Pieds nus sur sa moquette vert forêt, la créatrice Vanessa Seward feuillette l’album de son univers, souvenirs et influences compris. Après un premier défilé parisien applaudi, sa toute nouvelle griffe, à son nom, entre dans l’automne-hiver avec allure. Confidences sur canapé.
Elle avait juré ses grands dieux que jamais elle ne créerait sa propre griffe – » pas assez d’ego » – et puis Jean Touitou, le fondateur d’A.P.C., le lui a proposé, la poussant gentiment dans le dos, elle ne s’est pas fait prier. Enhardie par le succès des collections capsules qu’elle signa pour cette marque française dès l’hiver 2012, elle a muselé la peur qui la chiffonnait, conséquence logique de ce » mine de rien, je mets mon âme dans mon travail… »
Avec Vanessa Seward, le monde a de l’allure. Elle s’est posée sur le sofa en velours de son salon, Paris, XVIIe arrondissement. C’est ici qu’elle préfère dessiner, au saut du lit, en pyjama pratiquement, et pieds nus surtout – » il faut être désarmée, sinon on se met une carapace ; c’est vraiment au moment de la création qu’il faut être vulnérable et instinctif « . Généralement, dans la pièce d’à côté, Bertrand Burgalat, son producteur de mari, musicien et auteur par ailleurs, bosse sur un morceau qu’il répète » dix mille fois « , mais elle aime ça, » entendre la progression « .
Pour l’heure, elle porte un jeans taille haute surtout pas délavé, une blouse en soie rouge avec imprimé discret, des cheveux de jais joliment domptés, bouclés large, elle a presque fini son printemps-été 2016, » plus sensuel, plus glam « , elle est un peu rassurée, son premier défilé en mars dernier, les ventes de sa collection automne-hiver, » tout s’est bien passé « . Mieux, elle ouvre sa boutique dans les jours qui viennent, 10, rue d’Alger, Paris Ier. Elle peut sourire, on se demande si elle s’en est jamais empêchée.
Dans sa vie d’avant, elle a côtoyé Karl Lagerfeld, Tom Ford, Loris Azzaro, oeuvrant ainsi assidûment pour les maisons Chanel, Saint Laurent et Azzaro, en cycle de neuf ans, deux ans, neuf ans – » Je suis assez fidèle et intègre, quand je m’engage, je m’engage. » Elle y a appris deux ou trois choses indispensables qui font d’elle une créatrice définitivement couture et une femme qui n’hésite pas à confier : » La vie me fascine, les hauts et les bas, sortir des mauvaises passes, tenir le cap, quoiqu’il arrive. » Elle parle une langue qui n’appartient qu’à elle, avec un indicible accent anglais et un charme fou, heureux mélange de chic bourgeois et de déjanté policé. Ses souvenirs d’enfance lui servent de terreau, la beauté de sa mère aussi et le » look intemporel » de quelques femmes au caractère bien trempé forcément sublimes. Si elle déteste » quoi qu’il arrive quand la mode est un déguisement « , c’est sa force, sa signature, rien de fortuit à ce qu’elle n’ait pas fondamentalement changé de style depuis son adolescence qui la vit fréquenter intensément les boîtes de nuit. Depuis, elle s’est un peu assagie mais utilise encore avec une gourmandise teintée de flamboyance les adjectifs » marrant » et » fascinant » qui pourraient bien se retourner contre elle, tout contre.
