Belle et anti-conventionnelle, l’ancien mannequin devenu comédienne réussit une carrière internationale. Elle est actuellement à l’affiche de La Promesse d’une vie, de et avec Russell Crowe.

Yeux verts en amande, jambes interminables… Olga Kurylenko est d’une beauté sculpturale, mais elle a bien plus que son charme éclatant et son parcours aux allures de conte de fées à livrer : il était une fois une petite fille pauvre de Berdiansk, en Ukraine (alors république de l’Union soviétique), repérée à 13 ans par un agent et devenue top model planétaire… Passionnée de théâtre et de cinéma, polyglotte, féministe aguerrie et  » disciple  » de Simone de Beauvoir, la jolie brune a réussi ce qu’elle désirait par-dessus tout : s’imposer comme comédienne.  » Trop belle et trop célèbre pour être actrice « , lui rétorque-t-on à ses débuts. Elle se bat pour y arriver et décroche son premier rôle il y a dix ans dans L’Annulaire de Diane Bertrand. Depuis, on l’a vue en James Bond Girl, au côté de Daniel Craig, dans Quantum of Solace (2008). Et naviguer entre cinéma d’auteur – A la merveille, de Terrence Malick (2012) – et blockbusters – Oblivion, face à Tom Cruise (2013). Dans La Promesse d’une vie, premier film de l’acteur Russell Crowe, qui se déroule après la Première Guerre mondiale, elle interprète une Ottomane, maman d’un petit garçon et veuve d’un combattant mort lors de la terrible bataille des Dardanelles. Un rôle pour lequel elle s’est investie au point d’apprendre le turc. Drôle et exubérante dans la vie, Olga Kurylenko, à 35 ans, assume pleinement son statut de femme moderne, à la fois libre et ambitieuse.

La Promesse d’une vie se déroule à Constantinople (qui devient Istanbul en 1930), en 1919, dans une société traditionaliste et un contexte familial étouffant. Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce personnage de mère sacrifiée ?

Sa force, sa détermination, sa volonté de ne pas fléchir malgré les contraintes et les menaces auxquelles elle est confrontée. Ayshe ne peut accepter la disparition de l’homme qu’elle a aimé, un musicien excentrique et rebelle, et vit dans l’espoir qu’il revienne. En réalité, cette femme est très lucide, et cette chimère lui sert d’excuse pour ne pas accepter l’inacceptable. Seule avec un fils de 7 ans, Ayshe refuse de s’habiller en noir, travaille et tente d’échapper à son destin : épouser le frère de son mari défunt, un homme conservateur qui ne cesse de la rappeler à l’ordre. Une sorte de robot qui impose au petit garçon de lire et relire le Coran, sans jamais lui parler avec son coeur. Ce long-métrage traite d’un sujet contemporain. A Istanbul, des femmes m’ont ouvert les yeux sur une réalité glaçante…

Que vous ont-elles raconté ?

Leurs vies, ce que l’on attendait d’elles comme épouses et comme mères. Après avoir visionné beaucoup de documentaires et lu des livres sur la bataille des Dardanelles, j’ai ressenti le besoin d’aller en Turquie pour comprendre mon personnage et vérifier comment la condition de la femme avait changé depuis le début du XXe siècle. J’ai eu l’impression d’évoluer dans un cauchemar en écoutant ces femmes me révéler les pressions qu’elles subissaient quotidiennement.

Par exemple ?

L’une d’elles, une jeune veuve très cultivée, est confrontée aujourd’hui à la même situation qu’Ayshe : elle a deux enfants et refuse d’épouser le frère de son mari, comme sa famille le voudrait. Pour gagner sa vie, elle fait des ménages. Mais elle m’a expliqué que sa position de  » mère célibataire  » est inconvenante,  » indécente  » : elle est donc maltraitée et humiliée. Pourtant, comme Ayshe, cette femme soutient ses choix et ses convictions, d’abord pour garder sa dignité, mais surtout pour transmettre ses valeurs de liberté à ses enfants et aux générations futures. J’ai rencontré beaucoup d’autres femmes musulmanes qui ont ce même courage. Et je les admire profondément.

Vous tombez amoureuse de Joshua, interprété par Russell Crowe, un Australien qui se rend en Turquie à la recherche de ses trois fils, portés disparus dans la bataille des Dardanelles. Un ennemi, donc… Qu’est-ce qui vous a plu dans le message du film ?

Le pardon, avant tout, pour les autres et pour soi-même. La résilience. L’acceptation de la différence. Pareil à Ayshe, Joshua découvre que le pouvoir de l’amour peut apaiser ses blessures et lui redonner force et espoir. Contraint de sillonner un pays ravagé par la guerre, il réalise que la frontière entre le bien et le mal n’est plus si nette et l’ennemi, si clairement identifiable. C’est encore une fois un sujet très contemporain.

