Aux fourneaux de l’Afghani, Youssef Massour, enseignant en exil devenu chef, rend depuis vingt ans hommage à la cuisine de son pays. Aujourd’hui, son restaurant est devenu le repaire des jeunes bobos parisiens.

Paris. Un mercredi soir, dans une ruelle de Montmartre, au pied du Sacré-Coeur. Un petit restaurant, à peine visible, avec pour seule enseigne quelques lettres en arabe peintes à la main et le dessin d’un cavalier perse, fait salle comble. L’Afghani, l’un des rares restaurants afghans de la Ville lumière (en Belgique il n’en existe pas), n’a jamais suscité autant de curiosité que depuis que l’Afghanistan est au centre de l’actualité internationale. La clientèle jeune et bobo du XVIIIe arrondissement en a fait une de ses cantines de prédilection. Les raisons du succès? La découverte d’une nourriture authentique qui s’apparente aux préparations pakistanaises mais moins grasses et plus parfumées encore et le sentiment de soutenir la très branchée culture alter-mondialiste. Manger afghan c’est se sentir un peu résistant depuis que l’image du défunt commandant Massoud est en passe de devenir à l’Afghanistan ce que le Che est à Cuba. « Peut-être une envie de découvrir autre chose que ce que la télévision et les images des bombardements donnent à voir, commente Youssef Massour, patron des lieux, depuis près de vingt ans. L’Afghanistan intrigue et fait peur aux occidentaux. On se le représente de manière confuse, pleine de guerriers, de tribus violentes et de montagnards sanguinaires. Si les gens peuvent découvrir à travers la cuisine afghane une autre facette du pays, c’est un peu d’authenticité de gagnée. »

Né à Kaboul, où il a grandi et mené des études de lettres, Youssef est enseignant au lycée français quand les chars soviétiques entrent dans la ville en 1978. Trois ans plus tard, comme tant d’autres de ses compatriotes, il choisit l’exil avec femme, enfant et baluchon sur le dos. Les Massour traversent à pied les hautes montagnes orientales et rejoignent clandestinement le Pakistan voisin. Grâce à un ami du centre culturel français d’Islamabad, ils s’envolent deux ans après pour l’Hexagone où ils introduisent une demande d’asile politique. « Nous sommes arrivés en décembre 1983, un peu perdus…, confie Youssef. Le premier réveillon nous l’avons passé ici, à L’Afghani. Quelques mois après je reprenais le restaurant, initié à la cuisine par le patron de l’époque et éclairé par Sadjia, mon épouse: c’est elle qui m’a réellement familiarisé avec les plats traditionnels afghans. »

Dans la gastronomie afghane se mêlent à la fois les saveurs de la table arabe, entre autres le kebab d’agneau, le thé à la menthe ou à la cardamome, et le goût indien des accompagnements (riz) et des épices (sorkh ou piment rouge, coriandre, safran). « Les beignets ou les rissoles sont une autre des grandes constantes populaires, poursuit Youssef. Dans la rue, les marchands ambulants ont toujours de l’huile sur le feu! Et en famille, on n’échappe pas aux bolanis, de délicieux chaussons à base de farine de pois chiche farcis aux poireaux. » Plus rare, le gol-é-karam, un beignet de chou frit au piment de cayenne et poudre de citron. « Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, rectifie Youssef, nos plats ne sont pas aussi relevés qu’en Inde. Même si notre cuisine ne peut s’envisager sans les aromates. Historiquement, l’Afghanistan était situé stratégiquement sur la route des épices. »

Sains et peu onéreux, les légumes sont la base de l’alimentation quotidienne dans un pays démuni où la viande reste un luxe. « Mis à part pour les fêtes, les ragoûts contiennent en général peu de mouton et beaucoup de sauce dont on nappe généreusement les nân (de fines galettes de pain cuites sur des plaques métalliques brûlantes) », souligne Youssef. A l’Afghani, le chef Massour sert les nân natures ou fourrées à la Vache-qui-rit, subtil clin d’oeil à son pays d’accueil. « C’est l’un des seuls ingrédients franco-français que j’utilise », dit-il en riant sous sa toque blanche. « Les produits laitiers sont néanmoins très prisés chez nous mais davantage sous forme de yaourts qui sont présents aussi bien dans les plats que les desserts, comme le ferni, servi frais avec des grains de cardamome. »

« Evoquer la cuisine afghane c’est forcément parler d’interdits, de préceptes religieux et de croyances héritées de la médecine populaire », précise Youssef. Ainsi les aliments sont-ils, théoriquement, classés en deux grandes familles distinctes les aliments chauds ou froids, à l’instar des traditions pakistanaises ou philippines rappelle le journaliste Patrick Denaud, co-auteur de « Saveurs afghanes » (aux éditions du Félin). Les choux, choux-fleurs, épinards ou oignons se mangent crus alors que le pain, le fromage ou les fruits secs sont cuits. « Mais, il y a pas mal d’entorses aux règles, reconnaît Youssef. Les Afghans sont très individualistes et supportent mal les obligations. Bien sûr, le cheval, bien trop noble à nos yeux, ne trouve pas sa place à table et le poisson est exclu. Mais les carottes, par exemple, qui n’ont pas la réputation de faire partie de nos habitudes se retrouvent quand-même dans le halva-é-zardak: un dessert aux amandes et pistaches. »Toujours aux fourneaux après deux décennies, le chef Massour aspire aujourd’hui à consacrer plus de temps à ses rares loisirs : la musique et le yoga. Et une autre de ses passions: la cuisine berbère.

Texte et photos:, Antoine Moreno [{ssquf}], Recettes en pege 36., Carnet d’adresses en page 71.,

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