Ville insomniaque, capitale frénétique, métropole bouillonnante

en proie à la fièvre immobilière, Beyrouth se réinvente chaque matin

au lever du jour. Qui la rattrapera ?

Quatre ans après avoir vécu de sombres heures, Beyrouth revient en force sur la scène internationale en inscrivant son nom sur la A-list des capitales qui comptent. Tous les marqueurs qui en font une destination hautement recommandable sont au vert. Des preuves ? Le gourou du style et trendsetter influent, Tyler Brûlé – par ailleurs, rédacteur en chef du magazine haut de gamme Monocle (voir Le Vif Weekend du 22 octobre dernier) – s’y est offert un pied-à-terre. Four Seasons, marque emblématique de l’excellence hôtelière, y a implanté l’un de ses établissements, qui domine la ville du haut de ses 26 étages. Au sommet de ce géant de pierre qui tutoie le soleil levant, un Jacuzzi et une piscine offrent la volupté de pouvoir contempler la frénésie urbaine les pieds dans l’eau. Ou de lui tourner le dos pour lui préférer les vagues bleues de la Méditerranée.

Le groupe américain n’est pas le seul à avoir flairé le bon plan, Louis Vuitton vient d’y ouvrir une imposante boutique de 470 m2 et, dans la foulée, lui consacre pour la première fois tout son City-Guide – Villes d’Europe 2011. D’autres marques en vue ont emboîté – ou parfois précédé – le pas du géant français du luxe : Tom Ford, Berluti, Hermès, Dior, Vivienne Westwood… Zadig & Voltaire, elle, a dessiné un tee-shirt  » Zadig rocks Beirut  » qui fait le buzz. La plupart de ces griffes s’implantent au c£ur de Solidere, un complexe de néo-souks de 128 000 m2 portant entre autres la patte des architectes-phares Zaha Hadid et Rafael Moneo et où trône une magnifique installation – The Visitor – du Belge Arne Quinze.

Sur place, ce succès se comprend facilement. Climat d’une grande douceur, population easy-going, formidable énergie… Ce cocktail enivrant est rehaussé de deux ingrédients qui corsent le tout : sens de la fête inouï et fièvre acheteuse insatiable. À cette dernière correspond un développement immobilier vertigineux. Partout où le regard porte, des grues emmènent la ville vers plus de verticalité. Les tours se succèdent et la source de nouveaux projets semble intarissable. Une friche dans le centre de Beyrouth ? C’est là que prend place The Landmark – un building de 42 étages, comprenant à la fois un hôtel 5-étoiles et une quarantaine d’appartements – que l’architecte Jean Nouvel fera sortir de terre sous peu. Une vitrine vide dans les souks ? Plus pour longtemps, le triple étoilé Yannick Alléno ouvrira bientôt une enseigne Stay, du nom de ce concept de gastronomie simple et efficace qu’il inaugure aux quatre coins du globe. Un eldorado rendu possible par le formidable pouvoir d’achat des Beyrouthins qui affichent un penchant certain pour les signes extérieurs de richesse – la ville fait valoir une incroyable concentration de Porsche, Bentley et autres Hummer.

BEYROUTH BY NIGHT

S’il est bien un moment où l’on peut prendre la mesure de l’effervescence de la ville, c’est à la tombée de la nuit. Direction Gemmayzé, quartier où les trottoirs se transforment en catwalk. Des silhouettes longilignes montées sur échasses arpentent l’insomniaque rue Gouraud, artère qui fait face à la mosquée Mohammad Al Amin dans laquelle s’alignent les bars déjantés. Dress code ? Glamour provocant. Dès 19 heures, l’embouteillage est permanent, les voitures roulent au pas, allure idéale pour voir et, surtout, être vu. Sous l’£il résigné des riverains qui semblent ignorer le sens de l’expression tapage nocturne.

Un des attraits de la nuit beyrouthine est d’être parvenue à se singulariser. Sous l’impulsion de quelques personnalités, tout un pan de cette nightlife s’est affranchi des standards internationaux du genre. Ainsi de Youssef Harati. Né d’un père américain et d’une mère libanaise, ce noctambule de 30 ans a vécu tant aux States qu’à Paris et au Koweït. Nourri de toutes ces influences, il est revenu dans la capitale libanaise pour y ouvrir, en compagnie de son associé Olivier Gasnier Duparc, Behind the Green Door, un club atypique qui tient à la fois du Baron à Paris et du Matisse Bar à New York. Sorte de boudoir à la Jacques Garcia, bondé en permanence, c’est l’endroit où rencontrer le Beyrouth qui compte.  » Cela fait un moment qu’il existe une demande pour quelque chose de différent. Nos clients voyagent beaucoup, il faut les étonner, ce n’est pas facile. On y est parvenu notamment avec un karaoké qui fait place à un groupe jouant live, c’est un carton « , commente Youssef Harati.