Dans une scène forte, vous errez dans les rues, résignée, prête à tout abandonner et à épouser votre beau-frère. Qu’avez-vous éprouvé en la tournant ?

Une grande tristesse. Et puis rien, le vide… Ayshe marche en regardant des femmes entièrement voilées, et elle se couvre aussi. C’est un geste très symbolique, révélateur : elle cache son visage comme si elle fermait les yeux, et se laisse porter par un destin qu’elle n’a pas choisi. Mais ce n’est qu’une défaillance. Elle se perd dans les contradictions qui l’ont construite : c’est une femme élevée dans une culture européenne, mais aussi dans les traditions de son pays. Je comprends la difficulté de faire cohabiter toutes ces choses en soi.

Vous reconnaissez-vous en elle ?

Il est vrai que Russell Crowe a créé des analogies entre Ayshe et moi. Comme elle, j’ai étudié le piano sept ans et la danse classique treize. J’ai ce port, cette allure parfois rigide qu’a mon personnage… Et, en général, quand on se tient si droite, c’est pour cacher sa vulnérabilité. J’ai toujours été prête à me battre pour la liberté d’expression des femmes, pour l’égalité des sexes. Je suis devenue une féministe convaincue en arrivant à Paris, à 16 ans, après avoir lu des livres de Simone de Beauvoir, qui est mon modèle absolu.

Quel regard portez-vous sur le métier de mannequin, que vous avez longtemps exercé ?

Cela m’a donné la possibilité de devenir comédienne. Je n’ai jamais été  » sexe, drogue et rock’n’roll « . Quand je posais pour un shooting, j’apprenais le français et prenais des cours de théâtre. La France m’a porté chance, et j’ai décroché un rôle dans L’Annulaire de Diane Bertrand. Et puis j’ai incarné la James Bond Girl et j’ai joué dans des films qui comptent beaucoup pour moi, comme La Terre outragée de Michale Boganim (2011), sur la catastrophe de Tchernobyl. A l’époque, j’avais 6 ans et j’habitais à 800 kilomètres de là. Je n’ai jamais voulu être reléguée au rôle de l’Ukrainienne sexy, débarquant d’un village paumé à l’autre bout du monde…

Comment votre passion pour le cinéma est-elle née ?

A Berdiansk, où je vivais, la télévision soviétique ne passait pas de films américains. Pour mes 9 ans, ma mère m’a offert un magnétoscope et m’a montré notamment des films de Chaplin. J’ai demandé à prendre des cours de théâtre à l’école et je n’ai plus jamais décroché. Il n’y avait pas grand-chose à faire là-bas, à part regarder la mer et se demander ce qu’il y avait derrière l’horizon. Grâce à ma maman, peintre et sculptrice, on est allées à Saint-Pétersbourg et à Moscou visiter tous les musées. Je n’oublierai jamais mon émerveillement devant les toiles de Rembrandt, Gauguin et Léonard de Vinci que j’ai découverts au musée de l’Ermitage… C’est en sortant de la galerie Tretiakov, à Moscou, qu’un agent de mannequins m’a repérée et que nos vies ont changé. Ma mère, qui vit à Londres, près de moi, m’a transmis des choses fondamentales… comme apprendre de ses propres erreurs.

Vous avez été mariée deux fois… Deux erreurs ?

Si cela était à refaire, je referais exactement les mêmes choix. Rien n’est éternel. Je crois à de longs voyages à côté de l’être aimé, mais on évolue et on prend des directions différentes. Je suis réaliste. Je ne vis pas dans un monde de rêves, où il y aurait une typologie de vie parfaite. Et cela me convient. D’ailleurs je ne supporte pas les gens qui affichent des vies  » idéales « , heureuses… et vous tuent du regard ou, pire encore, vous ignorent, si vous n’entrez pas dans leur cadre. Je déteste la fausseté, le politiquement correct, les phrases définitives. Ce ne sont que des manifestations de la peur du changement. Pour revenir à mes deux ex-maris, j’ai vécu des moments merveilleux avec eux et je garde cette richesse en moi, même si nos histoires sont finies.

Que reste-t-il de Berdiansk en vous ?

J’ai bien sûr des attaches en Ukraine, mais j’ai dépassé cette fameuse ligne d’horizon que je voyais de la plage à côté de chez moi. Et je ne peux plus revenir en arrière.

PAR PAOLA GENONE

 » J’ai toujours été prête à me battre pour la liberté d’expression des femmes, pour l’égalité des sexes.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content