MES DESSINS
» Je ne sais pas dessiner ou juste assez bien pour expliquer le croquis aux ateliers. Ce n’est pas mon mode d’expression mais quand je m’y mets, j’ai déjà le vêtement dans ma tête. C’est presque bien de ne pas savoir dessiner : une jolie esquisse n’est pas forcément un bon vêtement. Et puis je prône la simplicité, je n’aime pas quand il y a trop de détails, je suis pour la coupe, les lignes simples et les beaux tissus. Je trouve aussi que c’est un partage de savoirs avec la modéliste : je l’ai appris avec Chanel et Karl, c’est également à la modéliste de savoir où elle va mettre les découpes et moi je ne suis pas très précise, je me limite à l’allure. »
MON POINT DE DÉPART
» Je voulais créer une garde-robe complète. J’avais une expérience plus couture, plus luxe. Je m’habillais toujours trop, si je schématise j’allais au bureau avec des talons très hauts en robe de cocktail… Et puis le destin a bien fait les choses : quand j’ai quitté Azzaro, ma fille Jacqueline avait 9 mois, A.P.C. me correspondait, c’est une entreprise très » child friendly « , où les gens sont cool dans tous les sens du terme, je sentais que tout à coup, je pouvais lâcher, cela m’a fait du bien de collaborer avec eux. Jusque-là, j’avais confiance dans le côté habillé, je le dominais, mais le casual, c’était une catastrophe, c’était tout ou rien. Quand il fallait que j’aille à la campagne, grosso modo, je portais des vieilles Converse pourries et un jeans qui ne m’allait pas… Avec cette nouvelle vie et un bébé, j’ai commencé à réfléchir : « Comment être casual et chic ? », je pense que cela m’a fait mûrir. »
L’AUTOMNE-HIVER 15-16
» Un manteau en peau lainée, des cuissardes, une blouse en soie et un imprimé trèfle à quatre feuilles issu des archives de la maison Abraham, je suis superstitieuse, j’étais contente d’avoir ce trèfle pour ma première collection. Et le jeans Victoire, taille haute, court, bien coupé. Un jour, lors d’un déjeuner avec Victoire de Castellane, on parlait du jeans parfait, qu’on pourrait porter avec une blouse en soie. En hommage, je l’ai appelé comme elle. »
LE DÉFILÉ CHEZ MONA BISMARCK
» Cela sent la cire chez Mona Bismarck et j’apprécie l’intimité de cet hôtel particulier, celui d’une femme très élégante, on disait qu’elle était la mieux habillée du monde, elle a fini sa vie à Capri et était juste obsédée par les fleurs et les jardins. »
L’INSPIRATION DE LA COLLECTION
» « Il faut que ce soit personnel, me suis-je dit, sinon cela n’a pas d’intérêt. » Du coup, c’est ma vie. Un coté anglais avec le tweed, j’avais en tête des images de ma mère, à Londres, elle allait à des chasses à courre, elle détestait la campagne mais adorait s’habiller, elle portait des cuissardes, une cape et une casquette. A l’image de Jerry Hall, époque Bryan Ferry (photo), avec ce mix entre le conservatisme anglais et le glam des étrangères qui se l’approprient. »
BERTRAND BURGALAT
» Ce cliché est de Serge Leblon. J’avais collaboré avec lui chez Azzaro et l’idée de cette série pour un magazine était qu’il nous suive, comme si c’était des photos volées. Ça devait être en 2004, c’est le début de notre histoire, on sent toute la pudeur que l’on peut encore avoir alors. Cette image est posée au sol, dans la chambre de notre fille, je n’ai pas pu l’accrocher chez nous parce qu’il y a trop de tapisseries, Bertrand les collectionne. »
LE POURQUOI DU COMMENT
» Christophe Chassol, un compositeur produit par Bertrand, m’a un jour demandé : « Pourquoi fais-tu de la mode ? » J’ai été obligée d’y réfléchir. Un vêtement peut vraiment te donner confiance, et ce pouvoir me fascine. Chaque pièce de ma collection a un nom qui commence par une lettre de l’alphabet, j’ai suivi en cela la tradition de la couture. Pour cette première, c’est donc le A et la robe longue, je l’ai appelée Antidote, je me suis dit que cela pouvait peut-être guérir des gens. «
YVES SAINT LAURENT ET BETTY CATROUX
» Je la trouve très chic mais je pense que je suis plus Loulou de la Falaise que Betty Catroux. Loulou n’était jamais boring, toujours hyperchic et elle ne s’était pas embourgeoisée. «
CLAUDINE LONGET
» Pour cette imagerie un peu pop et puis parce que quand Bertrand m’a rencontrée, il trouvait que je ressemblais à Claudine. «
