Harley, Triumph, Ducati. Trois noms qui font rêver. Weekend a testé ces motos légendaires. Récit d’une aventure menée sur les chapeaux de roue.

Laurent Raphaël / Photos: Daniel Raphaël

Il y avait bien quelques indices. La tête qui se retourne instinctivement au moindre vrombissement, l’£il qui s’attarde sur les couvertures des magazines moto, et surtout ces souvenirs de chevauchée fantastique qui faisaient régulièrement surface. Mais je me disais :  » T’avais 18 ans, c’est plus pour toi tout ça…  » Mais voilà que depuis quelques mois, le bruit de la scie se fait plus insistant. L’approche des 40 ans peut-être ? Ou le sentiment diffus que si ce n’est pas maintenant ce ne sera plus jamais ? Allez savoir.

A force, l’idée a germé. Au début, j’évoque vaguement le projet pour tester les réactions de mon entourage. Comme prévu, c’est loin d’être l’enthousiasme. Mais je m’accroche, ressassant à qui veut l’entendre la célèbre maxime d’Oscar Wilde :  » Le meilleur moyen de résister à la tentation, c’est d’y succomber « . Et pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable ? En me glissant dans la peau d’un homme entre deux âges qui a décidé de s’offrir la moto de ses rêves. Trois noms me viennent tout de suite à l’esprit : Triumph, Ducati et Harley-Davidson.

Et voilà comment je me retrouve quelques semaines plus tard à Braine-l’Alleud sur le trottoir du concessionnaire Harley. Mais avant d’en arriver là, il me restait une  » formalité  » à remplir. Car à moins d’être complètement inconscient ou suicidaire, on ne s’improvise pas motard. Qu’on soit novice ou qu’on ait déjà goûté dans le passé à l’ivresse du deux-roues, une remise à niveau s’avère IN-DIS-PEN-SA-BLE ! Une semaine avant de mettre le cap sur le Brabant wallon, je me suis donc rendu sur le parking du marché matinal à Bruxelles où m’attendait Patrick, l’instructeur de la moto-école Escam (1). Je brûle tous les soirs un cierge en son honneur. Cet homme-là m’a sans doute sauvé la vie dix fois. Moi qui pensais que certains automatismes avaient survécu à vingt ans d’abstinence, j’ai vite déchanté. Pendant quelques heures, j’ai donc corrigé mes erreurs et répété les gestes qui sauvent. Le tout avec une moto indulgente. Rien à voir donc avec les monstres impitoyables qui m’attendaient… Sous ma carapace en cuir, le doute a commencé à se répandre comme une tache d’huile. Et si j’avais placé la barre trop haut ? Mais plus question de reculer. Sous peine de voir ma réputation en prendre un sérieux coup (de kick).

Harley-Davidson Comme à la parade

Mais revenons au jour fatidique. Encore heureux, le ciel est avec moi. Pas un nuage à l’horizon. Il ne me faut pas longtemps pour repérer  » ma  » Harley dans la rangée de gros cubes qui montent la garde devant le magasin. J’ai jeté mon dévolu sur une Street Bob. Un joujou de 1 600 cm3 de la famille Dyna. Epurée à l’extrême, sa silhouette souple attire immanquablement le regard. Ses chromes vous lancent des £illades insistantes tandis que sa jolie robe noire polie affirme son esprit  » bad boy « . Seul son guidon manque un peu de panache. Ni court ni long, il semble hésiter entre deux longueurs. Mais bon, je ne vais pas faire la fine bouche. Dans l’ensemble, cette Harley fait largement honneur à son pedigree.

A deux pas de l’engin, deux bikers taillent une bavette.  » Peut-être Peter Fonda et Dennis Hopper, les deux héros d’ Easy Rider (1969), venus rendre une petite visite à leurs  » collègues  » du Brabant wallon ? « , me dis-je pour détendre l’atmosphère. C’est que mon pouls monte dangereusement dans les tours depuis quelques minutes… Et encore, silencieuse, la belle a presque l’air inoffensive.

