Deux heures et des poussières ont suffi à Jose Enrique Oña Selfa, designer de la fameuse griffe espagnole Loewe, et Aleksandra Paszkowska, créatrice initiatrice du label Y-dress ?, pour dompter leurs quatre mètres de tissu respectifs. Avec eux, Weekend Le Vif/L’Express continue donc sa série de duos de mode made in Belgium. Le but ? Réunir un créateur confirmé et une valeur montante du stylisme autour de deux bustes Stockman. Les modèles, nés de ces rencontres inédites, seront exposés en automne dans le cadre du prochain parcours de stylistes de Modo Bruxellæ.

Suite le 4 juin prochain.

Remerciements à Utexbel, à Renaix, qui a aimablement fourni les tissus.

Après les duos Jean-Paul Knott-Carole Lambert, Valeria Siniouchkina-Gerald Watelet, Bruno Pieters-Cathy Pill ( dans notre numéro du 5 mars dernier) et Christophe Coppens-Nathalie Demedts ( dansnotre numéro du 2 avril dernier), c’est au tour de Jose Enrique Oña Selfa (29 ans) et Aleksandra Paszkowska (34 ans) de relever le défi lancé par notre magazine. Au final de cette rencontre, deux créations très perso, au vu des racines espagnoles de l’un et des origines polonaises de l’autre, créations parachevées à coups d’épingles pour le premier et à grand renfort de zips pour la seconde.

Rendez-vous est donné chez les parents de Jose Enrique à Saint-Gilles, dans le premier atelier du jeune prodige qui, aujourd’hui, partage son temps entre Madrid, où il assure la direction artistique de la marque Loewe depuis fin 2001, et Bruxelles, sa ville natale. Le rose aux joues et le verbe tonique, la belle Aleksandra est venue à vélo ; conceptrice du  » happy tee-shirt  » (un vêtement sans coutures dont les bras levés évoquent un petit personnage réjoui), elle a son propre label, Y-dress ? et sa boutique éponyme rue Dansaert, au c£ur du quartier branché de Bruxelles. Son credo ? Inventer des vêtements qui mutent au gré de la journée, des pièces en stretch sans chichis, pas compliquées mais allurées en diable, et livrées généralement sous vide ou complètement compactées.

Entre la styliste pratico-chic et le designer épinglé entre rigueur et sensualité, tous deux diplômés de La Cambre avec les honneurs, le contact passe plutôt bien… Un petit coup de fer à repasser sur les métrages de tissu et hop !, les artistes du vêtement sont tous les deux prêts à en (dé)coudre.

Jose Enrique Oña Selfa : Avant même de commencer un croquis, je planche sur une attitude û je me mets devant un miroir et j’imagine ce que donnerait tel tissu sur moi û, ou sur un buste. Alors je prends des poses de toréador ou de danseur de flamenco : tout est dans la cambrure et le prolongement du mouvement… Bon, c’est un peu narcissique comme façon de procéder ( rires).

Aleksandra Paszkowska : En parlant d’attitude, je suis prof à l’école de mode Château Massart à Liège, et j’ai demandé aux élèves, justement, de travailler sur différentes attitudes. Eh bien le résultat fut étonnant, dans tous les sens du terme ( sourire). Moi, au contraire de Jose Enrique, je ne travaille quasi jamais sur buste. Je pars d’une idée, d’un objectif fonctionnel et je réalise mon prototype à plat. Enfin, c’est rigolo ; ça me rappelle les débuts dans ce métier. A propos, est-ce que je peux utiliser des zips dans l’élaboration de ma silhouette ? Hier, en farfouillant dans ma trousse de couture, je suis tombée sur l’idée des fermetures à glissière travaillées à plusieurs. Je verrais bien une robe-jupe-corsage dézippable et transformable à l’envi.

J.E.O.S. : Ce tissu m’inspire de prime abord un petit haut genre veste ou corsage avec de jolies coutures pour marquer la taille et les épaules : il est trop raide pour y façonner une pièce du bas.

A. P. : Idéalement, avec tous ces zips, je devrais arriver à un vêtement complètement détachable.

Cette façon de faire me rappelle ma propre collection où les tops deviennent des pantalons, par exemple.

J.E.O.S. : Ce que j’adorais chez Aleksandra ( à quelques années d’intervalle, Jose Enrique etAleksandra ont suivi les cours de la même école de mode, La Cambre, à Bruxelles), c’est que quand les autres s’appliquaient à faire de la création, disons, estudiantine, avec des inspirations couture, elle, elle avait un discours politique et des silhouettes uniques qui concrétisaient une grande liberté de parole.

A.P. : C’est vrai qu’à l’époque j’ai usé et abusé des slogans. Maintenant, je me base plutôt sur des attitudes mentales tels que la spontanéité, par exemple, et que j’essaie de traduire en vêtements.

