Cathy Pill, Sandrina Fasoli, Valeria Siniouchkina. Trois femmes, trois parcours, trois univers. Points communs : l’architecture de la coupe et la cohérence du vêtement qu’elles ont toutes trois héritées de leur passage à La Cambre. Ensemble, elles ont fait leurs premiers pas à Paris en octobre dernier en présentant, chacune, leur toute nouvelle collection printemps-été 2006. Attention, talents !

Paris, octobre 2005. Si les défilés officiels sont déjà terminés, les affaires continuent à se négocier. Le salon  » Rendez-vous « , installé à l’espace Pierre Cardin, accueille, cette année, pas moins de 80 talents en devenir. Tringles alignées à perte de vue et couleurs en pagaille, ce showroom dédié à la jeune création n’a certes pas le chic d’une vitrine sur les Champs-Elysées, mais constitue déjà une étape obligée pour se faire connaître auprès des acheteurs potentiels en quête de souffles nouveaux. Pas étonnant, dès lors, que Cathy Pill, Sandrina Fasoli et Valeria Siniouchkina se soient retrouvées dans ce décor aux allures de marché. Chacune, à des degrés divers, est parvenue, en peu de temps, à se faire connaître à l’étranger pour son originalité.

Les prix de l’Andam remportés par Cathy Pill en 2005 ont d’ailleurs porté leurs fruits. La lauréate dispose en effet d’une place de choix, juste à côté de l’entrée, bien en vue. Mais sa collection  » Blink  » n’en a pas vraiment besoin : repérables de loin, ses lignes amples et souples, ses imprimés aux couleurs vives et chatoyantes, ses noirs et blancs aux géométries distendues au gré des volumes de la coupe sont d’ores et déjà devenus sa marque de fabrique.

Le verdict ?  » Paris, c’était surtout un premier test, se souvient aujourd’hui Cathy Pill. Je ne comptais pas vraiment sur des ventes, mais j’ai quand même écoulé quelques modèles… A vrai dire, je suis surtout étonnée de l’accueil fait par la presse à ma collection.  » Et c’est peu dire : le lendemain de sa présentation dans le hall des Maréchaux au Louvre, l’illustre rédactrice de mode Suzy Menkes lui consacre un article élogieux dans l' » International Herald Tribune « .  » Elle est venue me voir en personne ! sourit-elle pudiquement. C’est bien plus que je n’aurais jamais osé espérer. Je suis assez fière de cet article…  »

De leur première expérience parisienne, Sandrina Fasoli et son acolyte Michaël Marson ont également récolté les lauriers.  » Paris, c’est l’industrie, s’exclame Michaël. On sent tout de suite que ce n’est plus du tout de la rigolade ! Mais on y a vécu des moments magiques « , ajoutent-ils en se regardant, des étoiles plein les yeux.  » Nous appréhendions vraiment cette présentation au Louvre qui devait durer sept heures d’affilée ! poursuit Sandrina. Mais, au bout du compte, on a eu des échos très positifs dans la presse. Grâce à des jeux d’habillage et de maquillage, on a réussi à créer une ambiance féerique. C’était un peu comme une toile qui aurait pris vie lentement. Ce tableau en mouvement, dans lequel nous étions nous-mêmes acteurs, faisait naître des scènes devant les yeux des spectateurs.  » Il faut dire qu’avec ses matières douces et vaporeuses et ses modèles tout en détail et raffinement, l’univers de Sandrina Fasoli est déjà, en soi, une ode à la poésie et à la sensualité.

