» Des nuages noirs qui viennent du nord colorent la terre, les landes, les rivières. C’est le décor du Connemara…  »

Vendons la mèche d’entrée de jeu : le Connemara n’existe pas. Ni véritable réalité géographique ni division administrative, à cheval sur les comtés de Galway et de Mayo, cette terre, qui devrait son nom à une vieille tribu celte, les Con Mhac Mara, n’est qu’un rêve de tourbe, de brume et d’eau. Une  » terre brûlée au vent des landes de pierre « , comme le hurlait fort justement Michel Sardou. Comme il fait bon l’arpenter !

1. S’OFFRIR UN VRAI ROAD TRIP

Entre Leenane et Clonbur, dans cet extrême ouest de l’Irlande, ce ne sont que chemins sinueux bordés de murets de pierres, bêlements des black faced sheepsces irrésistibles petits moutons à tête noire -, lacs sombres aux reflets de Guinness, roses intenses des fuchsias sur fond de lande fauve et, bien sûr, averses  » cinq jours sur quatre « , comme disent les vieux habitués des pubs. D’ailleurs, c’est bien simple, au Connemara, il… n’y a rien à  » faire « , au sens touristique du terme. On évitera soigneusement le Connemara National Park, aussi absurde qu’un parc national du désert planté en plein Sahara, pour partir à l’aventure sur de petites départementales bordées de noms de lieux imprononçables. Lorsque vous croiserez une voiture, vous prendrez bien soin de ralentir et de saluer d’un geste de l’index, en souriant – nous sommes dans un pays civilisé…

2. RÉVISER LE STYLE TUDOR

Les amateurs feront un petit détour par la Kylemore Abbey, couvent de bénédictines néo-gothique romantiquement posé en bordure d’un lac, ou iront boire un thé à l’Ashford Castle, ancienne propriété de la famille Guinness transformée en hôtel, entourée d’un parc somptueux – walled garden, école de fauconnerie, rivière languide – et qui servit de décor à Un taxi mauve. C’est dans ce même village de Cong que fut aussi tourné en partie L’Homme tranquille, mélo fifties avec John Wayne et Maureen O’Hara – pas un pub du coin sans une photo de l’acteur américain, casquette de tweed et oeil de velours… Plus récemment, c’est The Edge, le guitariste de U2, qui s’est offert une belle propriété dans le coin – que Stella McCartney a failli lui racheter. Et pourtant, on trouvera difficilement moins people que cette extrémité sauvage de l’Europe.

3. DÉCOUVRIR LES ÎLES D’ARAN

Les adeptes de sensations fortes sauteront dans un bateau à Rossaveal. Direction : les mythiques îles d’Aran, sorte de Connemara paroxystique battu par les vents.  » Next stop, New York !  » annonce facétieusement le capitaine en accostant. A perte de vue, des murets dessinant des parcelles parfois juste assez grandes pour abriter deux ou trois poneys blancs. On y circule à vélo, slalomant entre un vestige préchrétien – spectaculaire fort Dunn Aengus posé sur une falaise vertigineuse – et un millième virage à angle droit. Pour se réchauffer, on ira se blottir devant un petit feu de tourbe comme en abritent tous les pubs – cette tourbe rougeoyante qui, comme le remarquait fort justement l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier, dans son subtil Journal d’Aran et d’autres lieux, dupe l’oeil sans jamais vraiment réchauffer le corps… Pour avoir une idée assez juste de cette terre, on pourra tenter l’ascension du Benbaun, point culminant du Connemara qui trône à… 738 mètres ! De là-haut, à perte de vue, des rivières et surtout ces deux monstres aux reflets noirs, le Lough Mask et le Lough Corrib, immenses lacs et paradis des pêcheurs à la mouche, séparant quasiment la région du reste de l’Irlande. A l’horizon, les Partry Mountains et le Joyce Country, un peu délaissés par les touristes et qui sont pourtant l’âme de ce pays.

4. ASSISTER À UNE FÊTE HIPPIQUE

Enfin, si, après tant de sauvagerie, vous aspirez à un peu de sociabilité, foncez aux célèbres courses de Ballinrobe, qui se tiennent à huit reprises chaque été depuis 1773. Dans un hippodrome posé au pied des collines du comté de Mayo, tout le Connemara se met sur son trente-et-un (mais toujours avec cette décontraction propre à l’Ouest irlandais : nous ne sommes pas à Chantilly…) pour miser quelques euros auprès de bookmakers sérieux comme des papes. Là, au milieu de ces visages réjouis et de ces pintes de Guinness, dans le tumulte des sabots recouvrant la note grêle d’un violon, alors que les  » nuages noirs qui viennent du nord  » (Michel Sardou avait raison) s’amoncellent au loin, oui, là on se dit que, peut-être, après tout, le Connemara existe bien un peu…

PAR JÉRÔME DUPUIS

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