MA MÈRE
» On habitait à Londres, mon père était un diplomate argentin et ma mère, je la trouvais très, très belle. Elle se créait des looks, se faisait même des accessoires, des bibis avec des voilettes, des ceintures, elle avait un style à elle très fort. J’ai deux soeurs aînées et un petit frère, on était son fan-club, on pensait qu’il n’y avait pas mieux au monde qu’elle. Elle adorait les films noirs hollywoodiens, très souvent, on les regardait ensemble, cela m’a influencée. En plus, mine de rien, les années 70 en Angleterre, c’était très inspiré par les années 30 et par les symbolistes, je pense que tout cela m’a beaucoup marquée. Mes collections en sont un dérivé. »
BIANCA JAGGER
» J’aime ce côté presque « femme de dictateur ». Souvent, ce qui me fascine chez toutes ces filles, c’est l’allure, avec des looks très simples mais juste une manière bien à elles de porter un foulard. »
JERRY HALL
» Elle a une allure incroyable. J’adore les belles Américaines, elles ont des looks un peu intemporels. «
LIO
» Je vis en France depuis 1981, j’avais alors 12 ans et adorais la pop française – Daho, Lio… C’était génial. Plus tard, je suis sortie aux Bains Douches, au Palace, il y avait plein de trucs marrants très… J’ai toujours adoré le milieu de la musique et j’ai eu du succès avec les musiciens. Contrairement à ce qu’on croit, ils aiment les bourges. D’ailleurs, je suis mariée avec un musicien ! «
LA MAISON DES PYRÉNÉES
» Vue sur le jardin de la maison des Pyrénées, cet endroit m’apaise, me lave de tout, cela fait partie de mon équilibre. Bertrand est originaire de là-bas, il l’a achetée avant de me rencontrer, il y a aménagé un studio. En vacances, il travaille, il est musicien et il écrit aussi, super bien, je suis sa première lectrice. Et il est le premier à voir mes dessins. »
APRIL MARCH
» Je l’ai rencontrée grâce à Bertrand, ils ont fait deux disques ensemble. Je la trouve très inspirante, j’aime son univers, sa manière de s’habiller, elle a ce petit mélange chic et bourgeois, en même temps complètement déjanté et « quirky ». Elle a écrit les paroles de Vanessa’s Way, elles sont super, elle l’a chantée pour mon défilé, Bertrand en a composé la musique, il me connaît mieux que personne. »
MA FILLE JACQUELINE
» Jacqueline a 5 ans. Elle est marrante, elle a son petit style à elle : elle a eu une période où elle voulait tout le temps mettre une casquette en tweed comme Bertrand, elle la portait même pour aller à l’école. Sa maîtresse m’a dit l’autre jour : « Elle est originale mais originale bien. » Nous, on ne la pousse à rien, on la laisse faire, comme ma mère qui ne m’a jamais censurée, parfois, elle s’habille en princesse rose, je n’aime pas du tout mais si cela lui fait plaisir, cela me va. Elle est heureuse et déterminée. «
LA MAISON CHANEL
» Quand j’étudiais au studio Berçot, la directrice Marie Rucki me disait : « Tu vas finir chez Chanel. » Cela m’énervait, je n’avais aucune envie d’aller là, je trouvais plus cool de travailler chez Martine Sitbon. Mais cette directrice avait un vrai talent pour voir chez ses élèves ce qui leur convenait, elle savait les guider, j’étais à un âge où je ne me connaissais pas, elle m’a aidée à avoir ce recul sur moi-même. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir passer par Chanel, mais j’en étais complètement inconsciente. J’y ai commencé en tant que stagiaire, on ne me demandait pas grand-chose, à part ramasser quelques épingles ou apporter un Coca à Karl. Mais je me faisais remarquer par mon allure, et c’est grâce à cela que j’ai découvert le pouvoir qu’ont les vêtements… J’y suis restée neuf ans, à la fin, je m’occupais des accessoires. C’était l’une des plus grandes maisons, mais je ne m’en rendais tellement pas compte que je suis partie chez Saint Laurent, j’avais besoin de voir autre chose. Après, j’ai compris la culture de la couture, le respect pour les artisans, les ateliers, c’est sûr que cela m’a marquée pour toute ma carrière, à tous les niveaux. Quant à Karl, il était bluffant, il trouvait toujours une solution, cela met la barre très haut. »
PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON
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