Afrique Idyllique
Berceau du delta de l’Okavango et des plus somptueux lodges du continent africain, le Botswana limite son afflux touristique pour offrir aux chanceux des paysages de début du monde et la promesse d’observer les » big five » en liberté. Inoubliable.
Nous voici donc au bout du monde. Depuis notre départ de Johannesburg en Afrique du Sud, nous quittons peu à peu la civilisation. Et l’arrivée à Maun, petit aéroport du Botswana aux portes du delta, a des allures de western. Pilotes, Ray-Ban vissées sur le nez, et baroudeurs burinés, chemise de safari élimée, prennent un solide petit déjeuner au Bon Arrivée, unique gargotte remplie de maquettes d’avions, en face de l’aéroport. De minuscules avions alignés sur la piste attendent les petits groupes de passagers pour les emmener dans leurs camps respectifs. Le nôtre, Eagle Island Camp, est situé au c£ur du delta de l’Okavango, le fleuve roi de l’Afrique australe, qui finit sa course en beauté dans les sables du désert du Kalahari. Nous allons dans la paume même de cette gigantesque main aux doigts écartés (90 km de longueur pour l’avant-bras, 200 km de longueur pour les doigts), irriguée par des milliers de canaux. Quinze mille hectares, le plus grand delta du monde. Le survol est magnifique. La savane, recouverte par les eaux, piquetée d’îlots et de bosquets d’acacias, est sillonnée de ruisseaux brillants comme des fils d’argent. Vingt minutes plus tard, le petit avion se pose sur la courte piste faisant fuir les babouins qui l’encombraient. Le campement est à cinq minutes en 4 x 4. Devant l’entrée, le personnel se met à chanter et à danser à notre arrivée, tandis que Johann et Mariette, le solide couple de Sud-Africains responsables du camp, nous accueillent en tenue de rangers. Douze luxueux bungalows montés sur pilotis, avec une terrasse à fleur d’eau, se fondent dans les arbres, suffisamment éloignés les uns des autres pour que leurs occupants se croient seuls au monde. Décor à la Karen Blixen, avec lit à baldaquin, moustiquaire et bureau de voyage, mais confort et service tout ce qu’il y a de contemporain. Quarante employés vivent ici, presque en autarcie. Isolé par les eaux quatre mois par an, et donc ravitaillé par avion, le camp vit sur ses réserves. Le silence est assourdissant. Comprenez qu’entre la cavalcade des babouins dans les arbres, le vol des aigles pêcheurs qui effleurent la lagune de leurs ailes, puis repartent avec un poisson dans leurs serres, les libellules, les grenouilles, les voix humaines font tache. Au Botswana, pas d’affrontements entre tribus, pas de misère ni de tourisme de masse. Ce pays immense compte à peine deux millions d’habitants et un gouvernement avisé, qui a opté pour un tourisme de luxe (deuxième activité du pays après les diamants). La faune la plus sauvage de toute l’Afrique, peu de lodges (deuxième activité du pays après l’exploitation de diamants) et des prix redoutablement élevés transforment chaque touriste en explorateur privilégié.
