Être femme et créer pour les femmes, le beau défi ! 4 créatrices dans le vent disent leur féminité, leurs inspirations, leurs silhouettes préférées.

1. Vanessa Bruno Mon label au féminin

 » Un créateur homme a toujours une volonté de vouloir sublimer, de jouer les perfectionnistes sur un corps parfait. Une créatrice femme, elle, veut faire rêver et réfléchit en même temps au côté pratique ! Elle s’interroge :  » Cela met-il en valeur toutes les femmes et pas simplement une icône ou un mannequin ?  » Depuis 1992, j’essaie de créer un univers autour de ma marque : je le revendique comme poétique, urbain, féminin. Je veux faire des vêtements faciles pour des filles difficiles. « 

Mon identité

 » La féminité dans des volumes extrêmement souples, qui dégagent les encolures, les manches et en même temps donnent une certaine nonchalance. Et une légère part d’androgynie. Mes codes : le cabas, le sac Lune, qui ont une identité visuelle mode très forte mais qui restent pratiques. Et la façon dont j’ai traité les sous-vêtements, le fil d’Ecosse dans les tee-shirts, comme des doudous intérieurs. « 

Mes premiers pas …

 » J’ai toujours vécu dans le milieu de la mode… J’ai assisté toute jeune à des défilés et à leurs prémices, j’ai été nourrie par des gens qui ont fait la mode. J’ai été mannequin et j’ai beaucoup appris : faire les essayages des vêtements, c’est leur donner vie. Il faut être capable de leur offrir une âme, une attitude, une allure. « 

Ma silhouette préférée de l’hiver 08-09

 » Un look extrêmement chic, l’idée d’un voyage à travers la Transylvanie, un truc qui flirte avec une tenue un peu militaire et avec le romantisme grâce à cette fille chrysalide qui tend vers le hippie. Et une robe papillon, cette féminité nonchalante, ces manches, ce travail de plis, cette suspension extrêmement légère qui donne une vision de coupe un peu élaborée. « 

Mes inspirations

 » Il faut toujours qu’il y ait une histoire à travers la collection. Il faut faire rêver. Et permettre aux couleurs, aux tissus de vibrer à travers cette histoire. Offrir la possibilité de faire un petit voyage qui sublime le quotidien d’un vêtement. « 

Mes matières

 » J’aime les très belles matières et l’idée du luxe abordable. Il n’y a pas de raison que seules les grandes maisons puissent se les offrir ! « 

2. Isabel Marant Mon label au féminin

 » Un homme a plutôt tendance à habiller un fantasme, une femme est plus ancrée dans certaines réalités qu’elle perçoit d’autant plus facilement que cela s’adresse à elle. Je pense d’abord à moi quand je crée ! J’ai étudié dans une école de mode, au Studio Berçot, à Paris. La directrice nous demandait sans cesse :  » Porteriez-vous ce vêtement vous-même ?  » Souvent, on répondait nonà Cela a été un déclic pour moi. Depuis, je m’approprie chacune de mes créations même si je suis consciente que tout ne s’adresse pas à moi. « 

Mon identité

 » Je suis toujours restée très fidèle à ce que je suis. Et cela a forgé mon style, qui a évolué avec moi. J’adore Paul Poiret et les années 1920, une espèce de sobriété et de simplicité, en même temps travaillée avec des proportions très particulières. Il y a, dans mes collections, un côté assez androgyne, un jeu masculin-féminin, empreint d’une féminité que je nommerais discrète. Je n’aime pas les choses sexy à outrance. Et il y a toujours une petite touche d’inspiration qui vient d’autres cultures. « 

Mes pièces préférées de cet hiver

 » Les chemises à gros carreaux rouges, qui m’étaient inspirées par l’univers nord-américain mais que j’ai fait tisser en bourrette de soie. Du coup, il y a un contraste entre la matière et quelque chose d’assez contemporain. Et ce pantalon baggy et étroit en même temps, avec une fourche assez basse pour donner cette attitude un peu masculine, comme un homme pourrait porter un pantalon, mais féminisé grâce à un bas de jambes très étroit. J’aime les twists. « 