Au salon  » Rendez-vous « , Sandrina et Michaël n’ont pas enregistré de vente, mais ils adoptent malgré tout la positive attitude :  » C’était la fin de saison et les budgets étaient malheureusement épuisés, regrettent les deux créateurs. Mais on s’y était préparé et puis on a réussi à se créer pas mal de contacts. Beaucoup de Japonais et de Coréens se sont intéressés à notre travail et c’est plutôt encourageant puisque, contrairement aux Européens, ils achètent au coup de c£ur et non sur le nom ou la réputation d’un créateur. Nous sommes aussi conscients qu’une première collection est souvent difficile à vendre. Les acheteurs ont besoin d’un minimum de sécurité et d’assurance sur l’avenir. Bref, il n’y a que le temps qui peut arranger cela !  »

Street Chic

Pour Valeria Siniouchkina, créatrice du label  » Girls from OMSk « , l’expérience n’a pas été vraiment concluante. Il faut dire que ses modèles conçus pour  » ses filles  » légères et court-vêtues s’adressent d’avantage à de jeunes lolitas qu’aux acheteuses ultrachics des Galeries Lafayette ou branchées de chez Colette :  » Je suis plus du style Paris Hilton que de celui d’Emma de Caunes ! s’amuse la jeune créatrice. Ce salon ne correspondait donc pas vraiment à l’esprit de ma collection. Aujourd’hui, je comprends que, pour bien faire les choses, il faut aussi réussir à faire des choix et à ne pas se laisser influencer par ce que font les autres !  »

Difficile, il est vrai, de se distinguer dans cette masse hétéroclite de talents.  » Le plus dur, c’est le manque d’espace, tranche Valeria. Ici, pas de place pour l’individualité. Chaque stand est identique, les vêtements sont tous exposés sur des tringles et ils perdent inévitablement de leur valeur. C’est donc assez frustrant et déconcertant.  » Si les créations « street chic » de Valeria Siniouchkina n’ont pas vraiment trouvé leur place au salon  » Rendez-vous « , la créatrice, qui n’a pas sa langue dans sa poche, ne baisse pas les bras pour autant.  » Je ne cesse de dire haut et fort que je suis là et que je compte bien y rester ! clame-t-elle fougueusement. Même si ce n’est pas vraiment la tendance, mon but n’est pas de faire du luxe. Mes vêtements sont destinés aux filles de la rue, à  » Mademoiselle Tout-le monde « !  »

Impératives et déterminantes, ces premières rencontres commerciales à Paris ne constituent pas pour autant un but en soi dans le chef de ces trois drôles de dames. Si cette nouvelle vague belge déferle aujourd’hui sur la Ville lumière, c’est précisément grâce à une diversité de personnalités singulières et de conceptions novatrices. Et en la matière, nos trois créatrices ont de quoi séduire tout le petit monde de la mode. Car si elles possèdent chacune les mêmes origines  » cambriennes « , leurs univers respectifs se croisent mais ne se ressemblent pas. Sublime et intouchable, nature et sensuelle, exubérante et sexy, leur femme idéale rêve, vit et aujourd’hui… existe !

 » Nous voulons faire des vêtements portables, plaisante Sandrina Fasoli. Même si le terme est assez péjoratif, particulièrement quand on sort de La Cambre !  » Dans sa collection printemps-été 2006 baptisée  » Astre studio « , les cols et les épaules sont  » tirés  » vers l’avant, donnant aux cabans ou aux chemises des lignes élancées. Effets mousseline et reflets argentés, les matières se redessinent au gré des points de vue.  » Nous revisitons la garde-robe du quotidien dont nous détournons la coupe ou l’usage, précise la créatrice. Sans être trop conceptuel, nos vêtements sont hybrides : on aime les décomposer comme une phrase dont on mélangerait les mots pour la reconstruire ensuite différemment.  »

Le mélange des genres

Brouiller les pistes, mélanger les temps et les influences, telle est aussi l’une des spécialités de Cathy Pill.  » J’aime utiliser des concepts simples que je peux décliner de façon à obtenir des résultats complètement différents « , commente la créatrice. Et c’est réussi ! Fortes, pures et souples, ses silhouettes affichent tour à tour des motifs inspirés de vitraux, des imprimés photocopiés du xviiie siècle ou des jersey drapés sous un énorme collier baroque.  » Je mélange des éléments totalement différents et, en même temps, j’essaie de trouver une unicité dans la différence, enchaîne Cathy. C’est extrêmement enrichissant. Je pense que, même dans la plus grande diversité, on parvient toujours à trouver de la cohérence. C’est quelque chose que le monde actuel oublie un peu en ce moment…  »

