Deux révolutions sont passées et un vent nouveau souffle sur la Tunisie. Une autre façon de voyager s’esquisse depuis que les maisons d’hôtes s’ouvrent un peu partout dans le pays.

L’âme de la Tunisie est dans ses médinas et au coeur de ses villages. Comme à Djerba, où c’est en s’aventurant dans les terres que l’on découvre le coeur battant de l’île. Depuis des siècles, les familles élargies y vivent dans des menzels, fermes fortifiées blanchies à la chaux. Même désir ancestral de s’abriter derrière de hauts murs, dans les villages où de lourdes portes à heurtoir s’ouvrent sur les paisibles patios des houchs, maisons fermées sur l’extérieur. L’agitation de la rue fait brusquement place à une oasis de sérénité. A des années-lumière des souks bruyants et des plages semées de resorts bondés que la plupart des voyageurs se contentent de fréquenter. En réalité, c’est 90 % de l’île qui reste le plus souvent méconnue. Depuis peu, quelques passionnés proposent de changer d’univers et de loger en chambre d’hôtes.

LES PRÉCURSEURS

C’est en découvrant le concept à l’étranger que Slah Allani décide d’ouvrir en plein centre de Djerba ce qui sera la première maison d’hôtes de Tunisie, Dar Dhiafa. Avec son épouse italienne, ils ont mis un point d’honneur à respecter le style et l’atmosphère des houchs d’autrefois. Il leur faudra tout de même huit ans pour acheter, réunir et rénover cinq maisons mitoyennes jadis habitées par des familles juives. Car c’est là l’une des particularités de Djerba et notamment de ce village d’Erriadh. Depuis des temps immémoriaux, juifs et musulmans y vivent en harmonie. A quelques centaines de mètres de Dar Dhiafa, chacun peut visiter librement la synagogue El Ghriba, l’une des plus anciennes du monde.

www.hoteldardhiafa.com

Dans le même village, Dar Bibine est une autre adresse bourrée de charme – tenue par des Belges ! – et que l’on peut qualifier d’historique. Avocate de formation, Isabelle n’avait pourtant jamais imaginé vivre un jour en Tunisie. Elle et son mari architecte ont toujours eu pour habitude, lors de chaque séjour à l’étranger, de consacrer une journée à la visite de quelques maisons en vente. Et voilà que, lors de vacances à Djerba, elle tombe amoureuse d’un houch abandonné depuis quinze ans. Sur un coup de tête, elle verse l’acompte et signe l’acte en arabe sans être certaine de son contenu. Et sans savoir ce qu’elle ferait de sa nouvelle acquisition. Au fil des travaux, Isabelle et Gérard se plaisent tellement qu’ils décident d’abandonner leurs carrières en Belgique et d’ouvrir des chambres d’hôtes. Leurs amis crient  » aux fous  » ! D’autant que l’administration kafkaïenne du régime Ben Ali les prive au départ de l’autorisation d’ouvrir. Mais lorsqu’Isabelle l’obtient, le ministre du Tourisme lui demande d’écrire la loi tunisienne sur les maisons d’hôtes ! Dar Bibine fait partie de ces adresses uniques où l’on vient tant pour le charme du bâtiment typiquement djerbien – avec ses pièces voûtées, ses patios et ses terrasses auxquels les propriétaires ont ajouté avec bonheur des touches contemporaines – que pour l’accueil chaleureux et sincère des propriétaires qui font tout pour vous choyer du petit déjeuner au repas du soir.

www.darbibine.com

Houmt Souk, sur la côte nord de l’île, abrite une autre adresse en lien avec la Belgique. Eric est en effet originaire de Charleroi. Avec son épouse tunisienne Halima, thérapeute énergétique de formation, ils décident de louer une grande maison pour accueillir des hôtes et ouvrent en pleine révolution Dar Zina. On s’y sent d’emblée comme chez soi.  » On aime prendre le temps avec nos hôtes, insiste Eric, bien sûr sans rien leur imposer. Je les guide et les accompagne au souk pour éviter qu’ils se fassent arnaquer.  » Halima tient à faire découvrir la culture tunisienne et à transcender les clichés qu’ont beaucoup d’étrangers, notamment à travers sa table d’hôtes, copieuse et pleine de surprises. Pour ce couple, accueillir des voyageurs est un plaisir avant tout et non une affaire de rentabilité, comme en atteste le tarif modeste et invariable pratiqué tout au long de l’année.