Au moins, ma tenue ne dénote pas dans le paysage. Car l’air de rien, les motards sont pointilleux sur ce chapitre. Chaque type de moto a son style : selon que l’on chevauche un pur-sang ou une berline, les codes vestimentaires changent du tout au tout. Avec parfois de délicats arbitrages entre esthétique et sécurité. Pour le coup, je ne suis pas sûr que mon look Harley (bottes et gants Richa, jeans, veste en cuir Harley et casque ouvert Lazer Dragon US Trad (2) ) serait du goût de monsieur sécurité… Si les bottes, les gants et le casque auraient sa bénédiction, le jeans me vaudrait certainement un carton rouge. Mais quand on roule en Harley, il faut être prêt à certaines concessions. Au péril de sa vie…

Bon, fini de palabrer. Quand faut y aller, faut y aller. J’enfourche ma monture. Tiens, on est mieux assis que prévu. Les fesses se calent naturellement dans les courbes généreuses de la selle et les bras trouvent sans effort le guidon surélevé. Je tourne la clé et j’enfonce le bouton du démarreur. Waouw, quel coffre ! On a beau s’y attendre, la déflagration et le chant rocailleux qui suit vous arracheraient des larmes.

Avec prudence, j’imprime une légère rotation à ma main droite qui tient fermement la poignée de gaz. Bigre, on dirait qu’une colonne de chars vient de débouler sur la chaussée. La moto vibre tout ce qu’elle peut. Et moi avec. Chercherait-elle à m’impressionner, à me montrer qui est le maître à bord ?

Me voilà parti. Je redoutais son poids, son inertie. Elle se révèle au contraire d’une souplesse étonnante. On la man£uvre comme un scooter. Au feu, je mesure tout son charisme. Les regards sont immédiatement aimantés par ses formes élégantes. Je lis de l’envie et de la fascination, des  » et si je me faisais plaisir  » qui me renvoient à ce que j’éprouvais il y a encore quelques semaines. Je bois du petit lait. Même dans les yeux des enfants, je vois passer des étoiles. C’est peut-être très narcissique mais sentir ces ondes envelopper votre casque vous grise autant que la vitesse. Presque malgré moi, je me mets à fredonner un couplet célèbre :  » Je n’reconnais plus personne… « 

Je jette un £il à l’instrumentation. Le tour est vite fait. On ne peut plus sommaire : une jauge d’essence, un compteur de vitesse et une montre digitale. Point à la ligne. Une Harley se pilote au feeling.

Après quelques tours de roue, le stress a cédé la place à l’adrénaline. Agile, cette Harley a aussi du souffle. Malgré ses 300 kilos, elle cravache à la moindre sollicitation. Que du bonheur ! Même dans les embouteillages, elle tire son épingle du jeu. Avec un atout majeur : on l’entend arriver de loin… Au bout du compte, une belle surprise. C’est d’ailleurs avec un pincement au c£ur que je la ramène à la case départ. Mais aussi avec le sentiment du devoir accompli. Et même un peu de fierté d’avoir dompté la légende.

Triumph Concentré d’énergie

A peine le temps de me remettre de mes émotions que se présente déjà le deuxième essai. Quelques jours ont passé et je suis toujours sur mon nuage. Mais au moment d’en découdre, l’excitation monte à nouveau d’un cran. D’autant que cette fois-ci, je change complètement de registre avec la Triumph Daytona 675. Un avion de chasse (125 chevaux pour 165 kilos…) L’anti-Harley en quelque sorte. La britannique est une sportive pure. Et ne s’en cache pas. Ses lignes affutées et son museau de requin annoncent la couleur. Un design épuré et tranchant qui met les sens en émoi. Et ne sacrifie pour autant rien à l’élégance. C’est ce qui la différencie de ses rivales japonaises, plus exhibitionnistes.