Mon fil rouge depuis le début, en 1995

 » La magie, c’est que tout sort complètement de moi. Et je ne renie jamais totalement mes créations précédentes : j’essaie de les améliorer tout en me racontant une histoire au fil des saisons. Je commence par une petite psychanalyse, je m’interroge  » Pourquoi refaire encore des vêtements ?  » Et puis je trouve une réponse parce que j’ai toujours envie de choses différentes. Je suis pourtant assez anticonsumériste. Parfois, mon métier me pose problème par rapport à ma philosophie de la vie : tous les six mois, il faut recréer tout, recommencer tout. Pourquoi pas, finalementà Je pense que la mode est aussi un moyen de se faire du bien.

Des regrets

 » Peut-être de ne pas avoir travaillé dans de grandes maisons. J’aurais adoré travailler chez Saint Laurent ou Chanel. Je suis très autodidacte, j’aurais gagné du temps sur mon apprentissageà A part ça, j’ai toujours une espèce de frustration après chaque collection, je me dis que j’aurais pu mieux faire. Je suis une éternelle insatisfaite. C’est aussi mon moteur ! « 

Mon but

 » Créer des vrais vêtements, pas juste un vêtement de plus dans un placard. Un vêtement réussi, c’est un vêtement qu’on garde, dont on ne se lasse pas, dont on n’a pas envie de se séparer et qui ne s’est pas démodé. J’essaie de faire de la mode sans tomber dans l’école de la mode qui se démode. « 

3. Isabelle Bénichou pour Les petites Mon label au féminin

 » Les femmes ont une sensibilité autre. Quoique les hommes sachent très bien faire ce métier aussi ! J’essaie tout ce que je crée, parce que, dans l’ordre, il faut : 1) qu’il y ait un confort, 2) que l’on se sente femme, sensuelle et que l’on ait envie de séduire et 3) que ce ne soit pas un déguisement. « 

Mon parcours

 » J’ai un parcours assez atypique : des études à la Sorbonne, à Paris, en gestion économique, qui m’ont amenée là, tout bêtement ! Etudiante, je m’amusais à chiner aux puces, je customisais les vêtements et j’en faisais pour mes amis qui aimaient mon style. C’était le milieu des années 1980, c’était un peu baba cool. J’ai eu envie de prouver professionnellement que je pouvais faire quelque chose de sympa. A l’époque, en 1992, c’était assez difficile en mode, entre le mass market et le luxe, c’était la pénurie totale. Je me suis dit qu’on pouvait s’habiller joliment avec un prix plus que correct. « 

La maille, ma passion

 » Je tricote. Le tricot, ça apaise ! Et je réédite cette saison l’un de mes premiers pulls tricoté sur les bancs de la fac : il est fait main, en édition limitée (il n’y en a qu’une centaine de pièces), avec une aiguille, un gros fil, c’est un gilet très simple, tout droit. Et sans doute un peu mieux fait que le premier ! J’adore la maille, cette douceur, l’idée de m’emmitoufler dans de grosses écharpes et des pulls douillets. « 

Mes pièces préférées de cette saison

 » Un pull sans manches, bleu marine, fait main avec une torsade horizontale dans une très belle maille. C’est une histoire de superpositions, une douceur s’en dégage. Et j’aime toutes les jolies robes. Et les deux chapeaux, le melon et le feutre que l’on déplie comme un chapeau claque. Mon sac fétiche, c’est Le 8, parce que c’est ma première création de sacs et que le 8, c’est aussi le signe de l’infini. Il a une forme assez ronde, féminine, il y a un double porté, comme une espèce de besace. Sofia Coppola le porte. Cet hiver, il est décliné en PVC émerisé, comme une fausse couleur qui bouge avec la lumière, un peu kaki ou un peu taupe. « 