www.dar-zina.com

MOS ESPA, PLANÈTE TATOOINE

Pour rejoindre le continent, on emprunte soit le ferry, soit une chaussée jetée sur la mer par les… Romains. Avant d’atteindre le grand lac salé du Djerid et le Sud désertique, la route traverse un paysage chauve et raviné. A première vue, on ne le remarque pas directement mais au fil du temps, la région de Matmata est devenue un véritable gruyère. Dans le village même, il vaut mieux regarder à deux fois où l’on pose les pieds pour ne pas chuter au milieu du… patio d’une habitation. Car ici, depuis des générations, on creuse sa maison sous terre pour se protéger de la chaleur. Plusieurs centaines de ces petits cratères subsistent, mais quelques dizaines seulement seraient toujours occupés. Certains habitants autorisent la visite en échange d’une piécette. De l’extérieur, un tunnel permet d’accéder à une sorte de puits autour duquel sont excavées les pièces d’habitation. Murs blanchis à la chaux, simplicité extrême du mobilier, greniers aux étages… Une atmosphère intemporelle enrobe cet habitat primitif qui a inspiré George Lucas pour le tournage de scènes célèbres de Star Wars. Dans le village de Matmata, l’un de ces troglodytes, l’hôtel Sidi Driss, a servi de décor pour la ferme des Lars. La Tunisie compte pas moins de onze sites de tournage de cette saga. Ainsi, de l’autre côté du Chott el Djerid, le réalisateur a planté plusieurs fois ses caméras dans le sable. Les dunes d’Ong Jmel gardent les impressionnants vestiges du village de Mos Espa sur la planète Tatooine, où Anakin Skywalker, futur Dark Vador, passa son enfance. Un site en danger car situé dans une région de dunes mobiles. Au début de cette année, des milliers de mètres cubes de sable ont dû être déplacés. Un répit temporaire. Des fonds ont été avancés par l’Etat tunisien pour restaurer le site et un appel aux dons a été lancé sur une plate-forme de financement participatif (www.savemosespa.org) pour compléter le montant. L’objectif étant cette fois de mettre en valeur ces décors qui ont fait rêver toute une génération de cinéphiles.

OASIS DE MONTAGNE

En bordure du Grand Erg oriental, une nappe phréatique miraculeuse offre quelques-unes des plus belles oasis du Sahara. Tozeur, prolongée par Nefta, déroule ainsi un long ruban vert de plus de 40 kilomètres. Infinité de jardins méticuleusement cultivés à l’ombre des dattiers, fournissant fruits, céréales, fourrage pour les bêtes, henné pour les femmes et bois pour la construction, l’artisanat et le chauffage. Négligée un temps par les habitants qui préféraient des logements plus modernes, la médina de Tozeur a du même coup conservé son charme et son atmosphère. Encore une fois, c’est toute une vie qui se devine derrière les murs aux briques disposées géométriquement et les lourdes portes en bois de palmier. Au détour d’une ruelle, Dar Nejma se cache derrière l’une de ces portes imposantes. Une fois franchie, c’est la surprise : le patio est en partie occupé par une piscine sertie de verdure et dessert les chambres et les pièces communes. Décorées et meublées avec raffinement, elles pourraient figurer dans un conte des 1001 nuits… Un endroit magnifique où, qui plus est, on mange divinement bien : les plats qui sortent de la cuisine de Hedia vous feront faire le tour des délices de la gastronomie tunisienne.

http://darnejma-tozeur.com

Dans un style différent, situé au coeur de la ville, Dar Saida Beya est un petit hôtel de charme typiquement tozeurois, habillé de brique claire ajourée et de bois de palmier. On aime sa terrasse qui offre une vue panoramique et la déco épurée des lieux.

www.darsaidabeya.com

A 25 km au sud de Tozeur, Nefta est une oasis quasi mystique. Elle doit sa sérénité à ses 100 coupoles propices à la méditation mais avant tout à sa situation étonnante : une immense palmeraie irriguée par une centaine de sources. C’est cette  » Corbeille de Nefta  » que domine une autre adresse fascinante : Dar Zargouni. La maison, autrefois propriété d’un ambassadeur de Belgique, est articulée autour de deux patios et enrobée d’une végétation luxuriante rafraîchie par la fontaine centrale. Les quatre suites ont été décorées dans un style sobre propre à la région. Mais l’atout charme indéniable, c’est son emplacement extraordinaire et sa piscine qui semble survoler comme un tapis volant l’oasis et le désert.

www.darzargouni.com

En poursuivant vers le nord, on rejoint une poignée d’oasis atypiques, assises sur les derniers contreforts de l’Atlas. Dans un paysage creusé de canyons et de gorges profondes se lovent quelques bouquets de palmiers, ombrageant les séguias qui cascadent depuis les sources jaillissant de la montagne : Tamerza, Midès et Chebika, à découvrir en fin de journée, lorsque la lumière fait exploser les couleurs et rougeoyer le désert…

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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