Un régal pour les yeux. Mais aussi pour les oreilles. J’étais sous le charme de la chorale Harley. Je ne le suis pas moins des cris fauves qui montent des trois pots d’échappement courant sous la selle. Plus radicale, la Daytona suscite sans surprise des réactions plus tranchées. La Harley est la moto que tout le monde admire. C’est le mythe américain, la carte postale. Avec une supersport, c’est autre chose. Le test du feu rouge est à cet égard révélateur. Je sens de la fascination mais aussi de la répulsion. Voire de l’hostilité, comme si monter cet étalon noir et or faisait de moi d’office un pirate de la route. Le look du pilote y est peut-être pour quelque chose. J’ai troqué ma veste Harley et mon casque ouvert pour une veste Richa taillée pour la compétition et un casque intégral Lazer Fiberpro GL noir. L’armure qui s’impose pour ce genre de bécane. Mais qui souligne aussi son caractère agressif. Autant dire que je suis passé d’un coup de Easy Rider à Matrix

Pour ne rien gâcher, le ramage est à la hauteur du plumage. Puissante mais souple, elle collectionne les superlatifs : embrayage précis, freinage 5-étoiles, tableau de bord high-tech. La route devient un terrain de jeu. Le c£ur au bord des lèvres, j’enfile les virages comme des perles sur un collier. Le seul défi : rester dans les limites du raisonnable… Monté sur trois pattes (le trois cylindres est une particularité maison), le moulin britannique fait des merveilles. Un vrai Triumph ! Et une cure de jouvence pour son cavalier.

Ducati Charme à l’italienne

J’ai déjà eu mon compte de sensations fortes avant d’aborder le dernier virage. Mais l’appétit vient en mangeant. C’est donc avec une certaine impatience que je me rends à mon dernier rendez-vous. Après l’américaine et l’anglaise, place à la belle italienne au nom chantant : Ducati. En l’occurrence une Monster S4R. Autrement dit, un roadster gonflé à bloc. Là encore, la voix rauque et bestiale de l’impressionnant moteur donne la chair de poule. Pour faire bonne figure, j’ai enfilé le tout nouveau casque Lazer Fiber D1. Un petit cocon douillet au look rétro dont le rouge écarlate fait écho au carénage de ma grosse cylindrée. Me voilà donc paré pour descendre en ville, le terrain de jeu naturel de la Monster. Je peux tout de suite vérifier ce que je pressentais. Son tempérament latin ne passe pas inaperçu. Avec son design robuste, son coloris criard et ses aboiements rageurs, elle dicte sa loi. Pour la frime, c’est l’arme absolue…

Une frimeuse certes, mais qui a des arguments à faire valoir. Solidement outillée (130 chevaux entre les jambes…), le monstre a du punch à revendre. Pour circuler en milieu urbain, c’est cependant la plus adaptée des trois. De par son gabarit plus ramassé et une position de conduite plus verticale, elle se faufile aisément dans la circulation même si son rayon de braquage un peu chiche rend périlleux le gymkhana. Seul bémol : la Ducati est calibrée pour les formats du Sud. Difficile donc d’y caser mon mètre quatre-vingt- cinq. Pour le reste, rien à dire. D’un naturel sauvage, le roadster se pilote la cravache entre les dents. Autant le savoir.

Mission accomplie ! Dans ma tête, les images se bousculent. Comme les adjectifs pour qualifier mes trois destriers : équilibrée et généreuse pour la Harley, précise et fougueuse pour la Triumph, endiablée et exubérante pour la Ducati. Entre les trois, c’est donc une question de tempérament. Mais une chose est sûre, aucune n’usurpe sa réputation. Elles taillent la route avec panache. Et donnent des ailes à leur jockey…

Laurent Raphaël

Photos : Daniel Raphaël

(1) Moto-école Escam. Tél. : 02 648 80 22. Internet : www.escam.be

(2) Casques Lazer. Internet : www.lazerhelmets.com

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