Mon style

 » Le noir, c’est très joli, mais la couleur amène une note particulière. Chez nous, on vient chercher des produits hauts en couleur, ce qui n’était pas gagné au départ, c’est notre particularité. On est aussi très fille ! En réalité, j’ai un grand sens de l’observation, j’adore m’arrêter sur les terrasses parisiennes et observer les femmes. Le terrain, c’est la rue. Et j’y ajoute ma sensibilité. « 

4. Sophie Albou pour Paul & Joe Un label au féminin

 » Au départ, on était un label masculin et je le revendique haut et fort ! Quand j’ai démarré en 1995, j’avais cette volonté d’apporter de la fraîcheur et du dynamisme dans une mode masculine à l’époque très austère, standardisée, minimaliste et grise. Je n’avais pas envie du marché féminin, avec énormément de compétition et versatile – les femmes se lassent très vite. Je suis tombée dans la mode féminine pour faire plaisir à mes clients masculins, deux saisons plus tard. Un homme fondamental, un styliste, travaille avec moi, depuis toujours, Adolphe Besnard. Dans mon entreprise, il y a deux éléments moteurs : lui et ma mère, directrice des ressources humaines, elle est un petit peu la maman de tout le monde. « 

Mon parcours

 » J’ai suivi une formation à l’Institut de la Mode à Paris. Et puis je suis entrée comme stagiaire chez Alaïa. On était là en famille, il y avait sa s£ur, ses chiens, c’était magnifique. J’étais en Alaïa de la tête aux pieds à 20 ans, tout mon salaire y passait. Au bout d’un an et demi, en 1988, j’ai rejoint l’entreprise familiale, Le Garage, qui fabriquait des chemises très haut de gamme, que portaient Elton John et Hugh Grant. J’ai eu cette culture du beau, du bien fait, du made in France. Quand mes parents ont vendu l’entreprise familiale en 1994, sur le coup, j’ai pris une gifle, mais cela m’a permis de me lancer, tout simplement. Je voulais créer une petite ligne complète de vêtements masculins. J’ai appris sur le tas, et j’ai eu la chance d’avoir des chefs d’atelier qui m’ont instruite. Quand vous aimez, vous apprenez vite. C’est l’effet buvard. « 

Ma rencontre avec Pierre Cardin

 » J’ai acheté lors d’une vente aux enchères un lot de robes Pierre Cardin. Il a tenu à me rencontrer. Lors de notre premier rendez-vous, il m’a proposé de reprendre la licence de ses vêtements. Je m’attendais à tout sauf à cela ! Il a 87 ans et 60 ans de mode. Dans son bureau, un capharnaüm total, tout est vert bouteille du plafond au sol, assorti à sa jaguar, à son costume. C’est un vrai génie. Il a fait ses classes chez Paquin, Schiaparelli et Dior surtout. Il a démarré sa ligne en 1950 et quatre ans plus tard, il triomphait avec ses robes bulle. Il a dessiné une très jolie griffe Paul & Joe for Pierre Cardin. Il approuve tous les modèles dont je m’inspire. Il y a de l’aseptisation entre guillemets, parfois les robes ne sont pas confortables du tout, elles sont compliquées à enfiler ou pour aller aux toilettes, il faut complètement se déshabiller… Mais je n’ai dénaturé en aucun cas les broderies, les tissus, les galons. J’ai fait en sorte d’être le plus proche possible. « 

Mes silhouettes préférées de cet hiver

 » Ce look dentelle et treillis baggy. J’aime bien le contraste, cette dégaine, ce pantalon d’homme un peu trop grand. Et j’adore l’imprimé de cette robe. C’est l’emblème de la collection, une inspiration hivernale, après-ski, montagne, forêt. J’ai toujours des imprimés d’animaux, dans chaque collection, j’y suis très attachée. Cette fois-ci, j’avais envie de petits faons et d’animaux qui font craquer les femmes. Et dans la collection Paul & Joe pour Pierre Cardin, j’aime le côté asymétrique glam de cette robe. Ce côté gréco-romain et ce drapé sont vraiment formidables. « 

Propos recueillis par Anne-Françoise Moyson

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