La Belgique peut se vanter d’être avant-gardiste dans la création de vêtements, pour les mômes aussi. Le point commun entre toutes ces griffes de talent : de l’audace, des couleurs… et un brin de surréalisme, bien sûr.

Tout est parti d’un jeu avec sa fille. S’inspirant de monstres en feutrine bricolés en famille, la Bruxelloise Pascale Small a décoré des tee-shirts. Les a d’abord cousus main, juste pour quelques connaissances. Petit à petit, une véritable collection a vu le jour. Le style flashy et original de ce vestiaire/bestiaire a plu. Et aujourd’hui, la marque We Were Small fait le buzz sur le marché mondial du vêtement pour les kids. Et elle n’est pas la seule griffe  » blanc-bleu-belge  » à faire parler d’elle. À Paris, en juillet dernier, au Playtime, l’un des salons professionnels de mode enfantine les plus réputés de la planète, il suffisait de parcourir les allées pour se rendre compte que les labels belges Junior ont le vent en poupe.  » Lorsque des gens nous découvrent, ils devinent souvent notre nationalité, rien qu’en voyant l’aspect graphique de nos produits « , observe Pascale Small.  » Le style des Belges est très reconnaissable, confirme Sébastien de Hutten, organisateur de l’événement parisien. Ils manient à la perfection le télescopage des genres et l’association surprenante des couleurs et des imprimés. Ils sont attachés à la coupe, au bien-aller de chaque pièce, aux motifs exclusifs, aux matières. Ils sont passés maîtres dans l’art du détail qui chahute un look et lui donne un « je-ne-sais-quoi » de très contemporain. « 

Et ce constat ne date pas d’hier. Notre pays fut en effet l’un des tout premiers, avec l’Italie, à développer une garde-robe décalée pour les mioches.  » Les créateurs belges sont des précurseurs, poursuit Sébastien de Hutten. Ils ont fait souffler en France un vent de fantaisie et bouleversé le « bon goût » national. Ils ont aussi une façon bien à eux de présenter les collections au public, toujours par le biais de silhouettes accessoirisées. Ce qui inspire leurs confrères étrangers. « 

L’AUDACE DES PIONNIERS

Cette belle réputation de visionnaire, notre petit pays la doit d’abord… à ses traditions !  » Depuis longtemps, chez nous, les parents accordent une grande importance aux vêtements de communion et de cérémonie. Cela fait partie des m£urs « , avance Joëlle Vandenbemden, initiatrice du salon belge Kid’s Fashion de 1997 à 2007 et aujourd’hui réorientée dans la restauration. Il y a de ça plusieurs décennies, la marque Dujardin par exemple misait déjà sur ce créneau. Aujourd’hui encore, de nombreux labels proposent des lignes réservées à ces grands événements.

Sur cette base, dans les années 80, alors que la coutume était plutôt d’habiller les mômes sagement, tels de gentils collégiens, quelques créateurs sortis de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et de La Cambre mode(s), à Bruxelles, ou même autodidactes, ont eu l’idée de lancer, pour les kids, des modèles hors des sentiers battus. Parmi eux, Kaatje Sandra dont la réputation de la griffe Max & Lola a su franchir le cap du nouveau millénaire ( lire ci-contre) ou encore Claude Hontoir, qui imagine des modèles et distribue d’autres labels, compatriotes ou non, dans sa boutique bruxelloise.  » On reconnaît aisément les marques belges car elles sont pointues et portables à la fois, analyse cette dernière, qui planche pour 2012 sur un projet d’e-store. Nous avons initié le mouvement et d’autres ont suivi, avec une recherche constante d’innovation.  »

De son côté, Kaatje Sandra explique le succès initial de Max & Lola par l’ouverture d’esprit des clients belges.  » Ils recherchent bien sûr des habits confortables, faciles à laver, sécurisants, mais en même temps, ils veulent sans cesse de la nouveauté, et un peu de surréalisme. Et c’est ce qui nous a, entre autres, motivés au départ. L’acheteur belge, dans notre secteur, est une personne qui ose… encore plus dans le nord du pays.  » Cette dichotomie nord-sud est d’ailleurs pointée par la plupart des designers.  » En Wallonie, la tendance est plus classique, estime Pascale Small. Le rose et le bleu ont encore la cote. Mais il y a des magasins qui bougent et cherchent à faire évoluer les mentalités… Un changement s’amorce donc aussi. « 

