmaker, par le même auteur,

aux Editions Fayard, 2002).

Isabelle Willot

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