A 35 ans, l’égérie de Manifesto, le nouveau parfum d’Yves Saint Laurent, enchaîne les succès et cartonne à Broadway. Dans Zero Dark Thirty, elle s’offre un rôle coup de poing, celui d’une analyste undercover de la CIA, qui pourrait bien lui valoir un Oscar ce 24 février.

Il ne faut jamais se fier aux apparences. Surtout lorsque l’on a en face de soi une de ces filles caméléons entraînées pour se glisser, tel un agent double, dans la peau de n’importe quel personnage. Avec une préférence assumée pour ceux qui ne leur ressemblent pas. Lorsqu’elle nous accueille ce matin-là, juchée sur des talons vertigineux, cintrée dans une robe violette qui souligne l’éclat de ses yeux vert d’eau, Jessica Chastain n’est que douceur et courtoisie. Charmante sans être charmeuse, un sourire désarmant sur les lèvres, la rousse qui fait buzzer tout Hollywood depuis cette montée des marches à Cannes, en 2011 –  » avec, dira-t-elle alors, pour seuls accessoires aux poignets Brad Pitt et Sean Penn  » venus défendre à ses côtés le film de Terrence Malick The Tree of Life -, n’a cette fois à faire la  » promo  » que d’elle-même.

Dans la posture de l’égérie glamour du nouveau parfum Manifesto d’Yves Saint Laurent Beauté, Jessica Chastain ne laisse rien deviner de ce qui a occupé ses six derniers mois : le tournage de Zero Dark Thirty, au scénario classé  » secret défense  » par la réalisatrice Kathryn Bigelow, dans lequel elle incarne Maya, une analyste de la CIA ayant consacré dix ans de sa vie à la traque – par tous les moyens, torture y compris – d’Oussama Ben Laden. Elle qui, de son propre aveu, ne croit pas que la vengeance ait jamais rien apporté de bon sur la Terre. Elle qui ne s’est pas réjouie lors de l’annonce, le 2 mai 2011, de la mort du leader d’Al-Qaïda et s’est tout au plus demandé de quoi l’avenir des Etats-Unis, après un tel fait d’armes, serait fait. Elle qui près de douze ans après les attentats contre les tours jumelles n’a jamais osé retourner dans ce quartier de New York, alors qu’elle vivait à quelques blocs de là pendant ses études d’art dramatique à la Juilliard School.  » Ce qui m’intéresse en tant qu’actrice, c’est d’interpréter des personnages totalement différents de ce que je suis, justifie-t-elle. J’imagine que quand j’accepte un rôle, cela génère chez moi un sentiment de doute, j’en arrive à me demander si je vais en être capable. Et c’est probablement cette crainte de l’échec qui agit sur moi comme le shoot d’adrénaline dont j’ai besoin pour me plonger dedans.  » Aujourd’hui, un Golden Globe de la meilleure actrice dans une main et un Oscar à portée de l’autre, Jessica Chastain ne peut se dire qu’une chose : elle a eu raison d’oser les choix qu’elle a opérés. Démonstration.

Pour vous, qu’est-ce que l’audace ?

Se laisser guider par la force de son intuition et vivre pleinement ses émotions. L’audace, c’est la liberté. C’est ce qui me fait avancer depuis le début de ma carrière. Qu’il s’agisse d’un film ou d’un contrat d’égérie, je ne signe que ce en quoi je crois. Il y a peu de chance que vous me voyiez un jour dans une superproduction hollywoodienne. Même lorsque j’ai accepté de participer à Madagascar 3, c’était pour jouer le rôle de Gia, une jaguar italienne acrobate (rire) !

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

J’ai eu très tôt la conviction que j’étais faite pour cela. C’est ma grand-mère Marilyn qui m’a emmenée pour la première fois au théâtre et ça a changé ma vie. C’est elle aussi qui m’a encouragée à rejoindre une troupe lorsque j’avais 13 ans, qui m’a accompagnée à New York pour les auditions de la Juilliard School. Si j’ai pu y suivre des cours, c’est grâce à la bourse que m’a donnée Robin Williams. De ces années de formation, je pense avoir acquis rigueur, instinct et persévérance… et une véritable vocation pour l’art de la scène.

