Qu’il crée un sofa pour Molteni ou bouscule les codes d’une maison comme Swarovski, l’innovation est au cour même du travail du créateur israélien Arik Levy. Son parcours hors norme fait de lui l’un des designers les plus en vue de sa génération.

Si vous voulez lui faire un compliment, surtout dites-lui bien qu’il n’est pas trendy. Arik Levy sera ravi.  » Les tendances, je m’en fous, sourit-il. Ce qui est  » à la mode  » est trop vite périmé. Certains ont cru qu’il suffisait de créer une forme spectaculaire, extravagante et de la répéter pour connaître le succès. Mais ce n’est pas vrai : les gens se fatiguent. La crise aura au moins un effet positif : débarrasser le design d’un excès de formalisme pour mieux revenir à l’essentiel.  » Il assène cela sans pédanterie, Arik Levy. Pas le genre à ressasser :  » Vous voyez, je vous l’avais bien dit.  » Sa barque à lui, cela fait plus de quinze ans qu’il la mène avec détermination. Et tant mieux finalement si l’air du temps qui désormais se la joue modeste lui donne enfin raison.

Chez Arik, il n’y a pas de place pour l’esbroufe et les caprices de star. Sa vie est comme un grand jeu de piste – qui l’a conduit de Tel-Aviv à Paris en passant par le Japon – dont il maîtrise les règles à l’envi.  » Il y a quelques années, j’avais l’habitude d’amener mon fils de 14 ans au studio, tous les mercredis, rappelle-t-il. Un jour, il est venu me trouver, un peu perplexe :  » Papa, tu dis que tu travailles quand tu viens ici, mais ce n’est pas vrai ! Tu passes ton temps à jouer.  » Rien ne pouvait me faire plus plaisir que d’entendre cela ! Certes, le jeu est parfois difficile. Mais c’est ce qui le rend si excitant.  » Si le designer reconnaît que tout succès comporte une bonne part de chance, il aime se dire qu’il a su aux bons moments se doter des outils qu’il fallait.  » Le secret, c’est d’être ouvert aux possibilités, insiste-t-il. Et pour cela, c’est important d’être en osmose avec soi-même. « 

Ce qui impose parfois de savoir dire non.  » Pouvoir choisir ses clients, c’est un luxe énorme, reconnaît le créateur israélien. Ce qui m’intéresse, c’est la nature du projet, pas la taille ou le nom de la boîte qui vient me voir. C’est notre responsabilité en tant que designers, à notre niveau, d’aider les petits éditeurs. Ceux qui débutent, qui peuvent tout juste s’offrir un stand de 20 m2 au Salon du meuble de Milan, ont besoin de mon expérience, de mon nom pour attirer l’attention des médias. « 

Un meuble, pas une sculpture

En 2009, Arik et les 16 autres membres du studio Ldesign ont ainsi prêté main-forte à Planika Fires, un fabricant polonais de feux ouverts  » portables  » alimentés par un carburant liquide et propre à base d’éthanol. Ou encore conçu pour l’allemand Flora des jardinières et des tuteurs de jardin.  » C’est ma manière de donner en retour ce que j’ai moi-même reçu, explique Arik Levy. Je n’ai pas de problème avec la starification des designers qui s’est intensifiée ces dernières années. Par certains côtés, c’est même plutôt agréable. Mais c’est une illusion. Star, c’est comme VIP : un mot qui en soi ne signifie rien. J’aime la visibilité que cela peut m’apporter mais je me méfie aussi : il ne faut pas être le jouet de ce système, sinon on se contente de faire de l’animation. « 

GO design ? Pas question ! Quand des géants du secteur comme Molteni, Zanotta ou Ligne Roset se tournent vers lui, Arik Levy sait aussi se faire discret dans l’approche.  » Pas besoin de sortir un marteau de 5 tonnes pour tuer un moustique, plaisante-t-il. Si vous arrivez avec du lourd, ces gens se retrouvent avec un catalogue rempli de signatures graphiques sans aucune cohérence. Il faut se couler dans l’esprit de l’entreprise, se l’approprier afin de mieux voir ce que vous pouvez lui apporter.  » Quand le patron de Molteni demande un lit, le brief est très spécifique.  » Il veut un meuble, pas une sculpture ! Qui doit entrer dans une chambre de taille normale. Et être intelligent dans sa conception. C’est ça aussi la durabilité. « 

On sent que le mot qui sonne désormais comme un slogan marketing l’agace.  » Encore une fois, en soi ça ne veut rien dire, soupire-t-il. C’est quoi un meuble durable ? Ce n’est pas blanc ou noir ! Oui ou non !  » Quand il crée un objet, Arik Levy s’interroge sur toutes les étapes de sa fabrication.  » Imaginez que vous réussissiez à alléger votre sofa de 10 %, ça n’a l’air de rien mais cela aura un impact énorme sur son coût de stockage et de transport. La question de la durabilité doit être posée : à chacun d’y répondre du mieux qu’il le peut à son niveau. « 