L’EFFET D’ENTRAÎNEMENT

Dans le sillage de ces avant-gardistes, d’autres stylistes ont suivi tout au long des nineties. C’est ainsi qu’Anne Kurris dessina sa propre collection –  » épurée, naïve et pleine d’humour  » – après avoir travaillé plusieurs années comme graphiste pour Dries Van Noten. C’est aussi à ce moment que Ten ( lire en page 24), Maan ou encore Zorrro virent le jour. Et sur leurs traces, c’est tout le marché noir-jaune-rouge du vêtement Enfant qui prit son envol, y compris des labels pour les grands, tels que Bellerose, Essentiel ou Le Fabuleux Marcel de Bruxelles, qui développèrent des versions Kids.  » Nous sommes en réalité une grande famille, résument Liz Cornelis et Dirk Goossens, les deux graphistes anversois derrière la marque Zorrro. Nous nous connaissons l’un l’autre, il y a certes de la compétition, mais aussi beaucoup d’admiration réciproque.  »

Même une institution comme Prémaman, initiée à Bruxelles en 1953 et qui compte aujourd’hui plus de 300 magasins dans 40 nations, bénéficie de cette émulation.  » En Belgique, nos produits sont considérés comme moyens de gamme, constate Sylvie Tastenoy, responsable de la communication pour le groupe. Mais à l’étranger, surtout dans les pays éloignés, comme aux Émirats arabes par exemple, nous sommes assimilés à une marque prestigieuse. L’aura « mode » de la Belgique joue sur notre succès mondial. « 

LA JEUNE GARDE EN ACTION

Reste que, malgré cet emballement national, la mode enfantine de création est un marché de niche, qui intéresse un public limité et averti, et qui n’est pas épargné par la crise. Conclusion : certains voient poindre un essoufflement, ou du moins l’absence d’une relève digne de ce nom…  » Nous étions peut-être plus inconscients à l’époque, estime Claude Hontoir. Aujourd’hui, ceux qui sortent des écoles préfèrent jouer la sécurité et travailler pour l’Adulte ou pour d’autres marques. Et puis, en parallèle, il y a beaucoup de mamans qui bricolent quelques pièces sur leur machine à coudre et s’improvisent créatrices. Je les encourage à continuer, mais il faut savoir que cela ne suffit pas.  » Pierre Hamblenne, un commercial qui s’est lancé dans la mode avec sa ligne J&Joy de polos pour grands et petits confirme les difficultés rencontrées :  » Les marques Enfant sont souvent moins rentables. Généralement le prix de vente d’un modèle kids est 30 % moins cher qu’un équivalent pour adulte. Mais le prix de revient n’est que 10 % inférieur car, même si nous utilisons un peu moins de tissu, l’investissement pour la fabrication est le même. « 

Néanmoins, la garde-robe de nos mômes reste en ébullition comme en témoignent les nombreux projets éclos ou en gestation de notre plat pays. Ainsi, Chat Méchant, une griffe pensée par  » deux mamans créatives « , prend aujourd’hui son envol avec une ligne automne-hiver 11-12 élargie qui comprend les basiques colorés en jersey des saisons précédentes mais également des pantalons, des jupes, des robes, pour un total look. Même évolution chez Mundo Melocotón, un label lancé en 2009 sur base de quelques pièces intemporelles pour les tout-petits – pantalon long, veste à capuche… – et qui pour cette rentrée propose une véritable collection, jusqu’au 6 ans. Quand à Cotton and Milk, créé en 2009 au départ d’un concept écologique et durable –  » des pulls pas trop tendance, portés de saison en saison, tricotés en Italie, et des vêtements fabriqués avec des tissus recyclés et des boutons vintage « , il ouvrira en septembre prochain un pop-up store dans la capitale, au sein de la boutique pointue Little Circus. De son côté, la créatrice bruxelloise Valérie Berckmans, connue pour ses collections Femme, a dans ses cartons, prêt à être déballé, un projet de petits pulls et gigoteuses en laine de récup’. Et pour l’été prochain, ce sera au tour de We Were Small d’étendre son vestiaire avec des bodies, des bavoirs, des pantalons et de nouveaux prints. Qui a dit que la jeune garde tardait à se mobiliser ?

Carnet d’adresses en page 66.

PAR FANNY BOUVRY

 » LA MATIÈRE COMME GUIDE « 

 » DES IMPRIMÉS DESSINÉS AU FEELING « 

 » D’ABORD UNE HISTOIRE DE COULEURS « 

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