L’an dernier, vous vous êtes retrouvée dans la prestigieuse liste établie par Time Magazine des 100 personnes les plus influentes du monde, au côté de Barack Obama et des hackers d’Anonymous. Comment aimeriez-vous exercer ce pouvoir que l’on vous prête ?

Je voudrais promouvoir la gentillesse. Personnellement, j’essaie toujours, lorsque je rencontre quelqu’un, qui que soit cette personne, où que je me trouve, de la regarder dans les yeux, de me connecter à elle. Je suis convaincue que si plus de gens prenaient la peine d’agir de cette façon, le monde serait différent : nous verrions tous les choses autrement, pas seulement de notre petit point de vue.

Vous avez accepté de prêter votre visage pour la première fois à une marque de beauté. Que représente pour vous la maison Saint Laurent ?

J’aurais adoré connaître Yves Saint Laurent personnellement : quelque chose me dit que ça aurait collé entre nous. Je suis totalement en phase avec la vision de la femme qu’il n’a jamais cessé de promouvoir : libre, audacieuse, passionnée, moderne, qui n’abandonne jamais, qui crée elle-même ses propres conventions sans jamais perdre son élégance ni sa féminité.

Sur tapis rouge, vous n’avez pas peur – et c’est assez rare à Hollywood – de porter de la couleur, de choisir des robes de jeunes créateurs. Qu’est-ce qui vous plaît dans la mode ?

Quand j’étais petite fille, mes cheveux roux suscitaient beaucoup de remarques, pas toujours très gentilles d’ailleurs. Ma grand-mère m’a encouragée à affirmer cette différence en portant des vêtements colorés par exemple. En me coupant les cheveux très courts, à la garçonne aussi. J’aime l’idée de pouvoir m’habiller au gré de mes humeurs, de mon état d’esprit. Porter un peu de tout, choisir des tenues différentes à chaque fois, qui peuvent même surprendre ou choquer. Comme le parfum, les vête- ments permettent d’endosser un rôle l’espace d’un instant, d’adopter une attitude.

Est-ce vrai que vous changez de parfum pour chaque rôle, que cela vous aide à construire votre personnage ?

Le parfum est selon moi étroitement lié à la mémoire. J’aborde donc chaque personnage de mes films en choisissant un nouveau parfum. Cela me permet de mieux comprendre la femme que j’interprète, de découvrir son coeur et son âme. Je le porte pendant toute la préparation et pendant le tournage, je m’en asperge avant de partir sur le set. Je suis une amie de Fabrice Penot, l’un des fondateurs de la marque Le Labo. Sur plusieurs de mes films, The Tree of Life, L’Affaire Rachel Singer et Killing Fields, notamment, j’avais choisi trois de ses fragrances (NDLR : Fleur d’Oranger, Poivre et Vetiver). Mais ça, c’était avant d’avoir un parfum  » à moi  » ! J’aime la tension qu’il y a entre les notes vertes et fraîches et la dimension sensuelle et boisée qu’on retrouve dans Manifesto. Le jasmin qui est le fil conducteur de ce parfum est aussi ma fleur préférée.

Comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle d’égérie finalement, vous qui avez la réputation de toujours travailler vos  » personnages  » ?

Je ne vois pas cela comme un rôle et c’est sans doute pour cela que j’étais tellement nerveuse le soir de la présentation officielle du parfum. J’ai l’habitude de pouvoir me réfugier derrière la femme que j’interprète, mais ici, c’est moi, Jessica, qui m’expose et cela me rend plus vulnérable. Sans doute parce que j’ai bien conscience qu’en me choisissant, l’équipe d’Yves Saint Laurent Beauté a misé gros sur moi. Etre une égérie, c’est un honneur mais c’est aussi une responsabilité. Si je dis oui à un projet, quel qu’il soit, je m’implique.

Le luxe pour vous aujourd’hui, c’est…

Vivre pleinement de ma passion, en travaillant pour et avec de grands artistes que je respecte et dont j’admire le travail.

PAR ISABELLE WILLOT

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