Dans chacun de ses projets, le designer insuffle une part de  » naturalité « . Entretien avec un créateur les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.

Il fait partie de cette génération de designers presque parfaits. Ces beaux gosses au joli coup de crayon, aussi à l’aise avec les fabricants de cosmétiques qu’avec les industriels du mobilier. Noé Duchaufour-Lawrance a commencé fort en dégainant à 28 ans un décor science-fictionnel au Sketch (le restaurant-concept de Mourad Mazouz, à Londres). Un premier coup d’éclat qui présageait du meilleur et qui aurait pu (sur)gonfler son ego. Mais non, le garçon a poursuivi discrètement sa route. En 2005, il confirmait l’essai chez Alain Senderens en donnant une sensualité contemporaine au décor de Majorelle. Depuis, il a affirmé son écriture tout en courbes et fait de la  » naturalité  » son leitmotiv. Dans chacun de ses projets de design ou d’architecture, il cherche à  » tisser un lien émotionnel avec la nature « . Histoire de reconnecter les hommes au monde, une ambition sincère qui donne une belle cohérence à ses réalisations. L’une des dernières n’est autre que le Ciel de Paris, le restaurant du 56e étage de la tour Montparnasse où il nous a donné rendez-vous.

Comment vous êtes-vous inscrit dans cette tour, emblème d’une architecture mal-aimée des années 70 ?

Ce restaurant possède l’une des plus belles vues de Paris, car c’est la seule où l’on a la tour Eiffel en plein axe et où l’on ne voit pas la tour Montparnasse ! J’ai donc essayé de rendre hommage à ce panorama et de gommer les contraintes liées à cette architecture sortie de terre en 1974, l’année de ma naissance. Elle a le même âge que moi, mais disons qu’elle a un peu plus vieilli. Elle porte encore les lunettes fumées d’Yves Mourousi… Il a fallu que j’estompe les traces de la structure existante et que j’apporte de la chaleur au lieu. J’ai voulu créer une sorte de bulle de lumière ambrée en travaillant une couleur de leds très chaude. J’avais en tête l’ambiance dorée du bar du Standard Hotel, à New York. Mon idée était aussi de ramener la vue à l’intérieur du restaurant. Le soir, les lumières de la ville se reflètent dans les vitres. Le ciel de Paris envahit Paris ! J’ai renforcé cette impression avec un jeu de miroirs, de façon que les frontières entre l’intérieur et l’extérieur s’effacent.

À la galerie BSL, vous exposez une collection en série limitée baptisée Naturoscopie. Quel en est le propos ?

J’ai voulu retraduire à travers des objets domestiques des sensations liées à la nature, comme le bruissement des feuilles, le reflet du soleil, un ciel changeant. Sans pour autant utiliser un langage littéral et des matériaux écologiques comme le bois ou le liège. L’important pour moi était de trouver les matériaux les plus intéressants par rapport à ce que je voulais exprimer. L’étagère est, par exemple, en fibre de carbone par souci de solidité. Sa forme arborescente évoque les structures cellulaires que l’on trouve à toutes les échelles de la nature, du micro au macro. Avec les appliques en forme de branches, j’ai voulu évoquer le soleil traversant des feuillages. J’ai travaillé sur des jeux de reflets dans des miroirs et des programmations aléatoires de leds réalisées à partir de mouvements de feuilles dans les arbres. C’est finalement un système low-tech rendu efficace par une multitude de tests. Dans ces recherches, j’ai aussi été inspiré par le travail et les propos de Carlo Mollino.

D’où vient votre admiration pour cet architecte italien auquel vous faites souvent référence ?

C’est sa philosophie que je trouve fabuleuse, son côté pluridisciplinaire. Il était architecte, mais aussi designer, poète… J’ai appris récemment qu’il est mort en 1973 dans l’anonymat, ce qui correspond bien à ce personnage qui a pris sa vie à bras-le-corps et qui n’a jamais pensé à  » faire carrière « . Il possédait son propre atelier de fabrication et de recherche, ce qui est finalement assez rare. J’aimerais aussi construire mon outil de production dans un environnement en lien avec mes sources d’inspiration et ma famille. C’est un vrai projet de vie. Je rêve d’un lieu à moi où pousser encore plus loin mes recherches.

D’où vient votre passion pour le meuble ?

Mon père était un polytechnicien qui avait tout plaqué pour devenir sculpteur dans l’Aveyron. Il est mort quand j’étais très jeune. À l’adolescence, j’ai su que je voulais aussi dessiner et créer. J’aurais pu choisir d’être artiste, mais j’ai préféré m’accrocher à la réalité et aux contraintes de fonctionnalité du meuble. Ces objets du quotidien ont une force de narration incroyable. Ils racontent beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît. Le mobilier est ce qu’il y a de plus proche de nous après le vêtement. C’est la façon dont on peut le plus se rapprocher de l’être humain. Ce qui m’importe, c’est de transmettre une émotion à travers mes créations et toute la difficulté est d’y arriver en respectant le cadre de l’industrie, les contraintes de la production. C’est en introduisant le plus de naturalité possible dans mes projets que je donne du sens à mon travail.

Qu’entendez-vous par  » naturalité  » ?

J’essaie de m’inspirer des formes de la nature, de sa logique interne. Tout y est. Cela m’aide à créer des lieux ou des objets harmonieux, sensibles. Je viens de terminer le lounge du nouveau terminal S4 d’Air France à Roissy. Du plan jusqu’aux formes, j’ai travaillé sur l’idée de la ramification. Dans un monde où l’on vit de plus en plus hors sol, on a besoin de se reconnecter. J’ai une relation émotionnelle très forte avec la lumière, le ciel, l’horizon, héritée de mon enfance dans un petit village du Finistère nord au bord de la mer. J’ai passé onze ans à détester cet endroit, à m’y ennuyer… Et en même temps, c’est là où j’ai le plus appris. Les Bretons possèdent un sens incroyable de l’humilité et de la justesse.

Un peu comme les Japonais… Justement, vous avez été choisi pour créer le restaurant Megu de l’hôtel Alpina, à Gstaad. Quelle sera l’ambiance ?

C’est un restaurant japonais où l’on mangera des sushis, mais dans un chalet en bois au caractère très alpin. Toute la difficulté était d’hybrider ces deux cultures. La moquette, sculptée à la main, reprend l’idée des sillons des jardins zen. Pour l’éclairage, j’ai fait fabriquer des lames de verre par des artistes verriers qui évoquent des strates géologiques. L’espace sera délimité par un jeu de claustras, comme un filtre avec le paysage.

Exposition Naturoscopie, Galerie BSL, à Paris (IIIe),

jusqu’au 15 décembre prochain. Tél. : +33 1 44 78 9414.

Rétrospective, showroom Silvera Wagram, à Paris (XVIIe),

du 11 au 20 octobre. Tél. : +33 1 56 68 76 00.

PAR MARION VIGNAL

 » J’AURAIS PU DEVENIR ARTISTE, MAIS J’AI PRÉFÉRÉ M’ACCROCHER À LA RÉALITÉ. « 

 » LE MOBILIER EST CE QU’IL Y A DE PLUS PROCHE DE NOUS APRÈS LE VÊTEMENT. « 

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