Le nom de Bernard Khoury plane sur le divertissement nocturne à Beyrouth. Cet architecte a conçu le B018 et le Centrale, les deux places to be qui ont propulsé internationalement sa carrière. Point commun et vraie signature architecturale ? Un toit télescopique les ouvre tous deux vers le ciel étoilé. L’usage veut que l’on se rende d’abord au bar du Centrale pour y siroter un Mona Lisa Smile – cocktail à base de framboise fraîche, de vodka et de citron vert – avant de se diriger vers le B018, club souterrain auquel on accède par une trappe. Banquettes escamotables façon flight case et aménagement brut, on y vibre jusqu’au bout de la nuit au son d’une programmation électro.

SOUL KITCHEN

Loin d’être seulement une ville qui claque et qui flambe, Beyrouth déploie d’autres séductions. La gastronomie en est une, indéniable, qui se décline aussi bien de manière contemporaine que sans chichis. En mode sophistiqué, cela donne, par exemple, Gruen Eatery, cantine rectangulaire seventies plantée de chaises Bertoia. D’élégantes Libanaises et des hommes d’affaires pressés viennent y picorer une cuisine locale revisitée à travers le prisme de formats plus internationaux, wraps ou burgers. Incontournable lui aussi : le Souk el Tayeb, marché matinal hebdomadaire, bio et fairtrade, imaginé par le chef Kamal Mouzawak. Prisé par une clientèle jeune et branchée, l’endroit réunit une série de producteurs locaux dans un esprit très  » farm to table « , du live cooking mais aussi des échoppes trendy comme celle de Crumbs, un collectif de jeunes cuisinières qui exploite tout le potentiel gourmand du cookie.

La capitale libanaise fait également mouche avec une série d’adresses incroyablement simples dans le décor – néons et chaises en plastique – mais parfaites au palais. Pois chiches, persil plat, yaourt, pignons et amandes y ambiancent le goût du jour. Exemple parfait de cette humilité gourmande, Le Chef, une cantine populaire, propose un très prisé mouloukhia, une sorte de ragoût servi avec du blanc de poulet, du citron, du vinaigre et de la corète potagère, légume se situant entre l’épinard et la blette. Toujours dans cet esprit  » mangeons modeste « , il ne faut pas manquer les délices street food qui quadrillent les artères de la ville et en font l’âme. Mecque du genre, le micro-snack Lala géré depuis quarante ans par deux frères – Habib et Robert – envoie pour moins de 5 euros de fantastiques sandwichs poulet grillé, cornichons et toum, un genre d’aïoli oriental.

COOL BEYROUTH

Qui cherche le calme le trouve. En parcourant la ville à pied, ce qui est recommandé en raison des embouteillages permanents, on la découvre horizontale et parsemée d’îlots de tranquillité. Ainsi de Mar Mikhaël, quartier un rien excentré qui dissimule villas évoquant La Havane et arrière-cours verdoyantes. C’est là que se cachent aussi des perles inattendues telles que Papercup, librairie arty où il fait bon prendre un thé, ainsi que le studio Karim Bekdache, du nom de cet architecte local qui vend créations propres et mobilier vintage au sein d’un magasin en forme d’entrepôt. Le Beirut Art Center, lui, met en lumière les créateurs du cru tels que Rana Salam ou Mona Hatoum. Imposant comme un vaste loft new-yorkais, il est à la fois lieu d’exposition, librairie, bar, boutique et médiathèque.

On ne quitte pas Beyrouth sans avoir déambulé sur la Corniche, promenade bétonnée qui fait le tour de son rivage. La douceur de vivre y a repris ses quartiers, surtout les dimanches où de nombreux habitants y trottinent en survêtements de sport. On n’est pas loin des évocations nostalgiques des années 60 lorsqu’avec Portofino et Hydra la ville appartenait au cénacle des  » nouveaux Saint-Tropez en Méditerranée « , comme a pu l’écrire Raymond Depardon ( 1). Le temps et la fièvre semblent alors suspendus. Surtout au Palace Café, restaurant délicieusement désuet depuis lequel on aperçoit le soleil accrocher ses derniers rayons à la mer dans une vague odeur de tabac à la pomme. n

(1) Beyrouth centre-ville, Raymond Depardon, Editions Points 2010.

PAR MICHEL VERLINDEN

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