Ce  » nez  » et empêcheur de parfumer en rond a été choisi par Pharrell Williams pour concevoir sa fragrance Girl. Rétif aux conventions, il rue fréquemment dans les flacons. Et milite pour un retour à l’animalité.

C’est un bureau comme un autre. Une table, un siège à roulettes, un ordinateur. A la différence près qu’on y trouve, posés entre le téléphone et la perforatrice, des mouillettes et des petits flacons numérotés. Bienvenue à Paris, au troisième étage de Takasago, l’entreprise nipponne où travaille Antoine Lie, parfumeur créateur qui a conçu, entre autres jus, Cyber Garden (Costume National) ou Girl de Pharrell Williams avec Comme des Garçons. Le cadre de travail aseptisé a de quoi étonner le profane. La méthode aussi. Les  » nez  » ne travaillent plus en blouse blanche informe mais en veston noir parfaitement cintré. A la recherche des accords parfaits, ils composent sur leur PC des formules qui sont expédiées dans les niveaux supérieurs où des laborantins, secondés par des robots, donnent corps à leurs intuitions.

En 2011, Antoine Lie a rejoint Takasago après plusieurs années passées chez Givaudan et IFF, deux des  » big four  » spécialisés dans la création de parfums. Décidée à se tailler une place dans le cercle étroit des fabricants majuscules d’effluves, la société japonaise s’est dotée de quelques experts et empêcheurs de parfumer en rond. Antoine Lie est de ceux-là. Dans la profession, cet agitateur de molécules, Strasbourgeois d’origine, n’est pas un inconnu. Il est celui qui a commis, pour le parfumeur alternatif Etat Libre d’Orange, Sécrétions Magnifiques. Une fragrance aux relents de sueur, de sang et de sperme.  » La plupart des gens ne la supportent pas mais il y a des inconditionnels qui sont complètement accros. C’est une proposition limite, un peu comme une oeuvre d’art qui bouleverse les conventions. Sa composition est une réaffirmation des notes animales qui ont été bannies dans les années 90 au profit du clean et du frais. A l’époque, le mot d’ordre était : ne pas déranger.  »

Bousculer les habitudes, c’est précisément ce qu’affectionne ce garçon timide qui, dès son plus jeune âge, prend l’habitude de sentir et inhaler tout ce qui lui passe sous le nez.  » J’ai encore en mémoire l’odeur d’une petite voiture en plastique avec laquelle je jouais à 3 ans et celle de la moquette du salon où je rampais à quatre pattes. Ce sens m’a toujours fait voyager. Un jour, vers 10 ou 11 ans, j’ai appris qu’il existait le métier de parfumeur. J’ai voulu faire ça.  »

La suite est classique pour qui embrasse la profession : une licence de chimie, une école spécialisée à Grasse. Il part travailler six ans aux Etats-Unis puis intègre à son retour les grandes structures qui se partagent le marché des sent-bon. Azzaro, Armani, Cerruti, Calvin Klein, Versace lui doivent quelques-uns de leurs classiques. La marque Comme des Garçons, qui trace son chemin à l’écart des blockbusters, le convoque fréquemment. Ce sera l’occasion de leur concocter Wonderwood, sur lequel Pharrell Williams tombe en arrêt lors de son passage au concept store parisien Colette. Coup de foudre du rappeur au noeud pap. La gestation de Girl dure un an et demi.  » Le travail s’est fait lentement car Pharrell avait peu de disponibilités. Il aimait cette touche d’encens propre à Comme des Garçons tout en insistant pour avoir des notes très boisées. Il a évoqué aussi le souvenir d’une eau de Cologne Johnson’s Baby qui l’avait marqué dans son enfance.  »

Sur la quinzaine de projets que le quadragénaire mène de front, il confie avoir un plaisir particulier à explorer ce qu’il nomme les  » nouveaux territoires  » :  » Le petit flacon, c’est bien mais ce n’est pas suffisant.  » Avec la société Scentys, il développe des atmosphères olfactives à destination de lieux comme des hôtels de luxe ou des showrooms automobiles haut de gamme.  » C’est du vrai sur-mesure. L’idée est d’atteindre un niveau de finesse équivalent à la grande parfumerie. Tout reste à faire dans le domaine, c’est très stimulant.  » De quoi déclencher des poussées d’adrénaline. Encore une histoire de divine sécrétion.

PAR ANTOINE MORENO

 » Le petit flacon, c’est bien mais ce n’est pas suffisant.  »

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