J.E.O.S. : Ah, là, je suis occupé à réaliser une étude de modèle plutôt qu’un vêtement sur ce buste. Un bail que je n’ai plus fait ce genre de choses ! Je crois que ça va se solder par un  » work in progress  » ( sourire).

A.P. : En tout cas, même si le travail sur buste n’est pas mon habitude, cela m’excite de savoir si mon projet de zips va tenir la route et si je vais pouvoir obtenir plusieurs vêtements à partir d’un seul.

J.E.O.S. : Eh bien moi, je crois que, finalement, ce tissu ne m’inspire que dalle ! Du coup, je ne sais même pas où je vais et ce que j’ai pour le moment entre les mains, c’est carrément moche. Bon, inch’Allah, je vais essayer de faire évoluer cette histoire convenablement. ( Jose Enrique change doncson fusil d’épaule. Il transforme progressivement l’espèce de veste à manches longues à forme de petite cape asymétrique en un corsage sans manches très cintré et parcouru par un jeu subtild’épingles.)

A.P. : Mon idée était d’obtenir trois ou quatre rectangles, chacun bordé d’une tirette, et de pouvoir les remonter sur le buste jusqu’à former une robe bustier ou un top. Mais jusqu’à présent, j’arrive à placer deux pièces de tissu. Là, l’ensemble est trop lourd ; je n’arrive pas à remonter tout le bazar. Il me faudrait aussi des tirettes en boucle û elles n’ont que des débuts et pas de fin û que l’on fait normalement fabriquer sur mesure.

J.E.O.S. : Tout cela me fait songer à l’évolution de mon travail personnel : en peu de temps, je suis passé du modélisme que j’adorais à la direction d’une équipe de stylistes et l’élaboration de dessins. Ce sont des étapes fondamentales par lesquelles il faut passer dans ce métier.

A.P. : Je sais ce que c’est ; à mon échelle, j’éprouve exactement le même sentiment. ( Affûtant sonidée de petit corsage ajusté, Jose Enrique imprime à celui-ci une patte très Balenciaga, à l’aide d’un morceau de tissu faisant office de châle et basculé vers l’arrière.)

J.E.O.S. : Balenciaga, Alaïa… ce sont des maîtres à penser, pour moi. Des rois de la coupe directe, opérée directement sur les bustes. Ce qui est génial, quand on travaille sur buste, et que l’on est passionné par la matière et la courbe, c’est qu’on peut laisser  » vibrer  » le tissu à loisir. D’abord, je travaille en droit-fil ( NDLR : travailler dans le sens du tissage) puis je fais tourner le tissu pour me retrouver avec du biais dans le dos. Avec la technique du biais, on peut faire obéir la courbe au doigt et à l’£il, sans passer par les pinces. Là, j’essaie d’éviter les coutures à l’épaule. Ce tissu est dur mais il a vraiment un beau relief.

A.P. : Oh là là, c’est encore loin d’être clair dans ma tête, ce projet vestimentaire : je suis en train de m’emberlificoter dans les tirettes, et j’aimerais alléger l’ensemble, le tirer vers le haut.

Dis, c’est drôlement élégant ce que tu es en train de faire : tu as l’air d’avoir trouvé ton modus operandi, à présent. ( De son côté, Aleksandra a réussi à assembler ses rectangles pour formerd’abord une jupe-parapluie puis une robe bain de soleil dont le buste est bordé de zips.)

A.P. : Pour le moment, je travaille sur une série de tee-shirts agrémentés d’un grand zip et qui, dès lors, peuvent adopter toutes sortes de formes différentes. Avec ce back-ground, je finirai bien par trouver mon chemin ici aussi.

J.E.O.S. : Avec ce type de tissu, ce n’est pas évident mais d’emblée, j’aime confronter la rigidité et le mouvement dans un vêtement. D’où ce châle qui semble flotter sur le dos. Dis, Aleksandra, tu parviens à créer différentes pièces avec un seul morceau de tissu… Quelle économie ! Je vais t’engager, moi ( sourire).

A.P. : Bon, je vois la fin de cet exercice de style : j’ai réussi à débloquer tous mes zips, à remonter l’ensemble de la silhouette sur le buste. Ainsi, le vêtement devient indifféremment une robe ou une jupe.

C’est chouette, en tout cas, cette idée de corsage à dos nu… Et si on assemblait nos pièces respectives sur un même Stockman ?

J.E.O.S. et A.P. : Oh là là, mauvaise idée : le résultat ressemble à un truc à la fois gothique et dégingandé. Pour un effet réussi, mieux vaut se cantonner chacun à son buste !

Marianne Hublet

 » Je verrais bien une robe-jupe-corsage dézippable et transformable a l’envi  » (Aleksandra Paszkowska).

 » Tout est dans la cambrure et le prolongement du mouvement  » (Jose Enrique Oña Selfa).

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