L’Impala, McDonald’s de la savane
Première balade sur le delta en fin d’après-midi. Le speed boat serpente à vive allure dans le labyrinthe des chenaux bordés de papyrus et de roseaux, faisant s’envoler grues et lili-trotters aux ailes et dos bleu turquoise. Jacob, notre ranger, stoppe soudain le bateau. On entend, tout près, comme des souffles de baleines. À quelques mètres, dans un coude du chenal, émergent de l’eau deux, cinq, quinze hippopotames aux yeux globuleux ouvrant une gueule gigantesque. Jacob nous fait signe de rester silencieux et immobiles. De tels mastodontes, s’ils ont l’air bonnasse, peuvent casser notre embarcation en deux (et nous avec) d’un claquement de mâchoiresà Au retour, dans le soleil couchant, nous nous offrons notre premier apéro sur l’eau, un verre de chenin à la main. Le rêve africain a commencé. Le premier dîner sous les étoiles, avec Johann et Mariette, ne sera fait que d’histoires d’animaux rentrant dans le camp la nuit : un éléphant devant la réception, des babouins volant les fruits dans la salle à manger, des lions rôdant entre les bungalowsà Il est temps d’aller se coucher, accompagné par un ranger jusqu’à notre bungalow. Nous avons vite pris le rythme du campement : réveil à 6 heures avec un thé apporté dans la tente, petit déjeuner, départ en safari à 7 heures, retour vers 10 h 30, brunch, sieste, piscine, high tea pantagruélique à 16 heures, safari du soir, apéritif au coucher du soleil et dîner à 20 heures. N’espérez pas maigrir en safarià Le lendemain, alors que nous flottons dans un équilibre précaire sur un mokoro, un tronc évidé que l’on guide à la perche, le ranger est averti par talkie-walkie qu’une colonie de lions a été aperçue dans les parages. Cela fait quatre mois qu’il n’en avait pas vu ! Retour au camp, nous sautons dans les Range Rover. Très vite, nous les repérons : une douzaine de lions s’ébattent devant nous ; on pourrait toucher une jeune mère jouant avec des lionceaux. Jacob nous explique qu’il a beaucoup chassé au javelot avec son grand-père. Il raconte que, si un lion charge, il faut rester immobile. Si l’on court, il vous prend pour un impala, surnommé » McDonald’s » au Botswana, car tous les animaux le croquent, et vous lui servirez de déjeuner.
Un cocktail sous les baobabs
Le lendemain, nous quittons à regret cet endroit magique : l’avion-taxi nous emmène plus au nord, vers Chobe, après une escale sur les rives de la rivière Khwai, à la limite de la réserve de Moremi. Le paysage change. Savane sèche, phacochères, vautours, girafes et, tapis dans les arbres, paraît-il, des léopards (plus nombreux que les lions au Botswana). Le camp est l’un des premiers construits dans le pays : salon ouvert, digne d’un campement de luxe, qui ressemble à celui des explorateurs anglais du siècle dernier, chambres à la déco contemporaine pointue et, le must, les baignoires extérieures pour prendre son bain en même temps que les éléphantsà À Savute Elephant Camp justement, une autre ambiance nous attend. On a l’impression d’être invité par les éléphants, qui se baignent et viennent s’abreuver au point d’eau juste en dessous de nos bungalows (les tentes numérotées de 1 à 4 sont les plus proches du point d’eau). Le ranger nous explique qu’ils mangent 250 kg d’herbe par jour et qu’ils communiquent entre eux en frappant le sol de leurs pattes pour émettre des vibrations. Et en safari, c’est l’Afrique sur grand écran. Nous ne savons plus où donner de la tête : troupeaux d’autruches au regard méprisant, zèbres dont la queue tourne en cadence dans le même sens, minuscules steinbocks sautillant devant nous, perruches turquoise et horribles lycaons, ces chiens sauvages dont le museau est encore couvert du sang de l’impala qu’ils viennent de dévorer. Nous nous arrêtons quelquefois pour observer dans le sable les traces de léopards, que nous ne verrons malheureusement pas. Certaines pistes sont barrées de troncs d’arbres. Nous apprendrons que c’est l’£uvre des éléphants, qui, ayant déjà remarqué quelques Range Rover sur leur territoire, ne veulent plus être dérangés. En fin de journée, dressée sous des baobabs millénaires, une table nappée de blanc nous attend pour un cocktail des plus chic au milieu de la savaneà Dernier dîner au camp. Peu à peu, nous nous débarrassons de nos enveloppes et réflexes de citadins. Comme les safaris que nous avons faits dans la journée, vierges de toute marque de civilisation, nos dîners sous les étoiles s’épurent, débarrassés des thèmes habituels aux dîners en ville. Dans le silence, seulement troublé par les cris d’animaux et le bruissement des feuilles, nous parlons doucement à la lueur des bougies. Sans l’avoir prévu, chacun se confie : nous débattons philosophie, poésie et du parcours de nos vies. Nous sommes bien, sereins, apaisés, attentifs aux odeurs et aux bruits de la savane. Plus tard, nous irons observer les étoiles. Je vous le dis, un voyage au Botswana vaut mieux qu’une année de psychothérapie.
Béatrice Massenet – Photos : David Lefranc
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