Né à Bruxelles d’un père indonésien et d’une mère polonaise, le pianiste Alexander Gurning s’est entiché du tango argentin avec Soledad, a joué avec la prodigieuse Martha Argerich et vient d’enregistrer les himalayennes Variations Goldberg de Bach. La musique est son pays.

Une expérience hors normes ?  » Après deux ans au Conservatoire de Bruxelles, je débarque à Moscou où je découvre un monde beaucoup plus rude, une exigence folle, une marmite bouillonnante d’excès. Dans l’immense bâtiment réservé aux élèves non-moscovites, je partage ma chambre avec un violoncelliste d’Ukraine, cosaque se prenant pour un cow-boy.  » Version dostoïevskienne d’une fiesta studieuse où vodka et musique forment la détonante partition locale.  » Je retiens de tout cela que je n’aurai jamais vécu de choses humaines de manière aussi condensée et intense. « 

Pas besoin de romantiser la bio du pianiste, il semble avoir grandi dans le mouvement perpétuel. Né en 1973 à Bruxelles, le gamin turbulent découvre le piano  » de manière purement ludique « . Quand il joue fenêtres ouvertes, les mômes de Saint-Josse écoutent religieusement Beethoven. À 16 ans, Alexander est au Conservatoire où il décroche une note finale  » un peu ridicule  » de 100 %, et devient l’assistant du Russe Eugène Moguilevsky, vainqueur du Reine-Élisabeth de 1964. Le petit Gurning a déjà bourlingué : au vert inouï des montagnes du Sumatra paternel et en Pologne chez la grand-mère  » adorée  » où, à chaque séjour, des profs du cru ou débarqués de Moscou le font travailler.  » Je ne sais pas si le totalitarisme y est pour quelque chose, mais l’emprisonnement moral et intellectuel de cette Pologne-là engendrait une créativité différente : l’acte, y compris musical, était plus important que les mots. « 

Du royaume de Chopin, Gurning emporte une grande exigence, même si son identité pose toujours question.  » Gamin, on me prenait pour un Noir, j’ai longtemps cherché mes racines. J’avais tendu un fil sur une mappemonde entre le lieu de naissance de ma mère et celui de mon père, à mi-chemin, j’arrivais quelque part en Afghanistan (rires). Finalement, je suis de Bruxelles et la musique est mon pays.  » Sacré territoire qu’Alexander sillonne détaché des codes et des nationalismes.

Lors d’une soirée chez Martha Argerich, il séduit par son jeu la diva argentine qui l’emmène en duo aux quatre coins du piano mondial.  » Elle m’a appris une chose essentielle : voir la globalité de l’£uvre et essayer préalablement tous les chemins disponibles dans l’interprétation. La musique est davantage un travail de reconnaissance qu’un rébus à résoudre.  » Principe appliqué avec ses amis de Soledad qui revisitent les mélodies cendrées d’Astor Piazzolla, s’émancipant peu à peu de la stricte tutelle tango, entre autres via les compositions d’Alexander.

En octobre, Soledad ira jouer son blues du bandonéon belge en Colombie : entre-temps, le public aura entendu Les Variations Goldberg composées par Bach vers 1740, dans la version Gurning. Deux cent septante et un ans plus tard, dans son appartement ixellois, le trentenaire agnostique joue les premières mesures de cette musique écrite pour Dieu. Pas de doute, Alexander fait un drôle d’archange.

CD Les Variations Goldberg à paraître début octobre chez Avanti Classic. Concert le 14 décembre prochain à Flagey, www.flagey.be

PAR PHILIPPE CORNET

 » GAMIN, ON ME PRENAIT POUR UN NOIR, J’AI LONGTEMPS CHERCHÉ MES RACINES. « 

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