Former des étudiants aux différents secteurs du luxe en les plongeant au coeur de l’histoire d’une marque et du savoir-faire de ses artisans. C’est le but d’un master unique en son genre proposé par l’ECAL, en Suisse.

Établissement régional devenu l’une des références européennes en matière de création, l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) propose un étonnant master qui attire des étudiants du monde entier sur les rives du lac Léman. Pour peaufiner la formation de ces happy few appelés à oeuvrer pour les plus prestigieuses maisons, la direction a jeté son dévolu sur Nicolas Le Moigne, un pur produit de l’ECAL, qui  » y a grandi « , de la classe préparatoire qu’il intégra en 2001, jusqu’aux fonctions d’assistant, puis de professeur. Depuis deux ans, il est responsable de ce programme spécifique qui fournit à l’industrie du luxe sa main-d’oeuvre qualifiée, une initiative visionnaire lancée par un ancien directeur de l’institution, Pierre Keller :  » Au début, beaucoup de gens n’y ont pas cru, ils considéraient ce master comme un programme dédié aux objets d’or et de cristal pour les pays émergents. Aujourd’hui, ce sont les marques qui viennent vers nous, la demande est constante « , affirme Nicolas Le Moigne.

Concrètement, comment ça se passe entre les griffes et vous ?

Au départ, on élabore un briefing ensemble, et mon rôle est de m’assurer qu’il correspond au côté académique du programme, parce qu’on reste une école. Je veille à maintenir une certaine variété, il peut s’agir d’une vitrine, une image, une pièce unique ou de l’artisanat, on tente de diversifier au maximum les collaborations et les types de projets.

Quelle limite vous imposez-vous ?

On ne se pose pas vraiment de limites. Disons que chaque année, on essaye de se donner des challenges, d’évoluer dans des domaines qu’on ne connaît pas du tout, comme par exemple, l’an dernier, dans la parfumerie. Ce n’est pas toujours une question de produit, c’est plus une recherche, une réflexion.

Avez-vous des partenaires privilégiés ?

Nous en avons plusieurs, par exemple la marque de haute horlogerie Vacheron Constantin depuis deux ans. Cependant, on ne s’improvise bien sûr pas designer horloger du jour au lendemain, c’est une démarche qui prend du temps. Mais grâce à leur soutien et leur expertise, nos étudiants ont l’opportunité d’approcher au plus près ce monde si particulier. Chaque année, on passe une semaine au coeur de la manufacture. Donc on suit tout le développement des montres, du dessin à la réalisation, sans oublier le marketing et la communication. On a ainsi une vue d’ensemble, ce qui est très important. Et en parallèle, chaque étudiant fait équipe avec un artisan pour réaliser une pièce, en rapport avec le concept de temps et le cycle des saisons, qui est le thème général de la prochaine Exposition universelle. Les projets seront présentés lors du Salon international du meuble de Milan, et ensuite lors de l’Expo, au Museo Bagatti Valsecchi, près de la Via Montenapoleone.

Vu le quartier, on reste dans le luxe !

Ça, c’est sûr ! L’endroit est magnifique. C’est ce qui est génial avec ce genre de labels : les limites sont sans cesse repoussées. Quand on a l’habitude de travailler avec ces marques  » traditionnelles « , on sent qu’il y a une volonté de toujours faire mieux, plus grand, plus beau. On a l’impression que tous les moyens sont mis en oeuvre pour aboutir au meilleur résultat possible. Et c’est vrai que la question du budget se pose beaucoup moins que dans d’autres projets ou collaborations, où les paramètres financiers peuvent constituer un frein, même si ce n’est pas toujours à la création en tant que telle.

Cette immersion au sein des grandes maisons, c’est une manière de remettre l’accent sur le savoir-faire plutôt que sur les aspects plus tape-à-l’oeil de l’industrie du luxe ?

C’est la première chose que l’on enseigne à nos étudiants : le luxe, ce n’est pas ce qui brille, c’est la maîtrise, l’expertise, l’expérience de toutes ces entreprises qui ont des siècles d’histoire. Chez Christofle on assiste à la fabrication des couverts en argent, chez Baccarat, on va voir les verriers souffler le cristal… C’est important pour comprendre que le produit haut de gamme naît d’une matière qui n’est pas nécessairement onéreuse – ça peut être du bois ou un simple cuir -, mais que la manière dont elle est travaillée et valorisée en fait toute la beauté.

Comment sélectionnez-vous vos étudiants ?

Nous recevons énormément de candidatures venant d’horizons très différents et nous n’en retenons que très peu, car bien qu’il s’agisse d’un programme académique, le master ne dure que de septembre à juin, et nous n’avons par conséquent pas le temps de donner de cours théoriques, nous restons concentrés sur des mandats déterminés. Cette année, sur un total de douze élèves, on compte dix nationalités différentes ; si nous faisons parfois venir des jeunes gens du bout du monde, c’est qu’ils sont dotés d’un potentiel exceptionnel. Nous avons d’ailleurs la chance de voir beaucoup de nos étudiants engagés par les griffes dès leur sortie de l’école, parce qu’on leur impose un rythme de travail très proche de la vie active, ce qui leur permet d’être opérationnels à la fin du programme.

Et si, au bout du parcours, ils ne devaient retenir qu’une seule chose essentielle, ce serait quoi ?

L’importance du contact avec le client. Il faut savoir se vendre et vendre ses idées. C’est primordial, parce qu’un bon concept finira écarté si on n’a pas réussi sa communication. Ensuite, les étudiants doivent toujours avoir en tête qu’ils exécutent une commande émanant d’une maison, dont il faut respecter l’histoire, les techniques et les codes ; pas seulement un projet perso.

Qu’est-ce que votre formation dit sur l’évolution du métier d’artisan ?

Que nos étudiants ne sont plus de grands spécialistes de tel ou tel secteur. On leur apprend à pouvoir communiquer et échanger avec des artisans exerçant depuis des années, ils doivent donc savoir comment mélanger ce savoir-faire, cette culture, cet héritage, avec un aspect plus expérimental et plus contemporain, via des matières innovantes, de nouvelles technologies ou des propositions toujours plus fraîches et novatrices. Sinon on stagne. Notre formation se veut ancrée dans la réalité, sans pour autant prendre un aspect trop commercial, parce que ce n’est pas le but. Même si le Graal, c’est qu’un produit finisse par intégrer le catalogue officiel de la marque. C’est arrivé avec le projet Rémy Martin, qui était pourtant totalement expérimental, et qui a rajeuni l’image de ce cognac par le biais des cocktails. Un objet est d’ailleurs en cours de développement, et un deuxième va peut-être suivre.

www.ecal.ch

PAR MATHIEU NGUYEN

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