Gibo by Julie Verhoeven s’annonce comme l’une des collections phares de la capitale londonienne pour le printemps-été 2003. Pleins feux sur une jeune créatrice very trendy.

(*) L’exposition se termine le 9 mars prochain.

Carnet d’adresses en page 147.

Cette fille-là a une allure inimitable. Pour affronter les frimas londoniens, elle a enfilé, par-dessus sa robe vintage d’Yves Saint Laurent, un manteau aussi verdoyant qu’un gazon anglais. La coupe de cheveux est violemment asymétrique, un centimètre de fard à paupières turquoise cerne ses yeux marron et, à sa main droite, elle arbore une bague tête de mort comme en portent encore quelques motards cloutés. Julie Verhoeven est née à la fin des sixties et lutte contre une forme de nostalgie naturelle parce qu’elle ne voudrait pas, dit-elle,  » sombrer dans une certaine tristesse « . Sa chanson préférée est  » Gotta get a message to you  » des Bee Gees, l’un des quarante titres qu’elle a illustrés pour une expo personnelle à la Mobile Home Gallery de Londres, début 2002. L’écouter à plein tube, entre les Doors et Fleetwood Mac, nourrit son imagination.  » J’ai besoin de musique pour travailler, le silence m’horrifie.  » Son portable fait écho à son angoisse : il annonce les appels par une sorte de sirène d’ambulance.

C’est elle que Franco Pené (lire son interview en page 454), président de l’entreprise italienne Gibo, connue pour avoir propulsé au devant de la scène Alexander McQueen, Helmut Lang ou Hussein Chalayan, a choisie pour concevoir sa ligne en nom propre. C’est une personne de l’entourage de Martine Sitbon, auprès de laquelle Julie Verhoeven a officié comme consultante en design, qui a mis en rapport l’Italien et la Britannique.  » Il pouvait sembler logique de porter notre choix sur l’un des créateurs avec lesquels nous travaillions déjà, pointe Franco Pené, mais nous avions senti tout de suite que ce n’était pas la meilleure façon de procéder. Celui qui aurait créé pour Gibo tout en ayant sa propre ligne ne pouvait, d’une certaine façon, se faire concurrence. Là, nous nous sommes dit : pas de problème, il y a suffisamment de jeunes créateurs talentueux sur le marché. Seulement, ceux qui n’ont pas encore de collection propre rêvent d’en lancer une et ils rêvent même, de préférence, de le faire en collaboration avec Gibo. Autrement dit, il nous fallait quelqu’un de vierge sur le plan créatif.  »

L’accouchement de cette nouvelle griffe s’est fait sans douleur.  » On s’est entendus tout de suite « , commente la styliste. Gibo by Julie Verhoeven s’annonce comme l’une des collections phares de la capitale londonienne pour le printemps-été 2003. On retrouve la patte de l’illustratrice û celle qui dessine pour les magazines branchés  » Self Service  » ou  » Dazed  » û dans les imprimés mais aussi son humour savoureux dans l’art de faire tenir une robe par un cordon un peu lâche. Entre manches ballon et jupettes pétale, cela flotte, cela ondoie et Julie est contente.  » J’aime les choses un peu rudes, un peu brutes, à l’image de la vie.  » Les couleurs sont tour à tour vives et acidulées ; les formes, plutôt organiques :  » Le genre amibes, vous voyez ? » lance-t-elle dans un grand éclat de rire, avant d’évoquer Picasso pour  » ses obsessions érotiques  » et Matisse pour  » sa palette « .

De son univers très personnel û l’étiquette  » psychédélique punk  » fait bondir Julie, mais elle n’en perd pas pour autant ses bonnes manières û, la jeune femme a conservé les aspects les plus ludiques. Comme une sorte de clin d’£il à sa passion, à sa vie : le dessin. Plastronnées sur le bas des robes ou les épaules, de flamboyantes palettes de peintre rythment cette garde-robe peu conventionnelle. Franco Pené aurait-il surtout choisi Julie Verhoeven pour son anticonformisme ?  » Nous ne voulions pas lancer une de ces marques typiquement italiennes car cela ne fait pas partie de notre culture génétique. Ce qui est inscrit dans notre ADN, c’est de prendre soin d’un designer trendy, de se placer dans une niche du marché, plutôt qu’au sommet de celui-ci. Il fallait que Gibo soit clairement identifiée d’entrée de jeu, qu’on ne puisse pas la mettre en rapport avec Prada ou Gucci ou encore Max Mara.  »

Présentée dans une boutique exclusive sur Conduit Street, à quelques vitrines seulement de Vivienne Westwood, de Yohji Yamamoto et du chausseur Berluti, Gibo sera progressivement distribuée dans le monde entier : Franco Pené cible 200 à 250 boutiques triées sur le volet et, pas à pas, un réseau de distribution propre. Ces considérations commerciales glissent sur la peau blanche de Julie Verhoeven comme un cygne sur l’eau calme d’un lac. La voilà repartie dans ses rêves, plutôt insaisissable. Il faut bien dire qu’elle est parfois difficile à suivre. D’abord, elle parle comme d’autres murmurent. Ensuite, elle va cahin-caha au gré de ses envies et de ses frustrations.

Refusée deux fois au St Martin’s College of Art, d’où sort la crème des stylistes britanniques, elle n’en deviendra pas moins, à 18 ans, la première assistante officielle de John Galliano.  » La dernière aussi « , dit-elle en pouffant de rire. Au bout de quatre ans, lassée de ce  » merry-go-round  » (NDLR : le manège des collections, saison après saison), Julie reprend ses crayons d’illustratrice et travaille simultanément avec Jasper Conran sur divers projets théâtraux. En 1993, la voilà à Paris chez Martine Sitbon, puis elle se pose comme consultante en design : elle imagine la scénographie d’un défilé pour Cacharel, dessine un carton d’invitation pour Philip Treacy, apporte sa touche à un clip des Sugarbabes (un trio de jeunes chanteuses londoniennes) et produit un dessin animé pour un concert live des Fischerspooner (une formation musi- cale un peu déjantée). Mais, surtout, elle concocte pour Louis Vuitton l’un des accessoires de mode les plus prisés de l’été 2002. Vendus en séries limitées, les sacs  » patchworkés  » d’escargots et de papillons, sur fond d’arcs-en-ciel, valent à Julie Verhoeven une reconnaissance immédiate. Et une couverture médiatique sans précédent. Commentaire de l’intéressée :  » Mmmm… yeah.  »

Julie Verhoeven tient son nom très peu britannique d’un père né à Rotterdam et venu étudier le dessin à Londres. Sa mère, également, a travaillé du crayon.  » Je n’aurais pu devenir autre chose qu’une artiste bien que mes parents ne m’aient jamais encouragée dans cette voie. Ils connaissaient les difficultés du métier. Pour mon frère, c’est encore pire : il est peintre !  » Lorsque le président de Gibo la sollicite, elle est en plein trip illustratif. Elle expose d’ailleurs, ces jours-ci, à la Mobile Home Gallery (*) qui accueillit, l’an dernier, ses Fat-Bottomed Girls (littéralement et d’après une chanson de Queen,  » filles aux grosses fesses « ).  » J’avais renoncé à tout travail de consulting pour me concentrer sur le dessin. Et voilà ! Comment aurais-je pu refuser une proposition pareille ? »

Chantal Samson n

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