Ses amis –  » J’en ai aux quatre coins du monde « , se réjouit Arik Levy – le décrivent comme  » précis, rapide et redoutablement charmeur… « . On pourrait à coup sûr ajouter : passionné, débordant d’énergie, d’idées aussi.  » Tout est source d’inspiration, parfois même les expériences négatives, plaide-t-il. Mon cerveau, c’est un muscle que je ne peux pas contrôler, il n’y a pas de bouton on/off ! Je le reconnais, je suis parfois difficile à suivre parce que je n’arrête jamais. Et ça peut être dur pour mes collaborateurs et pour mes proches.  » Lorsqu’il sature, Arik se jette à l’eau – un souvenir sans doute de sa jeunesse de surfeur, sur les plages de Tel-Aviv au bord desquelles il commença sa carrière créative en graffant des centaines de planches – et aligne les longueurs pour se vider la tête.  » J’adore tout ce qui glisse, confie-t-il. Je fais du skate en ville, du surf en vacances, du vélo, du scooter. J’aime jouer sur l’équilibre pour me sentir en vie. J’ai mis au point un petit test quand je suis sous la douche. Je ferme les yeux : si j’ai la sensation que l’eau me traverse tout le corps de la tête aux pieds, je sais que ce sera une bonne journée. « 

Ses rêves les plus fous, Arik Levy leur donne vie lorsqu’il crée  » pour lui « . Des objets  » signatures « , comme les modules Rocks, qu’il s’amuse à décliner dans toutes les matières : en bois, en cristal, en métal et même en chocolatà  » Quand je travaille pour un éditeur de design, je dois lui apporter un petit twist, une sorte de magie industrielle, s’enthousiasme-t-il. L’art m’aide à nourrir, à construire mon ADN.  » Dès qu’il le peut, il laisse libre cours à une autre de ses passions. Depuis 1988, il signe régulièrement la scénographie et les éclairages de spectacles de danse, pendant des années pour le chorégraphe israélien Ohad Naharin et plus récemment pour Philippe Blanchard.  » La danse contemporaine, c’est pour moi la forme d’art la plus fantastique, poursuit-il. Une chorégraphie aboutie peut vous émouvoir jusqu’aux larmes. Une table ne m’a jamais fait pleurer. « 

Simplifier, épurer pour surprendre

Bousculer les codes, entremêler les approches, se laisser porter par la vague de l’inspiration – il est resté surfeur dans l’âme -, il adore ça.  » Je suis un technopoète « , plaide-t-il. Sans peine, on l’imagine plonger ses grands yeux bruns dans ceux de Nadja Swarovski, l’une des héritières de l’empire du cristal autrichien, pour mieux la convaincre de tenter, avec lui, un pari fou : oser parler de cristal, sans quasi le montrer. Suggérer pour mieux faire rêver.  » Plus de bling-bling chez Swarovski, vous imaginez ?  » s’exclame-t-il, fier comme un gamin qui aurait joué un mauvais tour . Mais pour la bonne cause. Alors que depuis des années, l’installation Crystal Palace – l’un des rendez-vous phare du Salon du meuble de Milan – plongeait le visiteur dans une féerie à la Disney, lors de l’édition 2009 d’une foire frappée de plein fouet par la récession, la matière reine de la fête a su se montrer discrète. A peine suggérée dans la forme d’une lampe, le graphisme d’un tapisà et de ce fait, peut-être plus présente, plus désirée, encore que par le passé.

Même lorsqu’il s’attaque à la création d’un flacon pour A Scent, le nouveau jus d’Issey Miyake, la méthode Levy reste la même : simplifier, épurer pour mieux surprendre, encore et toujours.  » La forme du flacon, c’est l’archétype même de la bouteille, explique-t-il. Mais plutôt que de la miniaturiser ou d’agrandir, j’ai préféré jouer sur la taille de la tranche. On la préfère plus ou moins large en fonction de ses envies, comme une tranche de vie.  » L’idée à l’air toute simple, à se demander pourquoi personne jusque-là n’y avait encore pensé. Mais le procédé d’extrusion du verre est bien complexe.  » Ce n’est pas une forme, c’est un concept, résume Arik Levy. C’est ça le métier de designer : apporter de l’innovation. Il n’y a que deux choses qui résistent à l’épreuve du temps : l’innovation et l’art. Le reste, c’est du vent. « 

Par Isabelle Willot

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