Si les créations de Cathy Pill refont le monde, celles de Valeria Siniouchkina font parcourir la planète à quelques  » Girls from OMSk « , la ville natale de son père située au sud de la Sibérie.  » Je crée toujours pour les mêmes personnages, car ce sont mes filles ! dit-elle en présentant les silhouettes de son vieux cahier de croquis. Dans cette collection, elles se promènent dans les rues de Los Angeles.  » Ouvertes, extraverties et surprenantes, les créations de Valeria sont à son image : un mélange subtil d’une  » russitude  » déroutante et d’un humour décalé  » à la belge  » ! Et c’est assez détonnant.  » J’aime faire de tout, du tee-shirt jusqu’aux chaussures, dit-elle en souriant d’un air malicieux. Je cherche surtout à faire des vêtements jeunes, frais et directs. Et je n’ai pas peur de dire que je veux faire de la grande distribution. J’adorerais habiller de belles bimbos comme Mariah Carey, par exemple !  »

Déjà absorbées par leur collection automne-hiver 06-07, nos trois drôles de dames sont à nouveau emportées dans le cycle des présentations, des showrooms et des salons divers et variés.

Pour  » Girls from OMSk « , ce sera Milan, puis le Luxembourg. Mais Valeria affirme ne plus vouloir prendre d’engagement à la légère :  » J’ai tiré les leçons de mon expérience, dit-elle gravement. Aujourd’hui, je me donne le choix de dire non ! Si je veux concrétiser mes ambitions, je dois adapter ma démarche au profil de la marque.  » Sa deuxième collection, elle l’a donc voulue moins dénudée :  » J’ai compris que je n’étais pas en Italie ! lance-t-elle amusée. Pour l’hiver 06-07, mes petites lolitas de province se baladeront du côté du West London et feront la rencontre de la chanteuse Mia. Et bien sûr, elles voudront toutes s’habiller comme la star.  » Strass et paillettes peuplent donc l’univers un brin loufoque de Valeria qui, tout comme ses filles d’Omsk, rêve de partir elle aussi à la découverte de la grande ville.  » Je voudrais bien sûre continuer à développer la marque, projette-t-elle, et pour cela New York ou Londres serait parfait. Et pourquoi pas Moscou, après tout !  »

Succès, soleil levant

Le 2 mars dernier, Cathy Pill a présenté, quant à elle, sa toute dernière collection à Paris. Ses silhouettes hivernales affichent les mêmes techniques envoûtantes et toujours des lignes amples et gracieuses.  » Pour l’hiver prochain, j’ai conservé le même esprit, mais j’ai voulu adoucir les contrastes et rendre les tons moins agressifs, confie la créatrice. J’utilise cette fois des impressions d’ombres qui me permettent d’obtenir une gamme élargie de gris. A côté des robes, j’ai également voulu dessiner des pantalons, des manteaux, des chemises et des shorts…  » Aujourd’hui, les créations de Cathy se vendent déjà au Japon, au Koweït, en Autriche et, bien sûr, en Belgique dans la très huppée boutique  » Stijl  » de la rue Antoine Dansaert, à Bruxelles.

Douce et féminine, la nouvelle collection de Sandrina Fasoli a été elle aussi présentée à Paris à la fin du mois de février dernier. Noirs soyeux, brillants, transparents ou encore  » vibrants  » accompagnent les vieux roses, le crème et les gris.  » Nous ne faisons pas du noir par facilité, déclare la créatrice. On essaie au contraire de le rendre vivant grâce à des matières trompe-l’£il et à des effets de coupe, ou en tentant aussi de rendre d’avantage sensibles des tissus lourds. Déjà distribuées en Corée et au Japon, les créations de Sandrina Fasoli et Michaël Marson seront peut-être bientôt vendues en Belgique.  » Cela fait partie de nos souhaits, reconnaissent les deux compères. Mais nous devons encore déterminer l’endroit qui nous correspond le mieux.  »

Les premiers pas sont généralement maladroits et hésitants. Pour ces trois créatrices, le mauvais moment est à présent passé. Viens maintenant le temps de la persévérance et de la ténacité puisque, désormais, les saisons sont lancées.

Myriam Banaï

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